L’Expérience à l’épreuve, Correspondance et inédits (1943-1960), Georges Bataille, Georges Ambrosino (par Jean-Paul Gavard-Perret)
L’Expérience à l’épreuve, Correspondance et inédits (1943-1960), Georges Bataille, Georges Ambrosino, Editions Les Cahiers, coll. Hors Cahiers, novembre 2018, 424 pages, 35 €
Face à Face
La recherche de la vérité et la manière de résoudre les problèmes que cela pose restent le centre des querelles dont les lettres de Bataille Et Ambrosino se font écho. Les deux chercheurs pouvaient se rejoindre dans une forme de synthèse ou du moins vers celui qui pourrait la donner : le poète. Seul il « sait qu’il n’y a pas de solution mais seulement une intensité dans le paradoxe ». Mais pour Ambrosino, le scientifique s’en estime plus proche que le philosophe. Ce que Bataille d’une certaine manière conteste : au mépris du savant répond sa méfiance envers lui.
Dès lors la correspondance avance telle une course d’obstacles intellectuels mais aussi psychologiques. Les deux correspondants possèdent leur caractère. « Ambro », quoique bouillonnant de vie, est toujours réfléchi, maîtrisé, porté à communiquer. Bataille est plus emporté et cassant, prêt à rompre sinon l’amitié du moins la correspondance. Sa rage pourtant ne pointe jamais dans ce dialogue. En dépit de ses divergences avec Ambrosino, il reconnaît ses qualités intellectuelles et son raisonnement. Mais plus que lui, Bataille se laisse emporter vers certaines « folies ». En ce sens il est plus poète que son correspondant. Toutefois et comme le souligne en fin de livre la fille de Bataille, « leurs limites étaient différentes », si bien que leurs diverses colères se conjuguent que bien, que mal.
Une telle correspondance entraîne dans le monde physique et métaphysique comme dans les univers micro et macro cosmiques. S’y retrouve ce qu’ils avaient commencé avant guerre.De la première lettre d’Ambrosino du 21 novembre 1945 à sa dernière, un brouillon du 24 octobre 1960 jamais envoyé, les deux correspondants auront abordé la parution de La Part maudite, le lancement de la revue Critique, les projets et les conceptions théoriques de Bataille. Les lettres témoignent de leur militantisme d’avant-garde nourrie et anticipée par l’expérience d’Acéphale. Et les deux auteurs ouvrent un champ intellectuel imprégné d’existentialisme, de marxisme et du surréalisme pour les dépasser.
S’écrit parfois un scénario où un maître affirme que l’amitié n’est plus réglée sous le sceau du sacré ou des leçons scientifiques de divers champs. Les mots sont parfois forts. Bataille reproche par exemple à Ambrosino de « mettre sa confiance à l’épreuve ». Mais les « actes inconsidérés » de l’un ou de l’autre resteront secondaires (enfin presque…) dans cette lutte commune où il s’agit de chercher une voie de plénitude.
Celles des deux émissaires divergent parfois mais finissent par faire avancer le lecteur vers une pensée en confrontation et en mouvement. Là où écrit Bataille, il ne s’agit ni de don ni de sacrifice envers l’ami. Il s’agit d’une confrontation nécessaire sans laquelle on ne peut se rapprocher d’un objet de vérité fondamentale. Bataille est souvent plus exalté qu’Ambrosino pour atteindre comme il l’écrit dans une de ses lettres « la seule fin qui tienne, qui est la jouissance ou simplement la plénitude de l’instant ».
Jean-Paul Gavard-Perret
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