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Les Livres

Bidoch’ Market, Michel Bellier

Ecrit par Marie du Crest , le Mercredi, 25 Novembre 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Théâtre, Lansman Editeur

Bidoch’ Market, coll. Théâtre à vif, avril 2015, 68 pages 12 € . Ecrivain(s): Michel Bellier Edition: Lansman Editeur

 

Bienvenue au Bidoch’ Market

Commençons par la dernière pièce à ce jour de son auteur, Bidoch’Market : la pièce est une commande de la compagnie Eclats de scène, Cultures itinérantes. Un titre qui revendique le mauvais goût du vocabulaire et de la langue qui saigne comme un énorme morceau de viande. La bidoche dégoûte : elle est pourtant animalité et humanité. L’esthétique que choisit l’auteur oscille entre la radicalité de la violence (tragique) et la bouffonnerie du monde clownesque. Les personnages ne s’en tireront pas mais ils y croiront jusqu’au bout. Ils parlent et chantent. Ils font un tour de piste et s’en vont.

Michel Bellier définit ainsi son écriture : « tragédie clownesque à goût de farce ». Le texte emprunte à la fois au monde du cirque et de ses numéros refermés sur eux-mêmes et enchaînés à vive allure (cf. les quatorze titres qui structurent l’ensemble) et à celui d’une dramaturgie reprenant prologue et épilogue antiques. Le personnage du Grand dont la parole domine la pièce a des airs de clown blanc dominateur et les deux inséparables, jusque dans la sonorité de leur nom, Tiboulo et Trabendo eux sont comme un souvenir de l’auguste mais en plus désespérant. Le Grand est aussi un roi, un tyran de théâtre classique.

Toxiques, quand les livres font mal, Laurent Jouannaud

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mercredi, 25 Novembre 2015. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres

Toxiques, quand les livres font mal, L’Editeur, août 2015, 144 pages, 12 € . Ecrivain(s): Laurent Jouannaud

 

Eloge de l’affliction addictive

En littérature comme ailleurs il est des douleurs qui fascinent et des plaisirs qui tuent. Généralement les critiques font l’impasse dessus. Ils pérorent en tombant dans la métaphore exhaustive pour chanter l’écriture rayonnante des écrivains qui les ont charpentés. Laurent Jouannaud choisit un parcours inverse. Il opte pour une autre faconde plus radicale et pour ses créateurs de l’effondrement : ceux qui l’ont « déconstruit ». Mais pour mieux lui ouvrir les yeux selon des expériences de fondement.

Ce chemin de traverse est aussi pertinent qu’impertinent. Retenant « ses » sept livres de son bouleversement (Les fleurs du mal, Voyage au bout de la nuit, Une saison en enfer, Mémoires d’Adrien, Belle du Seigneur, La recherche du temps perdu et L’Innommable), l’essayiste fait éprouver plus qu’expliquer comment l’articulation du corps et de la langue, du silence et des mots joue dans « ses » livres toxiques dont il prétend ne pas se faire le prosélyte. C’est bien sûr faux. Et l’on s’en réjouit.

La fiancée de Bruno Schulz, Agata Tuszynska

Ecrit par Marc Michiels (Le Mot et la Chose) , le Mardi, 24 Novembre 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays de l'Est, Roman, Grasset

La fiancée de Bruno Schulz, septembre 2015, trad. polonais Isabelle Jannès-Kalinowski, 400 pages . Ecrivain(s): Agata Tuszynska Edition: Grasset

« J’étais convaincue que le monde était composé de mots. J’étais prête à me donner corps et âme à cette vision. Et à Bruno, car c’était lui qui m’avait ouvert les yeux ».

