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La Une CED

« La rumeur d’un pas libre » : l’œuvre de Loránd Gáspár (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Vendredi, 09 Octobre 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Loránd Gáspár écrit dans « György Kurtág ou la composition musicale infinie », texte présent dans, daté d’octobre 2005, le 918e numéro de la revue Europe : « Un des traits de la structure, de la constitution de sa création musicale, mais je suppose que cette caractéristique s’étend à sa façon de s’ouvrir à sa vie, c’est d’avoir su toujours suivre très clairement ses intuitions, la singularité de son expérience de la vie, celle de sentir, de percevoir, d’approfondir le fait d’être ici et maintenant, d’épurer sans cesse les lignes de force, les nerfs de sa recherche, sans jamais s’y enfermer ». Cette évocation du compositeur hongrois conviendrait parfaitement à l’œuvre et à la vie propres de Gáspár. Madeleine Renouard, en ouverture du numéro d’Europe que nous venons d’évoquer, résume : « Gáspár occupe dans le champ des Lettres françaises une position unique. Sa langue maternelle n’est pas le français – “ma langue natale comme tu sais te taire”, écrit-il. Traversant “déserts et montagnes”, il a passé le plus clair de son temps à soigner des malades à l’hôpital. Il est donc doublement poète si l’on accepte la définition de Georges Perros dans Papiers collés : “Poème. Un homme est mourant. MOURANT. On le transporte à la clinique. On le sauve. Le poème, c’est l’opération” ».

Les Grandes poupées, Céline Debayle (par Pierrette Epsztein)

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Vendredi, 09 Octobre 2020. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Arléa

Les Grandes poupées, Céline Debayle, éditions Arléa, août 2020, 168 pages, 17 €

 

Qui, dans sa chair, n’a jamais vécu une faille profonde, une blessure d’enfance, ne choisira pas forcément de s’engager sur la trajectoire hasardeuse et épineuse de l’écriture romanesque. C’est pourtant le pari qu’a engagé Céline Debayle. Elle soumet à notre lecture son deuxième roman : Les Grandes poupées.

Une rencontre avec un roman est toujours une aventure exaltante. Si, en tant que lecteurs, nous sommes, dans un premier temps, emportés par l’attraction du récit, nous ne pouvons aucunement, par la suite, échapper à la force de l’écriture parfaitement maîtrisée, tenue et rigoureuse. L’auteur évite tout débordement superflu. Dans cette histoire, nous sommes inévitablement conduits à nous pencher avec attention sur les ressources stylistes exploitées par Céline Debayle pour donner au texte toute sa cohérence et son acuité.

La vulnérabilité ou la force oubliée, Bertrand Vergely (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 08 Octobre 2020. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

La vulnérabilité ou la force oubliée, Bertrand Vergely, Le Passeur éditeur, octobre 2020, 288 pages, 20,90 €

Pour Bertrand Vergely, la vulnérabilité n’est ni fragilité ni faiblesse ; c’est, au contraire, suggère-t-il, la recherche de l’invulnérabilité qui témoigne d’une âme impuissante et triste ! Mais elle est une force ; pas bien sûr n’importe quelle force, mais exactement la force de rester exposé. Ce courage de s’exposer à la réalité de la vie (de ses nécessités comme de ses aléas), il le voit par exemple dans l’honnêteté, qui fait qu’on expose sa noblesse d’âme en prenant le risque de ne pas tricher. Il le voit aussi dans la générosité, qui expose vaillamment sa libéralité, en décidant de donner avant de devoir, ou de faire le premier pas dans l’opportunité commune d’advenue du meilleur. Il le voit encore dans la délicatesse, qui, montre-t-il, se risque à l’innocence du tact et expose, en quelque sorte, la finesse de peau de notre jeu d’humanité. Puisque honnêteté, générosité et délicatesse sont des vertus, l’exposition périlleuse à la présence qui à chaque fois permet celles-ci justifie l’appel social, moral et métaphysique à une vulnérabilité de bonne foi et de bonne volonté. Par exemple encore, la loyauté, montre l’auteur, qui est comme un respect personnalisé de l’exigence d’humanité (« Il y a des moments où seul compte l’honneur de l’humanité », p.276), est aventure rendue risquée par l’horizon même qu’elle se donne : la conquête de la noblesse intérieure.

Ces séparations qui nous font grandir, Anne-Laure Buffet (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge , le Jeudi, 08 Octobre 2020. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Ces séparations qui nous font grandir, Anne-Laure Buffet, éd. Eyrolles, mars 2020, 170 pages, 18 €

 

A chaque séparation, l’être humain ressent la perte d’un petit bout de soi. Ces séparations qui sont autant de deuils de soi-même. Oui, mais de quel « moi » s’agit-il ? Les séparations ne font-elles pas partie d’un long processus d’accouchement de soi ? Notre première séparation, nous la vivons à notre naissance : on est arraché du ventre de sa mère. Et pourtant, cette séparation laisse place à la vie. La vie démarre bel et bien dans la séparation. Ce livre d’Anne-Laure Buffet tente de transformer notre regard sur ces moments compliqués de la vie, qui sont autant de ponts nécessaires pour s’accomplir. Notre vie est un tissage de liens et de séparations pour nous aider à grandir.

D’ailleurs, cette première déchirure qu’est la naissance fait écho à un roman de cette rentrée littéraire (très ordinaire), La vie ordinaire d’Adèle Van Reeth :

« Je vais me séparer de toi. Toi qui n’as rien connu d’autre que l’intérieur de mon ventre, tu vas affronter l’air et l’espace. Tu vas sortir de moi ce sera le traumatisme initial ».

« Ta naissance sera une rupture ». « De cette distance naîtra notre rencontre ».

Ainsi parlait, André Suarès (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 07 Octobre 2020. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Ainsi parlait, André Suarès, éd. Arfuyen, septembre 2020, 171 pages, 14 €

 

André Suarès ou La parole exhaussée

Comment définir ma jubilation à la lecture de ce livre où André Suarès apparaît dans sa complexité autant que dans son intégrité intellectuelle ? Cette forme panoramique – à laquelle nous habitue cette Collection Ainsi parlait, chez Arfuyen – permet de jeter une lumière sur ses intérêts artistiques et humains. De plus, j’y ai retrouvé des idées qui me semblent d’une grande justesse, provoquant mon alacrité intérieure. Car le sujet dominant de l’ouvrage réside dans la proposition suivante : comment augmenter la qualité morale et artistique de la poésie et du poète. Donc, quelle nature doit avoir l’artiste, s’il veut augmenter l’homme, lui faire rencontrer ce qui lui est principal ou principiel, en tous cas lui ouvrir le chemin de la quintessence de l’âme, essence qui ne doit jamais faiblir ?

Suarès montre toujours le haut, peut-être à l’image du Saint Jean-Baptiste de L. de Vinci, lequel indique en somme deux voies : l’une vers le ciel et l’autre, plus prosaïque, vers sa houlette. Cette indication soulignant que la voie mystique n’abolit pas la voie pastorale ; donc, c’est quand même toujours l’exhaussement qui reste désiré et désirable. Avec Suarès, la parole est édifiante, elle désigne la vérité haute de soi, de l’homme et de l’art, du poète et du livre.