Identification

Les Livres

Nathalie Savey, Philippe Jaccottet

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Vendredi, 30 Octobre 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Arts, L'Atelier Contemporain

Nathalie Savey, Philippe Jaccottet, novembre 2015, 136 pages, 30 € . Ecrivain(s): Nathalie Savey , Philippe Jaccottet Edition: L'Atelier Contemporain

 

Dans le cœur insituable du silence

Que sait-on, sans mot dire, du silence ? Le langage en n’est que l’érection relative, il est mâle. Le silence est féminin car absolu. Présent en toutes choses il est son dé-lié. Ainsi peut-il se dire absolu surtout lorsqu’une artiste s’en empare. Nathalie Savey devient l’Ange de l’Eveil (messagère du silence) qu’accompagne le poète (Jaccottet). Il veille à sa nuit et à son aube en émissaire du Levant. Si le langage est à la nature de l’être, l’image surgit avec l’artiste comme sa transnature. Tandis que le langage du poète est distance, la créatrice peut évoquer autrement que de loin le silence qui est coïncidence.

Nathalie Savey exalte une langue fœtale qu’elle fait fructifier. Elle donne au silence un autre sens, une autre vue. Tandis que l’homme des mots sera toujours celui de la limite, la créatrice participe à ce qui est infiniment plus qu’elle : elle la franchit animée d’un souffle prénatal que proposent ses images. Il faut en effet que l’être soit déserté de lui-même pour qu’il se sente habité par le silence dont personne n’est le gardien.

L’Oncle aquatique et autres récits cosmicomics, Italo Calvino

Ecrit par Ivanne Rialland , le Jeudi, 29 Octobre 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Récits, Folio (Gallimard), Italie

L’Oncle aquatique et autres récits cosmicomics, septembre 2015, trad. de l’italien par Jean Thibaudeau (revue par Mario Fusco) et Jean-Paul Manganaro, 128 pages, 2 € . Ecrivain(s): Italo Calvino Edition: Folio (Gallimard)

Ce petit volume de la collection « Folio 2 € » reprend quatre récits précédemment parus dans le recueil Cosmicomics. Récits anciens et nouveaux (Folio, n°5666) : La distance de la Lune, L’oncle aquatique, Les dinosaures, Les filles de la Lune. Il les encadre d’une « note de l’auteur », publié originellement comme postface à la deuxième édition italienne de La memoria del mondo e altre storie cosmicomiche en 1975, et d’une chronologie biographique.

S’il n’est pas besoin d’une introduction pour apprécier la poésie de ces quatre contes, la lecture préalable de la note en précise toutefois la portée et en explique le dispositif. Calvino s’y explique ainsi sur le terme cosmicomics qualifiant ces récits : « Dans l’élément cosmique, pour moi, il n’y a pas tant le rappel de l’actualité “spatiale” que la tentation de me remettre en rapport avec quelque chose de bien plus ancien. Chez l’homme primitif et chez les classiques, le sens cosmique était l’attitude la plus naturelle ; nous, au contraire, pour affronter les choses trop grandes et sublimes nous avons besoin d’un écran, d’un filtre, et c’est là la fonction du comique ». Partant de la cosmologie moderne, le pari est de faire « jaillir de cet univers invisible et presque impensable des histoires capables d’évoquer des impressions élémentaires comme les mythes cosmogoniques des peuples de l’Antiquité ».

Le règne de barbarie, Abdellatif Laâbi

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 29 Octobre 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Pays arabes, Maghreb, Seuil

Le règne de barbarie, 1980 (Préface de Ghislain Ripault), 160 pages, 13 € . Ecrivain(s): Abdellatif Laâbi Edition: Seuil

 

Ce recueil de poèmes est un long cri de souffrance et de révolte. Publié en 1972 alors que son auteur, le poète marocain Abdellatif Laâbi, fondateur de la revue Souffles, dépérissait et pourrissait au secret des cellules de la prison de Kenitra, livré au bon vouloir sadique des tortionnaires de Hassan II, en pleines années de plomb, Le règne de barbarie se lit avec les tripes, avec les poings serrés, avec des saccades de sanglots, durs comme du fer, qui vous montent, ligne après ligne, exploser à la gueule.

