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Chantier interdit au public (par Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard 19.09.23 dans La Une CED, Ecriture, Récits

Chantier interdit au public (par Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard)

 

Amis Français d’ici ou d’ailleurs, good morning ! Vous aimez les petits trains ou les petites voitures, n’est-ce pas, comme celles que vous poussiez enfant, sur le tapis dans votre chambre, couleur béton, en imitant les bruits du moteur. Ou les petits camions. Les engins de chantier comme la grue, la pelleteuse, le bulldozer ou le rouleau-compresseur, pour bâtir votre petit monde à votre hauteur et en toute légalité.

Ici, à Miami, pas de petits trains. Des petites voitures, des petits camions et des borborygmes. Des machines à profusion. À Miami, c’est le terrain de jeux, taille adulte. Ou le bac à sable. Ici, les chantiers ne s’arrêtent jamais. Nuit et jour. Le béton grimpe. Les stars architectes gravent leur nom dans la pierre, l’idée n’est pas nouvelle, ils comblent les trous dans le sol et plus personne, pas même les gosses, ne jouent dedans. Ici, on fore, on drague, on ne rénove pas, on rase et on refait en mieux. Ça coûte moins cher. Investissement à moyen terme, bénéfices à court terme, le long terme, c’est bon pour le virtuel. Miami sous les eaux d’ici un demi-siècle, on modélise mais au fond personne ne veut vraiment y songer. Du rêve, du soleil, du sable et du vent. Point. Les plages seront vidées de leur sable, ratissées jusqu’à l’écorce pour bâtir les immeubles, lesquels immeubles seront rendus à Mère Nature, désagrégés dans cinquante ans. Merci. Retour à la case départ.

Ici, ce ne sont pas les intempéries, les ouragans un peu oui mais jamais trop longtemps, ou les vestiges d’un site sacré des Natives, à Miami, ce sont les lois qui mettent un coup d’arrêt aux chantiers. 772.000 immigrants résidant en Floride, des résidents clandestins que les secteurs de la restauration, de l’agriculture ou du bâtiment emploient. Illégalement. Ça coûte moins cher. Et ça fait des années que ça dure. Mais ça, c’est terminé. Les Cubains, les Puerto-Ricains, les Péruviens, les Mexicains sans papiers ont jusqu’au 1er juillet 2023 pour faire leurs valises et quitter l’État de la Floride avec femme et enfants. Sans passer par la case Vacances.

Plus de gilets jaunes sur les échafaudages rouges, jaunes pour ceux qui travaillent sur le chantier, casques blancs. Ou un gilet orange pour celui qui fait la circulation pour qu’aucune baie vitrée ne tombe sur une voiture, un piéton, un cycliste, un chien. Éviter surtout de débourser des millions de dollars de dommages et intérêts. Des types payés vingt dollars de l’heure, six jours sur sept, dix heures par jour sous quarante degrés.

Des dizaines de millions de dollars pour combler le trou, et dans le trou un hôtel quatre étoiles. Par exemple. Avant le trou, c’était une banque. La banque a sauté, les mosaïques Art Déco avec, elles représentaient les premiers pas de l’homme sur la Lune, un pan de l’histoire de l’Amérique et comment les Natives en Floride se sont battus pour conserver leurs territoires. Douze mois, ça c’est le temps théorique de construction. L’hôtel livré avec climatisation naturellement, du design, du verre, de la lumière, du bien-être, du roof-top, un ou deux bars, boutiques, restaurants, des artistes (pas d’anonymes, s’il vous plaît) et une fête à en avoir mal aux cheveux le lendemain. Lequel hôtel embauchera des valets, des femmes de chambre, des serveurs, des cuisiniers Cubains, Puerto-Ricains, Péruviens, Mexicains, en veillant cette fois-ci à respecter ladite loi. Ça coûte moins cher et c’est bon pour l’image.

Chaque matin, vous tournez autour du chantier de l’hôtel, et sans alibi (un chien), rappelez-vous c’est un exemple, vous balisez votre territoire. Plus de coups de sifflets pour signaler un camion qui recule. Un intrus. Des caméras oui mais qui les regardent désormais. Port du casque obligatoire. Chaque matin, vous vous introduisez en douce sur le chantier, juste quelques minutes. Plus de bruits de moteur, de grue qui tourne, de pelleteuse, de bulldozer ou de rouleau-compresseur. Il y a une palissade, une barrière ouverte, un vigile le nez sur son téléphone pour faire défiler des images tandis que vous, vous cherchez à en prendre. Entre la balançoire et le bac à sable. Vous comblez vos petits espaces, comme lorsque vous étiez enfant, en train de pousser des engins de chantier, sur un tapis couleur béton, en faisant vroum-vroum. À condition bien sûr de bien ranger votre chambre après. Entre l’échelle et la ligne. Vous continuez à jouer au petit train, aux petites voitures, aux Lego, aux poupées. Certains ont juste l’autorisation de le faire.

 

Sandrine-Jeanne Ferron


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A propos du rédacteur

Jeanne Ferron-Veillard

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Jeanne Ferron-Veillard naît le 16 septembre 1975, à Lorient. Grandit en Bretagne puis à Albi. A l’âge des grandes mutations, part sur Paris : pensionnaire à l’école de La Légion d’Honneur. Les études ? Niveau licence, quelques souvenirs en Lettres Modernes. Puis ce sera l’Angleterre où elle restera quatre années. Retour en France, entre autres responsable d’une très jolie librairie à Paris. Petit tour de France puis du monde, lit, écrit et vit depuis au même endroit incognito.