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Les Livres

Place Colette, Nathalie Rheims

Ecrit par Stéphane Bret , le Lundi, 23 Novembre 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Léo Scheer

Place Colette, Août 2015, 311 p. 20 € . Ecrivain(s): Nathalie Rheims Edition: Léo Scheer

 

La narratrice de Place Colette est une très jeune fille, d’extraction bourgeoise, qui s’ennuie ferme dans son foyer familial, d’où ses parents, volages et conformistes tout à la fois, sont souvent absents … Les vacances passées en Corse chaque année la contraignent à subir le rituel familial : les anecdotes cent fois répétées, la malveillance de la voisine de la résidence, la présence de personnages issus du milieu littéraire, parmi lesquels Michel Mohrt, Paul Morand, Félicien Marceau. Le père de la narratrice est en effet candidat à l’Académie française et exerce pour préparer au mieux sa candidature un peu de lobbying …

Pourtant, ce qui va sauver cette très jeune fille, qui a longtemps été immobilisée et hospitalisée par suite d’une erreur de diagnostic, c’est la littérature, la connaissance des classiques dont elle a tout loisir de s’imprégner durant ses loisirs forcés. A l’issue de trois années, un professeur découvre sa véritable maladie. Il l’opère, elle guérit. De nouveau en pleine possession de ses moyens physiques, la narratrice n’a de cesse de revoir à Paris un homme nommé Pierre, beaucoup plus âgé qu’elle. Il est Sociétaire de cette vénérable institution et joue régulièrement salle Richelieu, Place Colette, siège de la Comédie-Française.

La Petite Plage, Marie-Hélène Prouteau

Ecrit par Philippe Leuckx , le Lundi, 23 Novembre 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

La Petite Plage, éd. La Part Commune, septembre 2015, 128 pages, 14 € . Ecrivain(s): Marie-Hélène Prouteau

En une longue topographie presque amoureuse, disons solidaire, Marie-Hélène Prouteau élève une toute petite plage bretonne au rang des sites d’une vie. Tout y a été vécu, senti, donné, repris, comme un legs d’une résidence d’autrefois, comme celui de patientes générations de mer, comme celui, aussi généreux, d’une mémoire vive, féconde et soucieuse.

En une vingtaine de stations devant cette plage concrète ou symbolique, l’auteure ramène à elle des pans de passé, colorés, aigus, pleins d’algues, de goémons, des pas des aimés (ah ! la grand-mère et le souvenir blessé d’un oncle Paul perdu à cause de la guerre !). Elle rameute le doux des promenades, le « promenoir » des anciens qui lui ont appris un regard futé sur le monde des vagues, des chemins et des vents. Il y a du Sansot (Chemins aux vents) chez cette Bretonne, cette volonté d’asseoir dans sa prose légère et vivifiante des moments, des récits (on ne peut passer sous silence l’épisode de l’Allemand et du chien), des blasons d’un passé resté unique. Car il y a, c’est l’évidence, des leçons à prendre dans ces morceaux de plage, dans cette rumeur naturelle, dans cette enfance retrouvée (et combien d’épisodes du livre font mention des années soixante, de ce que l’enfant a pu conserver des usages et des modes et de l’histoire concrète). La plage, certes, est un personnage de premier plan, que l’on peut découvrir à la nage, dont on peut graver sur les laminaires les variations et l’intemporalité, que l’on peut garder au cœur « qui fait sécession ».

Puerto Apache, Juan Martini

Ecrit par Cathy Garcia , le Samedi, 21 Novembre 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Amérique Latine, Roman, Asphalte éditions

Puerto Apache, traduit de l’espagnol (Argentine) Julie Alfonsi et Aurélie Bartolo, octobre 2015. 224 p., 21 €. . Ecrivain(s): Juan Martini Edition: Asphalte éditions

Puerto Apache est un polar social, trempé dans un humour noir et amer sur des airs de cumbia, qui à travers le récit d’un seul narrateur, aborde le quotidien d’un des bidonvilles autogérés de Buenos Aires. Bâti sur une ancienne friche industrielle sur la rive du río de la Plata, c’est un des lieux où ont atterri bon nombre de personnes pendant la crise monumentale qui a frappé l’Argentine, au début des années 2000. Des exclus porteurs d’un élan malgré tout, qui espéraient donner à ce lieu une forme de dignité.

