Kannjawou, Lyonel Trouillot
Kannjawou, janvier 2016, 208 pages, 18 €
Ecrivain(s): Lyonel Trouillot Edition: Actes Sud
Le vocable « Kannjawou » signifie dans la culture populaire d’Haïti le partage, la fête, à l’occasion de réjouissances. Dans le roman de Lyonel Trouillot intitulé ainsi, ce dernier met en scène cinq jeunes gens, qui à la veille de leur entrée dans l’âge adulte, osent encore rêver de leurs avenirs : ils se nomment Sophonie, jeune serveuse au Kannjawou, nom d’un bar du quartier de l’Enterrement à Port-au-Prince, Wodné, Joëlle, Popol. Leur soutien quotidien, c’est man Jeanne, mère de substitution un brin protectrice, qui tente de sauvegarder des règles d’humanité et prodigue des conseils à ces cinq adolescents, peut-être déjà en danger de perdition. Un autre personnage, le « petit professeur », tente grâce à sa vaste bibliothèque de leur inculquer des bribes de connaissances, de l’éducation.
Mais comment cela est-il réalisable dans ce pays, Haïti, dont l’auteur nous rappelle, très opportunément, qu’il a été occupé une première fois par les Américains, de 1915 à 1934, et qu’il est occupé une seconde fois par les ONG, les organisations non gouvernementales, depuis le récent tremblement de terre de 2010. Ce que met en relief Lyonel Trouillot, c’est le décalage entre les bonne intentions de ces occupants, et la réalité haïtienne :
« On entend même dix ans trop tard des voix qui dénoncent l’occupant. Tout le monde parle (…) ça s’appelle la démocratie. Tu mens et tout le monde t’écoute. Tu dis la vérité et plus personne n’écoute. Et on te répond par la voix très douce d’une jolie porte-parole au teint hâlé que c’est bien que tu t’exprimes. Mais les fusils restent. Et les chars Et le malheur ».
Pourtant, ces adolescents tentent à maintes occasions de barrer la route au malheur et à la fatalité : ils s’entraident, tentent de créer un centre pour gamins, une source éducative pour enfants en mal de repères, souvent dénués de parents ou d’attaches affectives solides. Le constat est terrible : l’un des membres de la bande des cinq se résigne à l’échec, à l’impossibilité de s’en sortir vraiment : « Les quatre autres, nous devenons au fil des jours, sans trop vouloir le reconnaître, les plus riches parmi les pauvres, ou les pauvres les mieux lotis. Il leur manque les mots, les connexions. Ou, s’ils bougent, c’est sur un bateau dont ils ignorent la vraie destination ».
Prégnance du malheur, victoire de ce dernier ? En tout état de cause, Lyonel Trouillot pour sa part donne une réponse par la bouche de l’un de ses personnages : « Et notre absence ne changera rien au vaste cours des choses. Le tout est de meubler ce presque cherchant la juste mesure. Aujourd’hui, pour meubler ce rien je ne pardonne pas au malheur ».
Stéphane Bret
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