Søren Kierkegaard, Œuvre I et II en la Pléiade
Søren Kierkegaard, Œuvre I et II, La Pléiade, Gallimard, mai 2018, sous la direction de Jean-Louis Jeannelle et Michel Forget, 62 et 63 €
Edition: La Pléiade Gallimard
Redéfinir l’existentialisme
Søren Kierkegaard n’a eu cesse (dans ce qu’on a assimilé à tord à l’existentialisme à la française) à une défense de la foi contre l’église. En particulier la Danoise qu’il tourne en dérision au nom de son conformisme crasse que le père lui infligea avant qu’il ne se révolte. Cette religion de bas étage ne fait que gommer le paradoxe de la foi qui pour ce nouveau Pascal résulte du rapport et de l’incommensurabilité absolue entre la vérité éternelle et l’existence humaine.
Chez le philosophe du XIXème siècle mais dont le propos demeure d’actualité, l’existence impose de comprendre que les choses les plus opposées doivent et peuvent se réunir dans le processus de la naissance à soi-même. Cela demande un « effort » non seulement intellectuel mais de tous les instants dans le métier de vivre et bien loin d’une pure essentialisation. « L’individu, s’il ne devient pas possesseur de la vérité en existant, dans l’existence, ne la possédera jamais », écrit le philosophe. Le paradoxe, c’est donc l’expérience vivante et existentiellement vécue de cette vérité.
Son approche se fait – entre autres dans le livre intitulé Étapes sur le chemin de la vie, republié par La Pléiade – selon trois moments : le stade de la sensation qui se réduit à l’immédiateté de l’instant et des sens (pour Kierkegaard, le Don Juan de Mozart en est le prototype ; par sa conquête compulsive des femmes il reste l’homme du désespoir. Mais l’individu peut en sortir en fondant sa vie sur des normes morales universalisables (stade éthique). L’homme se plie alors aux conventions sans en être dupe. Il a conscience qu’il ne peut y avoir d’existence sans engagement. Ce qui pour le philosophe danois est capital. Mais cette étape demeure insuffisante. Pour atteindre le but suprême de sa vie (l’union de sa finitude avec l’infinité divine) l’être doit atteindre au stade religieux.
Pour lui la religiosité ne saurait se confondre avec une vague croyance, encore moins avec de la superstition (Kierkegaard les pourfend). La vraie croyance n’est rien moins qu’une structure constitutive de la conscience humaine caractérisée par une ouverture à l’altérité radicale avec les choix et les renoncements que cela impose (dans le cas de l’auteur, son mariage par exemple). La foi n’est donc pour lui en rien une certitude mais l’approfondissement sans fin d’un paradoxe que l’auteur définit ainsi : « Je crois bien que je ne vois pas ; et si je crois, c’est parce que je ne peux pas saisir Dieu objectivement ». Et cela ne passe pas par une vue de l’esprit mais un chemin d’existence.
Jean-Paul Gavard-Perret
- Vu : 3608