Pendant que les mulots s’envolent, Corinne Valton
Pendant que les mulots s’envolent, janvier 2016, 190 pages, 13 €
Ecrivain(s): Corinne Valton Edition: Paul & Mike
Sutures et reprises
Corinne Valton est une styliste particulière. Elle concrétise ce qu’écrit Bernard Noël : « C’est en défaisant qu’on fait ». Ses nouvelles cependant offrent moins des déconstructions que des transformations du monde à travers ses nouvelles souvent drôles. Les personnages sont parfois reliés d’un texte à l’autre selon divers rapports par accrocs, jointures, coutures. En ce sens l’auteur lutte contre la ressemblance à « façon » (pour parler couture) et par voie de conséquence contre nos constructions mentales.
Les nouvelles sont faites de cambrures et de spasmes. Les personnages sortent des limbes du quotidien pour devenir chimères propres à d’extraordinaires voyages entre le dehors et le dedans. En dépit de la présence du monde contemporain les textes n’en représentent pas le simple miroir mais saisissent ce qui fait du réel un marécage afin d’en faire saillir des envols particuliers.
Au réel, la jeune créatrice propose ses nécessaires césures et hiatus. Le concept d’imaginaire y trouve un nouvel essor. Les personnages y sont autant entravés que libres en des histoires dégingandées. Contre les simples apparences des jeux de surface du quotidien, la profondeur prend droit de cité. Surgissent des achèvements paradoxaux par effet de béances. Tout est transmutation vers d’iconoclastes béatitudes. Au besoin le réel s’érotise en absence de corps – l’inverse est vrai aussi.
Chaque nouvelle montre par dessous ce qui est fomenté en dessus. Le concept de détricotage des apparences n’a donc plus besoin de traités théoriques : une nouvelle suffit. Dans chaque nouvelle la compacité du tissu du réel s’ajoure, crée le clair, le transversable. Les pères, les mères et leurs enfants en perdent les deux premiers leurs racines, les autres leurs repères. Il y va d’un dégorgement dans de sacrés manèges et ménages.
L’écriture est altière, drôle, vive car Corinne Valton est surdouée. On l’attend dans un registre plus long – à savoir le roman. Mais chaque nouvelle est déjà une aventure où se tend la passerelle enchantée – parfois – capable de franchir l’abîme de l’évidence. Les personnages ne cultivent pas forcément une modalité de déclarations d’amour géométriques mais l’ubiquité diaphane d’échanges crée un jeu plein d’humour entre la noirceur du monde et une certaine solarité. A des visions spirituelles se joignent bien des tensions. Corinne Valton s’y fait couseuse et découpeuse d’étranges centres de gravité.
Nous voici faisant corps avec une œuvre saisissante et son onde de choc. S’ensuit une résonance inédite de sourds jaillissements lumineux au sein « des bidules, des machins » que représentent les choses de la vie et les vicissitudes du quotidien. C’est du pur plaisir farci de clin d’œil et d’attention à l’humain trop (ou pas assez ?) humain.
Jean-Paul Gavard-Perret
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