Et celui qui raconte, c’est Le Rat.

Le Rat, c’est le fils du Vieux, celui qui tient les rênes de Puerto Apache, qui fait marcher la boutique… Les filles surtout. Comme tout lieu à la marge, faut bien se débrouiller, car même si les habitants s’autoproclament comme « un problème du XXIe siècle », ils savent bien que ce n’est pas de l’extérieur qu’il va se résoudre ce problème. Alors tout le monde se débrouille et la débrouille ça finit souvent par tremper dans la magouille, on fait un peu de rapine, des petits trafics, des petits boulots, comme faire passer des messages chiffrés, juste des chiffres, c’est ce que fait le Rat pour le Pélican, un caïd de la ville. Ça paye un peu et le Rat ne se pose pas trop de questions, rien de mal, juste délivrer des chiffres, jusqu’au soir où trois hommes déboulent chez lui et l’embarquent pour un passage à tabac conséquent et incompréhensible.

Le secret de l’empereur, Amélie de Bourbon Parme

Ecrit par Philippe Chauché , le Samedi, 21 Novembre 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

Le secret de l’empereur, août 2015, 320 pages, 20 € . Ecrivain(s): Amélie de Bourbon Parme Edition: Gallimard

 

« Dès le dernier hommage rendu, il prit le bras de son majordome, esquivant les ambassadeurs de Venise et de France, mais aussi les représentants des villes voisines qui voulaient lui faire leurs adieux en personne. Il avait mieux à faire. Inspecter ses horloges pour sa visite quotidienne, voir si elles avaient bien sonné l’heure de sa nouvelle vie ».

Le secret de l’empereur est le roman de la désaffection du pouvoir, de son détachement, du retrait, du renoncement de Charles Quint aux titres et au trône. En quelques mois, d’octobre 1555 à septembre 1558, c’est tout un monde qui va se dissoudre, l’Histoire qui va basculer du Palais des ducs de Brabant à Bruxelles au monastère de Yuste dans l’Estrémadure, du bruit et de la fureur au silence religieux. Renoncement à la gloire, à la guerre et au monde, renoncement aux palais et aux courtisans, aux honneurs et aux trahisons qui se nouent, aux jalousies, pour ne garder que quelques fidèles compagnons et ses horloges – Elles rythmaient des jours plus illustres, la durée d’un pouvoir universel, venu de Dieu. Les horloges et les montres seront sa grande passion et son beau mystère, comme l’art subtil de la narration est celui d’Amélie de Bourbon Parme.

Sortir du noir, Georges Didi-Huberman

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Samedi, 21 Novembre 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Les éditions de Minuit

Sortir du noir, novembre 2015, 64 pages, 6 € . Ecrivain(s): Georges Didi-Huberman Edition: Les éditions de Minuit

Georges Didi-Huberman prouve comment dans Le Fils de Saul l’univers est une obscurité qui se meut en tous sens, suspendue à une chambre de mort dans le regard du héros (ou de la victime) qui la réfléchit. Ce corps miroir est réfléchi par le corps du récit où est réfléchi le fond d’un abîme, d’un chaos. Mais c’est parce qu’il y a de l’image que le corps se pense ici. Elle « concentre » et oriente l’effet miroir du corps vivant dans le corps mort d’un enfant qui augmente intensément son pouvoir réfléchissant.

Dans le camp de la mort, tel que le film Nemes le montre, le corps change de portée, il est la nasse noire qui parle le chagrin irrépressible au-delà des larmes. Le monde entier se referme, enseveli avec les corps. Et Didi-Huberman explique comment la robe du récit n’est plus un enrobement, il dévoile s’écartant autant du documentaire que de la fiction.

A partir de récits de « zimmercommandos » promis à la mort car ils portent sur leur dos leurs frères et leurs secrets, la Shoah n’est que plus prégnante. Le réalisateur contourne l’obstacle de la représentation par le rôle prépondérant de la bande son (qui utilise toutes les avancées technologiques) et l’espace off qui sollicitent l’imaginaire du regardeur. La diégèse si elle est respectée n’a rien de naturalisme. Pour autant elle n’est pas simplifiée par les codes dramatiques identifiables induits par les autres récits sur l’Holocauste.