Ce recueil de colères est un long hurlement de loup blessé, aux chairs prises dans les crocs de l’arbitraire du traqueur de liberté.

Préfacé par Ghislain Ripault, autre poète, qui en 1972 était coopérant français au Maroc, Le règne de barbarie ne se lit pas, mais se vit, se chevauche, se galope comme la noire monture de l’apocalypse, annonciatrice de la fin des temps des sombres seigneurs et de l’époque des vengeances éclatantes et justes des peuples : « Il est temps de dire pourquoi je dégueule ce monde ».

Charlie le Simple, Ciarán Collins

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 28 Octobre 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, La rentrée littéraire, Joelle Losfeld

Charlie le Simple, Ciarán Collins, Joëlle Losfeld, octobre 2015, trad. de l’anglais (Irlande) par Marie-Hélène Dumas, 432 pages, 26,50 € . Ecrivain(s): Ciarán Collins Edition: Joelle Losfeld

 

Il était une fois, à Ballyronan, « un très joli coin » dans la région de Cork, en Irlande, un couple d’amoureux, Sinéad et James, qui avait un ami, Charlie McCarthy, et celui-ci entreprit de raconter leur histoire à tous trois, une histoire de fin d’adolescence, d’êtres d’exception et de musique sans laquelle la vie n’a aucun sens. Voilà, en quelques mots, résumé le premier roman de Ciarán Collins (1977), auteur irlandais de Charlie le Simple (The Gamal en anglais) qui, depuis sa sortie en 2013, a convaincu par sa puissance une bonne partie de la presse anglo-saxonne, des deux côtés de l’Atlantique, ainsi que le lectorat allemand, avant de tenter l’aventure en terres francophones. A ce sujet, avant même d’évoquer le roman et ses qualités, célébrons le travail de la traductrice française, Marie-Hélène Dumas qui, contrairement à nombre de ses confrères, ne s’est pas pris les pieds dans les expressions liées à la musique : au contraire, elle a tout rendu avec sensibilité, et Charlie le Simple n’est pas un de ces romans où le lecteur vaguement anglophile s’amuse à retrouver les expressions typiquement anglo-saxonnes sous un vernis francophone.

Les tristes champs d’asphodèles, Patrick Kermann

Ecrit par Marie du Crest , le Mercredi, 28 Octobre 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Théâtre, Espaces 34

Les tristes champs d’asphodèles, 2015, 90 pages 14,80 € . Ecrivain(s): Patrick Kermann Edition: Espaces 34

 

« Dans la ville nocturne d’un monde catastrophé »

La pièce Les tristes champs d’asphodèles, de Patrick Kermann, a été publiée en 1999 aux éditions Phénix et créée au théâtre de la Digue à Toulouse par le groupe Arrière, mis en scène par Solange Oswald, qui a beaucoup travaillé sur Kermann. La relire en 2015 est une urgence, celle de la (re)découverte d’une parole théâtrale incandescente, qui va aux confins d’elle-même, celle du poète qui nous parle de notre monde mais surtout des mots qui portent ce monde à bout de mots. Le texte s’ouvre sur une dédicace à des frères de théâtre : Béhar, Gabily, Lerch et Piemme, comme si Kermann fondait sa propre recherche au sein d’une communauté artistique et littéraire.

De quoi s’agit-il ? D’une épopée, qui se souvient en épigraphe de la source mésopotamienne (Kermann cite Gilgamesh). Ou plutôt d’une suite de rencontres et d’épreuves, numérotées et titrées pour deux personnages indissociables, soudés dans l’orthographe de leur nom : Lun ; Lautre. Lun parle et Lautre n’y parvient pas. Il est incapable de « dire quoi ». Ils se meuvent tous deux, se séparant et se retrouvant, dans la ville du crépuscule (1) jusqu’à la nuit « agonisante avec ses brumes matinales » (14).