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La Une CED

Folie, fureur et ferveur, Œuvres poétiques (1972-1975), Anne Sexton (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 21 Janvier 2025. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, USA, Poésie

Folie, fureur et ferveur, Œuvres poétiques (1972-1975), Anne Sexton, éd. des femmes-Antoinette Fouque, janvier 2025, trad. anglais USA, Sabine Huynh, 268 pages, 22 €

 

Juste une fillette qui tentait de survivre (Anne Sexton)

L’Emprise du poème

J’ai bu, si je puis dire, d’un seul trait ou presque, le recueil de la poétesse américaine Anne Sexton. Et cette poésie m’a semblé vive et presque irritante, surtout pas liquoreuse, mais entêtante et légèrement folle. Mais là, pas de vraie folie, de celle qui appelle les épithètes du QCM américain. Au contraire, tout est vie dans cet alcool cuit qui n’hésite pas à surprendre par son parfum fort, singulier et unique.

L’on a à faire dans ce travail de la langue, dans le style, à une poésie empirique, sourcée dans la reconnaissance d’un réel fuyant, d’une forme de déroute devant la difficulté de la vie. En crise devant la matière, qui tout aussitôt devient métaphysique par le génie de l’écrivaine. Elle habite au sens propre dans la demeure du poème, dans son emprise.

La Rumeur le fracas, Jean-Louis Clarac (par Luc-André Sagne)

, le Lundi, 20 Janvier 2025. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

La Rumeur le fracas, Jean-Louis Clarac, Jacques André éditeur, Coll. Poésie XXI, 2022, 92 pages, 14 €

 

Jean-Louis Clarac est un poète qui éprouve la vie, en fait l’expérience quotidienne, à la fois ébloui et bouleversé par elle. C’est dire s’il est à l’écoute du monde, partout où il se trouve, « entre rumeur et fracas » par exemple, titre de son dernier recueil (*). La rumeur et le fracas des éléments, en particulier de l’océan qu’il observe, mais aussi des activités humaines, dans leur tumulte et leur aveuglement. Poème après poème c’est alors une conscience qui nous parle, celle du poète qui ne sépare jamais la beauté du monde du malheur des hommes.

Quatre parties composent le recueil, quatre portes d’entrée sur le monde tel qu’il est et tel qu’il est regardé par Jean-Louis Clarac. Chacune d’elles reprend trois des quatre éléments traditionnellement constitutifs de l’univers, à savoir l’air (ici, peut-on dire, le ciel), l’eau, la terre, à quoi vient s’ajouter à chaque fois un élément supplémentaire, respectivement la forêt, le vent, le soleil, enfin la nuit le jour, l’alternance du permanent et de l’impermanent, qui est au cœur du recueil.

La Morale remise à sa place, Rémi Brague (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 14 Janvier 2025. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

La Morale remise à sa place, Rémi Brague, Gallimard, novembre 2024, 160 pages, 18 €

 

Tout le monde voit à peu près ce qu’est la morale : l’effort de vouloir (activement) le bien du prochain en renonçant librement (à proportion) à la satisfaction du sien propre. C’est, typiquement, le geste généreux (pour autrui) et ingrat (pour soi) – au cours duquel on peut, bien sûr, se tromper (le sauveteur maladroit qui noie celui qu’il secourt), tromper (et faire passer, en autrui, pour bien qu’il veut, le mal même qu’on lui fait, par piège corrupteur ou subornation de naïf) ou être trompé (comme le gogo qui s’échine pour qui le gruge), mais s’imposer délibérément un coûteux devoir pour soulager ou aider autrui – voilà ce que chacun spontanément juge moral, ne serait-ce que parce qu’on sait qu’on serait content qu’autrui en fasse autant en retour (même si, par principe, on s’abstient ici de le réclamer, ou même de l’espérer : la morale est don de soi sans conditions, ou n’est rien).

Une écharde dans la chair, Réginald Gaillard (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 13 Janvier 2025. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

Une écharde dans la chair, Réginald Gaillard, éditions de Corlevour, décembre 2024, 135 pages, 18 €

 

Témoignage de la perte

Quel sujet difficile que celui de la transcription poétique de la perte d’un être cher (je le sais, ayant perdu à 20 ans d’intervalle deux de mes sœurs, ce qui m’a poussé davantage vers l’écriture poétique). Le recueil de Réginald Gaillard parvient à dresser non pas tout à fait une élégie pathétique, mais un chant de désespoir et de manque. Celle qui a disparu, malgré tout a été une chair aimante, un corps que le souvenir garde en lui-même comme une trace indélébile. Du reste, le poème rend compte de cette corporalité – et encore celle du poète. Ce dernier s’appuie sur une tache violente, intraduisible, je veux dire la mort.

Le texte est sans cesse rôdant sur le seuil de la vie, voyant dans la personne morte celle d’une aimée, y compris dans sa présence sexuelle, l’odeur de cyprine, des jambes qui s’entrouvrent. C’est pour cela que ces poèmes débordent de simples élégies, confiants dans l’anamnèse physique de celle qui est perdue. La mort reste chair.

Lidia Jorge ou l’écriture en liberté (par Gilles Cervera)

Ecrit par Gilles Cervera , le Samedi, 11 Janvier 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques

Nous traversons des fleuves, des nuits et, de rêve en rêve, de rives en rives, nous lisons Lidia Jorge.

L’auteure portugaise nous fait affleurer à la littérature monde, style serré, reconnaissable par son ininsistance. On voudrait le Prix Nobel pour elle, mais nous n’avons qu’un pouvoir restreint. Notamment celui de n’avoir pas lu toute son œuvre.

Le rivage des murmures nous a marqué en premier. Édité en France en 1989. Rappelons-nous l’importance durassienne des fleuves, des regards nocturnes, des mariages sans fin et du marié. Il se détache, voyez-le se détacher, partir pour une sale guerre. Nous venions de lire sur la colonisation, Mathieu Belezy dont il fut rendu compte, langue au couteau, grande gueule d’ogre où l’anti-héros charrue la terre d’Algérie de la glèbe jusqu’aux ventres et aux dos des hommes. Bélézy a une luxuriance au bazooka, quand, il faut la lire pour le contraire, Lidia Jorge écrit à mi-voix.