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La Une CED

Coups de griffes N°8 (par Alain Faurieux)

, le Lundi, 27 Mai 2024. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

 

Meurs ressuscite, Albane Prouvost, POL, 2015, 64 pages, 10 €

Merci à M.D pour m’avoir, par curiosité et esprit de contradiction, mené à Albane P. Ça a fait ma journée diraient les anglais. Aurais-je dû rire très fort pendant cette lecture ? Jeter des choses à terre ? Prendre comme témoin du ridicule un passant sur la route ? Je ne suis pas si plouc pour ne pas avoir compris « l’intention »… Le manque, la mort, l’absence. Et puis la blancheur/la neige (la page), la Russie et ses poètes, les peintres, gna-gna-gna. Trente pages en fait (la blancheur et tout ça, ça prend de la place ma chère). Quinze ans pour ça : c’est dur être poète ! Alors que m’a-t-il manqué ? Parce qu’après tout me direz vous, la poésie c’est un ressenti, une liberté. Chacun sa définition. Il m’a donc manqué un jeu, un plaisir des mots, un amour de ceux-ci, une découverte, de la beauté, de la force, ou de la violence, de la provocation, de la surprise, des sentiments, ou une vision, des possibilités. A la place le vivier lexical d’un pays en proie à la famine, un patchwork bancal. Des bouts de catalogue de jardinerie mal découpés collés sur un vieux carton en lieu et place de Chagall ou Matisse. M’a manqué une voix, reste un bafouillement. M’a manqué un rythme, un pas (la neige appelle au moins une trace). Reste rien.

Mains positives, Guillaume Métayer (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 22 Mai 2024. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Mains positives, Guillaume Métayer, La Rumeur libre éditions, février 2024, 110 pages, 17 €

 

Les « mains positives », disent les préhistoriens, se posent là. Badigeonnée de colorant (au contraire de la « main négative »), la « positive » imprime directement sa forme sur la paroi ; c’est comme une prise d’appui massive, franche, caractéristique : une main y montre la chose qu’elle est (ou plutôt qu’elle fut !), au contraire de la main négative, dont l’empreinte est vide et vierge, qui ne fait, elle, qu’évoquer la forme que lui laisse, du dehors, le contexte coloré (craché ou vaporisé) répandu, après-coup, autour d’elle, et entre ses doigts écartés. Intituler « Mains positives » de courts poèmes en prose, c’est donc suggérer une sorte d’empreinte de pensée directement obtenue (comme un front en sueur ou en sang posé un instant sur une vitre ?), une miniature de monde comme plaquée, droitement transférée, apposée pour elle-même et non-cernée (sans halo ni fond suggestif, comme une claque sans décor). C’est un double choix de frontalité et de force, anti-symboliste (on verrait mal un Zarathoustra jouer du pochoir, et se parapher par main négative), où un « moi » s’inscrit en cri volontaire plutôt que se circonscrire en écho conscient !

Lean on me (par Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Mardi, 21 Mai 2024. , dans La Une CED, Ecriture, Récits

 

Amis Français d’ici ou d’ailleurs, good morning ! Ok let’s do it, I am gonna sing for you. Lean on me. When you’re not strong. And I’ll be your friend. I’ll help you carry on.

Ça, je suis sûre que tu connais. Aider l’autre ? Hum… Ce n’était pas tout à fait ce que j’avais dans le cœur, ce jour-là. Un 14 février un peu trop froid pour la Floride, trop de bruits dans les oreilles, trop seule et trop de monde dans le bus.

Le bus, je le prends tous les jours avec le sentiment que je suis bloquée dans un ascenseur. Tombée au pied de l’échelle sociale. Les gens comme moi, ils conduisent. Mais moi, je ne conduis pas. Je prends le bus pour aller poser nue devant un radiateur avec qui j’entretiens une relation amoureuse. Trop près, il me brûle les fesses, trop éloigné, il ne sert à rien. Je suis modèle pour une école d’art, je pose pour des élèves et pour des peintres. Je disparais. Je me défais de ma peau pour incarner leur toile. Ça fait moins mal. À Miami. Entre les quartiers de Hialeah et Doral où il est impossible de circuler autrement qu’en voiture et crois-moi, là-bas, les gens, ils ont autre chose à faire qu’à se prendre la tête pour une ombre, sur un morceau de chair.

Autre matin, suivi de Le monde du singulier, Gérard Pfister (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 20 Mai 2024. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

Autre matin, suivi de Le monde du singulier, Gérard Pfister, Éditions Le Silence qui roule, mars 2024, 91 pages, 15 €

 

Autrui

La vaste question de la destination du poème se pose avec vivacité dans ce nouveau livre de Gérard Pfister. Le poème est-il écrit pour soi et, dès lors, ne communique-t-il pas tout à fait l’espoir du poète ? Est-il écrit pour autrui ? Vraisemblablement, le poète ne cherche pas un public en particulier (ce qui appartient aux démarcheurs et autres créateurs de réclames). Dès lors, comment partage-t-on les poèmes avec un lecteur qui cherche dans la poésie une pensée et une profondeur intérieures ? Le poète est-il vraiment le lecteur de ses poèmes ? Où réside le mystère – ici au sein de l’écriture ou bien dans l’âme du liseur ? Qui est le plus important, le poète ou le bouquineur, bouquineur à qui sont demandées une attention et une exigence parfois anxieuses ?

Lucarnes, Jacques Goorma (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 14 Mai 2024. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

Lucarnes, Jacques Goorma, éditions Arfuyen, février 2024, 128 pages, 14 €

 

Tremblement

Le mot du titre, tremblement, fait appel à deux notions. La première, c’est celle d’Édouard Glissant, qui s’intéresse au tremblement du monde, bruit qui vient à la porte de chacun par les flux des informations en temps réel. On finit par trembler à l’instar de tout le monde au même moment et pour les mêmes raisons. Pour finir, personne n’échappe à la réalité de l’univers. Mais trembler est aussi une manière d’approcher la langue poétique, espèce de synecdoque où un simple mot revient à toucher du doigt une réalité plus ample. Ici, le tremblement, ce scintillement, cette résonance de la matière, soyeuse en un sens comme une étoffe, se nourrissent d’eux-mêmes afin de consigner ce que cherche pour finir tout écrivain : le secret de la vie. Donc, le culte du silence n’est pas sans effet sur cette appréhension par la langue d’une réalité des mots, dans une nudité telle qu’elle conduit aux bornes de l’aphonie.