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Les Livres

Aperture du silence, Carole Carcillo Mesrobian (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 06 Novembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie

Aperture du silence, PhB éditions, juin 2018, 58 pages, 10 € . Ecrivain(s): Carole Carcillo Mesrobian

 

Dans une langue volontiers altière, mais non guindée, riche dans ses rythmes et son lexique, la poète n’écrit pas pour passer le temps mais cerner au plus près l’acte d’écrire. Chargée d’ellipses qui décontenancent et donc attisent l’intérêt du lecteur, cette poésie joue aussi d’une densité bienvenue qui ne va jamais fleureter avec un minimalisme desséchant :

La nuit jamais ne t’apprivoise

Elle est sauvage comme aucune bête

La solitude est son habit comme au fauve (p.16)

 

Ou

Le Triomphe de la bêtise ou Le gâteau au chocolat du président Donald Trump, Armand Farrachi (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 06 Novembre 2018. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Le Triomphe de la bêtise ou Le gâteau au chocolat du président Donald Trump, Armand Farrachi, Actes-Sud, mai 2018, 112 pages, 12,50 €

Pétrarque (1304-1374) fut l’inventeur d’une rhétorique amoureuse qu’on imita durant près de cinq siècles, jusqu’au Romantisme. Ceux qui feuillètent encore son Canzonierene remarquent pas toujours que le recueil est composé de deux parties, les « Sonetti et Canzoni » et les « Trionfi », qu’on lit encore moins que le reste, poèmes allégoriques en tercets (comme la Divine Comédie), mettant en scène successivement le Triomphe de l’Amour, de la Chasteté, de la Mort, de la Gloire, du Temps et de l’Éternité. Les Trionfi suscitèrent des épigones, pas autant, toutefois, que les sonnets amoureux, qui ont placé une bonne part de la poésie française du XVIesiècle sous le signe d’un pétrarquisme de série.

Armand Farrachi proposerait-il un septième triomphe, celui de la Stupidité, qui engloberait les six autres (sans doute la bêtise n’est-elle pas éternelle, mais ne serait-elle pas immortelle ?) ? Lointaines héritières de Joachim de Flore, les Lumières avaient formulé la croyance à un progrès infini (ou à des progrès, le XVIIIesiècle employant plus volontiers le terme au pluriel). De manière visible, Armand Farrachi ne partage pas (ou plus) cette foi :

Pour une fois que tu es beau, Jean Cagnard, par Marie du Crest

Ecrit par Marie du Crest , le Lundi, 05 Novembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Théâtre, Espaces 34

Pour une fois que tu es beau, 2018, 90 pages, 14,50 € . Ecrivain(s): Jean Cagnard Edition: Espaces 34

 

« Le monde est un cyclone enroulé autour de son œil »

La nouvelle pièce de Jean Cagnard est comme un cyclone, un ouragan qui emporte la froide logique. Elle a été écrite et montée pour deux comédiens et des marionnettes. Le corps des comédiens attachés au fils des créatures articulées semblables à des doubles grotesques. Ajoutons à cela un pianiste jouant du Léonard Bernstein ou du Michel Legrand ainsi que le décor d’une toile peinte. La fantaisie fait que les deux personnages, la mère et le fils, jouent la poésie des métamorphoses, celle des transformations animales (le cochon et le cerf) et celle de leur propre corps grandissant démesurément du fils et à l’inverse, rétrécissant de celui de sa vieille génitrice. Le monde a bien subi un profond chambardement, celui qui traverse la planète, le réchauffement climatique qui fait disparaître tour à tour le Groenland puis l’Afrique du sud. Il ne reste plus qu’à délocaliser en Europe la fabrication des bouillottes, à la suite du Tibet. La lecture du texte nous embarque, nous donne le mal de mer dans les tangages du sens : en mer, il faut toujours fixer un cap pour se prémunir des méchantes nausées. La représentation sans doute rend plus doux ce voyage hasardeux.

La ville en fuite, Roman d’une jeunesse effrénée à Erevan, Jean-Chat Tekgyozyan, par Cathy Garcia

Ecrit par Cathy Garcia , le Lundi, 05 Novembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays de l'Est, Roman

La ville en fuite, Roman d’une jeunesse effrénée à Erevan, Belleville éditions, octobre 2018, trad. arménien Mariam Khatlamajyan, 176 pages, 18 € . Ecrivain(s): Jean-Chat Tekgyozyan

 

Pas facile de faire une critique de La ville en fuite, probablement du fait que tout comme la ville, le roman dans son entier semble nous échapper en permanence, quand on en a attrapé un bout et qu’on commence à suivre le fil – bim ! – on se retrouve sens dessus-dessous et il faut à nouveau chercher un bout de fil auquel se raccrocher mais en vain, car tout le roman est un nauséeux mélange de réel et de rêve-cauchemar hallucinatoire, nous sommes enfermés dans la tête des deux protagonistes principaux, Gagik et Grigor.

Le roman est divisé en deux parties, deux versions décousues d’une même histoire, à charge au lecteur d’essayer d’en tirer quelques bribes de cohérence. L’écriture vacille, se pose pour aussitôt réapparaître ailleurs, retourne sur ses pas et on finit par ne plus chercher à comprendre tellement on a le tournis. Alors, on se laisse en quelque sorte malmener, bousculer, l’humour est là et la poésie aussi, notamment dans les magnifiques passages qui parlent de la grand-mère de Gagik et son incroyable chevelure dotée elle aussi d’une vie propre :

L’enfant d’Ingolstadt, Dernier Royaume, Tome X, Pascal Quignard (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 02 Novembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Grasset, Histoire

L’enfant d’Ingolstadt, Dernier Royaume, Tome X, septembre 2018, 288 pages, 20 € . Ecrivain(s): Pascal Quignard Edition: Grasset

 

« C’est ainsi qu’il faut débuter les chapitres dans les histoires qu’on note : très vite. Comme d’un jet. Comme la première des lettres. Comme un taureau qui fonce.

Avançant le pied gauche dans le jour et le monde, pied droit scellé pour toujours dans la porte d’Eden ».

L’enfant d’Ingolstadt est la nouvelle suite d’une odyssée savante, goûteuse, troublante, inspirée, le nouvel opus d’une encyclopédie unique, et vibrante comme une pièce musicale de Marin Marais. Il y a seize ans, Pascal Quignard, nous offrait le premier acte de cette fresque littéraire, musicale, et historique, à la langue inspirée : Je ne cherche que les pensées qui tremblent.

Aujourd’hui, tel un augure, il découpe à l’aide de sa plume sacrée, un rectangle dans ce Royaume où se mêlent la Grèce, la Chine, des musiciens, des peintres, les rêves, et le faux et son attrait : Comme l’eau écrase le plongeur qui a gagné le fond de l’océan, le silence écrase l’homme tandis qu’il est en train de regarder ce qui le sidère.