Le Sage des bois, Georges Picard
Le Sage des bois, janvier 2016, 240 pages, 19 €
Ecrivain(s): Georges Picard Edition: Editions José Corti
Nous avons tous des projets, des rêves, des idéaux, enfouis quelque part. Nous arrivons à en vivre certains, ou une partie, ou même la totalité, peut-être… Mais à notre époque, très souvent, du rêve à la réalité il y a un pas plus ou moins grand, parfois un gouffre. Comment cultiver son jardin ? Le plus important est sans aucun doute d’essayer. C’est ce que va faire le narrateur de Le sage des bois. Et c’est le récit de cette tentative de grand écart d’un « jeune homme exalté » que nous allons lire sous la plume de Georges Picard.
L’idéal est assez simple : rejeter la vie banale qui lui est proposée, partir, aller quelque part, vivre selon ses idées, voire selon un Idéal, « nourrir son esprit des choses de la nature autant que des idées philosophiques », comme l’a écrit Henry David Thoreau, ce « sage des bois », dans une œuvre qui en fait rêver plus d’un encore aujourd’hui : Walden ou la vie dans les bois, et qui est le bréviaire du narrateur, qui a « beaucoup lu, encore plus rêvassé ». Citadin sans domicile, il choisit de partir seul, sans argent, avec une tente et une canne à pêche, sans « compétences monnayables ». Pas trop sûr de l’utilité d’une licence de philosophie quand il faudra monter la tente – cette caisse dont parle Thoreau et dans laquelle dormaient les ouvriers, avec leurs outils – construire une cabane et se nourrir dans la nature. Mais il part à la recherche de ce lieu idéal, cet étang, bien sûr, en Sologne ou dans le Cantal, bref, près de cette nature qui pourrait ressembler à Walden.
Mais l’Idéal n’est-il pas « un mirage quand il est dissocié des moyens concrets de sa réalisation » ? Et dans ce cas : comme le mettre en œuvre. Autrement dit, comment s’y était pris Thoreau ? Est-ce qu’une philosophie – celle de Thoreau, « abondamment citée par des écrivains qui ne se déplacent qu’en voiture » – est transposable concrètement dans le monde d’aujourd’hui ? Et sur qui s’appuyer, avec qui partager son idéal ? Que lui proposent ses amis, enfin, les rencontres, plus ou moins de passage, en ville ou au bord des chemins, Amandine, Lucrèce, Fréchot, Rupert, un sans-papiers, quelques jeunes désœuvrés à Romorantin, des randonneurs ridicules, autant de personnes elles-aussi enfermées dans leurs mondes ? Une bouquiniste l’invite à imiter D’Ormesson plutôt que Thoreau… « Il n’a pas besoin de vivre en sauvage comme votre Thoreau pour être un grand écrivain ». Que faire, comment faire face à tant d’adversité – qui, selon Thoreau, « est une occasion de tester la force de notre âme » ?
« Etre philosophe ne consiste pas seulement à avoir de subtiles pensées, mais à résoudre des problèmes de la vie » écrivait Thoreau. Laissons le lecteur découvrir comment le narrateur va se sortir de ces « difficultés ». Que va devenir cette « idée sublimée de Walden » ? Réussite ou échec ? « Poursuivre mon projet jusqu’au découragement ou inventer un raisonnement ingénieux pour en excuser l’abandon » ?
Ce récit – ce « roman humoristique » selon l’éditeur, et il est vrai que l’on rit beaucoup, parfois jaune, mais on rit – présente l’avantage pour le lecteur de se (re)plonger dans Walden, un grand livre, et dans la pensée de Thoreau, encore bien utile aujourd’hui. Sa lecture permettra également à chacun de se (re)poser quelques questions. A quoi sert un livre, la littérature, Walden ou la vie dans les bois ? Peut-on concilier des préceptes philosophiques et la vie ? A-t-on besoin que des livres pensent pour nous ? Et qu’avons-nous fait de notre propre vie, où en est-on avec nos rêves et nos idéaux, notre soif d’indépendance, de liberté, et que comptons-nous faire…
Georges Picard est romancier, essayiste et philosophe. Il écrit de petits livres étourdissants par la souplesse et la fermeté de leur style et par la subtilité de leurs analyses de « l’humaine condition ». Son œuvre fine et lumineuse (publiée aux Editions Corti) s’inscrit dans la grande tradition des essayistes dans le sillage de Montaigne (notice établie à partir des informations consultables sur le site des éditions Corti).
Lionel Bedin
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