Józefina Szeliska, dite Juna, juive convertie au catholicisme, est lumineuse à 28 ans quand elle rencontre pour la première fois Bruno Schulz. Il en a 13 de plus qu’elle. Elle est professeur de lettres polonaises, diplômée de l’université de Lwów, traductrice, curieuse et dans la pleine possession d’une force irrésistible, sa jeunesse. Belle comme une Antilope en bronze, elle deviendra entre 1933 et 1937 sa fiancée, sa muse… Bruno quant à lui, est un artiste tourmenté, comme le feu et la cendre, peintre, dessinateur, il pouvait être timide et débauché à la fois. Ils partageaient tous deux leur intérêt pour les œuvres de Rainer Maria Rilke, Thomas Mann et Kafka dont ils traduisirent Le Procès pour la maison d’édition Rój, lui s’occupant de la teneur stylistique, elle de la traduction. Mais Juna aimait les arbres, la pluie, le vent et de longues promenades dans Drohobycz, située en Pologne, ville provinciale de Galicie orientale et aujourd’hui en Ukraine. Bruno préférait voir la nature par le prisme de lectures, de tableaux, comme la résolution d’énigmes métaphysiques, une survie comme un principe essentiel. Prolongement de l’art, comme une promesse, un salut à cette vie trop sombre, d’un homme trop sensible à la vérité, en dehors d’une notoriété superficielle. Il n’avait pas l’âme d’un voyageur, ni celui d’un mari, seul le masque de l’artiste rongé par l’inquiétude semblait l’accompagner tout au long de sa vie…

Encore, Hakan Günday

Ecrit par Mélanie Talcott , le Mardi, 24 Novembre 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Galaade éditions

Encore, août 2015, trad. turc Jean Destat, 384 pages, 24 € . Ecrivain(s): Hakan Günday Edition: Galaade éditions


« La pire chose est quand le crime devient normal, quand tu ne perçois plus chaque meurtre

comme le premier commis au monde. Ça veut dire que tu es habitué, c’est une maladie,

mais qui te permet de continuer à vivre ».

Hakan Günday, Encore

 

Les migrants sont des proies. Spoliés de leur vie, expulsés aux frontières, mal accueillis par des pays inhospitaliers qui se réclament pourtant orgueilleusement des Droits de l’Homme. Depuis nos fauteuils confortables, on imagine leur voyage halluciné. Le froid, la pluie, la boue, la faim, la peur la solitude et la mort qui les nargue en faisant danser ses falots. Hakan Günday, écrivain turc au style percutant, nous emmène sur d’autres chemins, plus rudes encore, ceux où œuvrent les passeurs, les négriers de notre modernité. Près de la mer Egée, passer les « têtes » est une histoire de famille et de corruption, un « boulot et une façon de lutter pour vivre ». Rackets, viols, chantages, arnaques. Le business de la détresse.

Le Décaméron, Boccace

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 23 Novembre 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Nouvelles, Folio (Gallimard), Italie

Le Décaméron, trad. de l’italien par Giovanni Clerico, 1056 pages, 12,40 € . Ecrivain(s): Boccace Edition: Folio (Gallimard)

 

Voici, signé Boccace, un parfait roman d'été : des intrigues à foison, des histoires à destination des dames, du rire, assez bien de sexe, un peu de larmes et de réflexion, un chouia de morale, et le tout est emballé. A vrai dire, c’est le roman de l’été depuis 1353, mais ne chipotons pas sur l’appartenance ou non à l’actualité littéraire : Le Décaméron, première grande œuvre en prose de la littérature italienne, a traversé bientôt sept siècles sans jamais voir fléchir la courbe de son succès ; nous verrons si les romans à la mode traverseront quant à eux sept semaines.

L’histoire est connue : en 1348, durant que la peste frappe cruellement Florence (le chapitre introductif est apocalyptique), sept demoiselles et trois jeunes gens trouvent refuge, entourés de leurs serviteurs, dans successivement deux luxueuses propriétés, quasi édéniques, quelque peu éloignées de la ville. Pour agrémenter leur séjour, ils décident que chacun d’entre eux devra raconter aux autres une nouvelle chaque jour – sauf le vendredi et le samedi, dédiés respectivement à la mémoire des souffrances du Christ et au repos. Donc, durant ce total de quatorze journées, ce sont cent nouvelles qui vont être racontées, cent histoires remarquables par leurs protagonistes et, surtout, leur dénouement.