Déchirance, Hans Limon
Déchirance, octobre 2017, 22 €
Ecrivain(s): Hans Limon Edition: Le Bateau Ivre
« Contre la mort écrire, mourir, décrire, sourire du cri d’écrire. Sodomiser la Faucheuse, lui faire un petit roman dans le dos. Un récit naîtra, frémissant, me survivant. Il me faut du temps. Disloqué loquace » (Au commencement).
Déchirance s’invite en littérature, comme une comète traverse un ciel d’été, un petit corps céleste aux traînées lumineuses constitué de phrases étincelantes et hypnotiques, de souvenirs, de poèmes incendiaires, et dont le noyau en mouvement permanent n’est autre que le corps de l’auteur. Un corps meurtri, bouleversé, changeant, aimant, se transformant, jeune corps heureux et souffrant. Le corps ici fait le roman et Déchirance le consacre. Déchirance est roman monde qui semble avoir été écrit sous les terribles protections de Lautréamont – Cette nuit, j’ai vu la mort, et j’aurais presque pu la toucher– et d’Artaud – Vois-tu, voyant trop allumeur cinglé des vents d’antan, il n’y a que toi qui puisse faire justice à mes turpitudes –, un roman à fleur de peau et qui effleure les nerfs, roman où à chaque page Hans Limon se livre et livre son corps aux flammes romanesques du récit, non pour disparaître, mais pour ressusciter, par la grâce de l’art du roman, par les manières de la matière en fusion qui hantent les pages de Déchirance.
« Je ne suis pas des vôtres. Je n’ai jamais pu l’être. D’autres projets. Une vie à reconstruire, dépecer, balayer. Un roman impossible. Une souffrance morne et taiseuse, étouffée sous des touches de morphine récoltées sur les cimes des hospices ».
Déchirance est un roman de flibustier qui se lance à l’abordage de la littérature, de tout ce qui est littérature, des vaisseaux romanesques qu’il fait sien est un instant, ses phrases sont des grappins et des cordages où il s’accroche, il saute de ponts en ponts, car il en va de sa survie, physique et littéraire. Il écrit sa vie et se sauve. Il se sauve en écrivant sa vie, comme Pierre Guyotat se sauvait en écrivant Vivre. Déchirance traverse le Purgatoire et l’Enfer, avant de s’aventurer aux portes du Paradis –Le miraculé portera toujours à son flanc l’acide cicatrice du monde, second nombril, à moins qu’il ne se déshumanise ou meure, pour de bon –, il sait que cette Vie Divine à laquelle il aspire se gagnera en y laissant larmes, sang et sueur. Il sait que les éclaircies s’annoncent, mais pour cela Il faut se réveiller. Déchirance est le roman, le récit d’un nouveau réveil, laissant au fond d’un lit défait les pires cauchemars marins, pour embrasser sa Flore attendrie.
« T’as déjà vu dans les films comment on développe les photos après les avoir prises au vol et pour ainsi dire au hasard ? On les plonge dans une espèce de bain, au milieu d’une pièce toute noire. Mes souvenirs sont pareils. Il y a des semaines, des mois ou même des années, j’ai pris des photos du monde sans m’en rendre compte, et mon esprit comme à peine à les développer ».
Hans Limon nous livre ici les confessions d’un enfant du siècle (1), d’un siècle débordé dirait Bernard Franck. Armé d’une plume qu’il n’hésite pas à tremper dans le sang de ses blessures, ne craignant rien, ni personne. Hans Limon se jette dans Déchirance, cette Délivrance, comme dans une mer déchaînée, Vents, qui me soutenez, élevez-moi plus haut ; je crains la perfidie (2), visitant sa vie, comme l’on visite l’Enfer et son Paradis, porté par un style unique, intranquille, fait de briques, d’acide, de perles, et de sable.
Philippe Chauché
(1) Olivier Steiner dans sa Préface
(2) Les Chants de Maldoror, Parfums de l’âme, Isidore Ducasse Comte de Lautréamont (La Table Ronde)
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