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Les Livres

Un océan, deux mers, trois continents, Wilfried N’Sondé

Ecrit par Stéphane Bret , le Vendredi, 26 Janvier 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Actes Sud

Un océan, deux mers, trois continents, janvier 2018, 269 pages, 8,70 € . Ecrivain(s): Wilfried N’Sondé Edition: Actes Sud

 

Comment faire face au mal absolu ? Sans le nommer ainsi de prime abord, Wilfried aux mesquins venus de l’océan nous donne des esquisses de réponse dans Un océan, deux mers, trois continents. Le personnage central, Nsaku Ne Vunda, est né vers 1853 sur les rives du fleuve Kongo. L’une des particularités de son destin est qu’il a été éduqué à deux sources, dont la cohabitation est à cette époque, très peu fréquente : le culte et le respect de ses ancêtres africains d’une part, une solide éducation chrétienne dispensée par les missionnaires, de l’autre. Il est ordonné prêtre et son nom chrétien est Dom Antonio Manuel… Il est chargé par le roi des Bakongos, peuple du Kongo, de devenir son ambassadeur auprès du pape Clément V.

Pourtant, Nsaku Ne Vunda va, dans un premier temps, toucher du doigt un épisode de l’histoire humaine décisif pour l’Afrique, bien sûr, mais aussi pour l’économie du monde d’alors, et pour l’Occident : la réduction à l’esclavage de millions d’Africains, et leurs déportations vers les Amériques. Ce roman évite, et c’est l’un de ses multiples mérites atouts, les pièges : celui d’étonner les Africains de toute responsabilité, on n’ose dire complicité, dans l’organisation de la chaîne de la traite négrière :

La Rose de Saragosse, Raphaël Jerusalmy (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 25 Janvier 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Actes Sud

La Rose de Saragosse, janvier 2018, 190 pages, 16,50 € . Ecrivain(s): Raphaël Jérusalmy Edition: Actes Sud

 

C’est un court roman que nous offre Jerusalmy, mais quelle intensité, quelle poésie, quelle délicatesse ! Le cadre de Saragosse quelques années avant « la catastrophe » annoncée pour les Juifs d’Espagne – l’exil, l’arrachement à la terre que l’on croyait pouvoir aimer pour toujours – est un écrin d’autant plus précieux et séduisant qu’il est désormais, pour Ménassé de Montesa, sa famille, et toute la juiverie* espagnole, en danger imminent de disparaître.

On est en pleine inquisition et Torquemada est de plus en plus puissant et féroce. Les mécréants, les apostats, les « sorcières » constituent son gibier ordinaire. Mais les Juifs – même les « conversos » – font ses délices mortifères.

L’inquiétude est déjà bien installée dans les maisons juives quand survient – le livre commence ainsi – le meurtre du Père Arbuès, membre de l’Inquisition, en pleine église. Les tensions alors arrivent à un sommet dans la ville.

L’art de perdre, Alice Zeniter

Ecrit par Franck Verdun , le Mercredi, 24 Janvier 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Flammarion

L’art de perdre, août 2017, 512 pages, 22 € . Ecrivain(s): Alice Zeniter Edition: Flammarion

 

Les harkis ont subi le malheur des vaincus et celui-là était à double détente. Ils ont dû fuir leur pays pour la France ; mais là, leur présence évoquait trop visiblement la colonisation, la guerre et la défaite, comme la tache de sang poursuivait le crime de lady Macbeth.

Les harkis, comme tous les perdants, n’ont pas d’histoire. Chacun choisit alors sa stratégie de survie. Certains décident de déserter leurs souvenirs : ils choisissent le silence. Mais le vide du silence est une masse dense qui obéit aux lois de la physique. Il satellise les êtres autour de lui, il obsède comme la présence du membre fantôme que l’on a amputé. Cette éternelle histoire des perdants, Alice Zeniter l’écrit magnifiquement dans L’art de perdre. Le roman raconte la filiation de Naïma, jeune femme née de père Kabyle et de mère française dont les grands-parents Ali et Yema ont quitté l’Algérie pour la France en 1962, et qui après un passage dans des camps de travail parviennent dans l’appartement d’une HLM de Normandie.

Vertiges suivi de l’adaptation scénique de Christine Dormoy, Patrick Kermann

Ecrit par Marie du Crest , le Mercredi, 24 Janvier 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Théâtre, Espaces 34

Vertiges suivi de l’adaptation scénique de Christine Dormoy, Patrick Kermann, novembre 2017, 126 pages, 17 € Edition: Espaces 34

 

« Paroles et musique »

Il est impossible de lire Vertiges sans se dire que c’est la fin, l’entrée dans le sommeil. S’endormir comme dernier verbe. L’édition du texte elle-même nous invite à saisir le livre dans les derniers moments de l’écriture comme les dernières heures de la vie puisqu’elle mentionne en sous-texte, avec la pudeur du chagrin : février 2000.

Le 29 février 2000 sera le dernier jour de Patrick Kermann. C’est peut-être cela le plus grand vertige, cette forme de malaise face au vide, cet étourdissement du monde qui tourne, qui chavire. Vertiges au pluriel proférés par les voix multiples des burlesques « monomaniaques », d’écervelés selon le propos de l’auteur qui au fond passent leur temps à radoter et celles du quatuor vocal impuissant à remettre par le langage de l’ordre au monde. Dans Vertiges, P. Kermann dit l’explosion humaine semblable à celle des réacteurs de Tchernobyl qui ont tout anéanti. Il a beaucoup pensé à cette catastrophe nucléaire en lisant la Supplication de Svetlana Alexievitch, au moment où il écrivait son texte.

Cette nuit, Joachim Schnerf

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 23 Janvier 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Zulma

Cette nuit, janvier 2018, 146 pages, 16,50 € . Ecrivain(s): Joachim Schnerf Edition: Zulma

 

Salomon est un vieil homme qui porte à l’avant-bras un tatouage. Pas un prénom féminin, un cœur ou quelque autre emblème folklorique. Une suite de chiffres. Enfant, il fut déporté à Auschwitz avec ses parents. Lui seul en réchappa et put revenir du dernier cercle de l’enfer. On a beaucoup publié sur des thèmes comme « vivre après Auschwitz », « écrire après Auschwitz », « aimer son semblable et lui faire confiance après Auschwitz », etc. Pour Salomon, ce ne sont pas des questions théoriques. Ayant vu ce que personne n’aurait jamais dû voir et ce que nul ne peut pleinement communiquer, il surmonta cette expérience en développant un « humour concentrationnaire » très personnel. Il prit le parti d’en rire, ce qui ne manque jamais de provoquer de l’embarras (pour le dire gentiment) en société. Peut-être grâce à cette politesse du désespoir (une définition bien connue de l’humour), Salomon put fonder une famille et mener une vie aussi normale que possible. Joachim Schnerf prend son personnage de patriarche à un moment délicat de son existence : il vient de perdre sa femme et doit organiser seul la Pâque juive qui s’annonce.