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Les Livres

Céline en Afrique, Pierre Giresse (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Lundi, 03 Juin 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Biographie

Céline en Afrique, Du Lérot Editeur, février 2019, 184 pages, 30 euros. . Ecrivain(s): Pierre Giresse

 

 

« Quand la vie de Céline sera bien connue, elle paraîtra aussi étonnante que son œuvre », dixit Dominique de Roux (Céline et ses classiques, Marc Hanrez). Pour bien connaître la vie de Céline, il suffirait de se pencher sur ses romans ou de se rendre sur les lieux où il est passé. Pierre Giresse a fait les deux. Ainsi s’est-il rendu au Cameroun, sur les pas de Céline qui, après ses quelques mois au front et un premier séjour londonien, a vécu à Bikobimbo – que l’auteur du Voyage au bout de la nuit orthographie « Bikomimbo », volontairement ou non – pour une période de neuf mois, entre 1916 et 1917. En Afrique naît la passion de Louis Destouches pour la médecine – « de voir des médecins, je trouvais ça épatant ». En Afrique naît aussi une plume. À Bikobimbo, Louis Destouches est non seulement « médecin sans diplôme », selon l’expression de P. Giresse, mais aussi écrivain sans roman.

Ovaine, La Saga, Tristan Felix (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 03 Juin 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Ovaine, La Saga, Tristan Felix, Tinbad, avril 2019, 228 pages, 23 €

 

Journal picaresque

Picaresque ? Oui, et au sens presque littéral, celui de l’autobiographie littéraire d’un héros haut en couleur. À la manière par exemple du Portrait des Meidosems de Michaux. Toujours est-il que cette épithète m’est apparue au milieu de la lecture du livre de Tristan Felix. Et son héros, ou plutôt son héroïne, Ovaine, est déjà en soi un personnage débridé. Son nom du reste incite à la fantaisie et au jeu de mots : Ovaine, Eau-Veine, Love-Haine, Au-Baine, Ovation, Ovin/ovaine, Ovulation, Vaine/dévaine… Et tout de suite, nous plongeons dans le trou étourdissant d’Alice, ou dans le tunnel du métro parisien où Zazie évolue. Et encore, dans une langue rabelaisienne, ou dans l’expression romanesque de chevalerie, que Don Quichotte illustre merveilleusement – en même temps qu’il la fait disparaître. Donc un combat hardi. Une lutte contre les bornes du langage, la limite des mots, et tout cela au bord de la folie sans fin et déchaînée d’une anadiplose, toujours sous le signe du rêve ou de l’humour, un monde fantastique, loufoque, profus. Il y a sans douter une logique aux 324 récits, répartis en neuf parties de 36 strophes qui racontent tout à la fois des événements uniques, mais toujours en fragments de petites histoires narrées dans une langue malaxée et folle, sorte de métaphore du récit humain et de son énigme.

Trois gouttes de sang, Sadeq Hedâyat (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 31 Mai 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Asie, Nouvelles, Zulma

Trois gouttes de sang, mai 2019, trad. persan Gilbert Lazard, Farrokh Gaffary, 192 pages, 8,95 € . Ecrivain(s): Sadeq Hedâyat Edition: Zulma

 

Sang et phosphore

Dès la première nouvelle, Sadeq Hedâyat puise au répertoire allégorique de son pays d’origine, l’Iran, à travers les jardins, la présence des animaux, la musique, la famille, les marginaux, tous étranges et entêtants. Dans un temps bouleversé, traumatisé, chaque récit recoupe un pan de l’histoire syncopée des vieux mondes islamisés, dans des espaces que hantent les morts. L’on y rencontre le chat à « la plainte déchirante », au « roucoulement amoureux », l’œil – sacré, celui du destin, l’œil porte-malheur, jusqu’à l’œil crevé de l’aveugle –, la référence parabolique aux fables, Kâlila wa Dimna, puis l’hommage au poème versifié et à la prose persans.

Ainsi, la nature morte recouverte de poussière, synonyme du passé, se remet à embaumer et à reverdir. La survivance olfactive d’« un parfum de violette » alimente la mélancolie nocturne et la folie, comme le prouve l’acharnement exalté de l’archéologue américain de la nouvelle Le trône d’Abou Nasr, taraudé par l’espoir de trouver la porte qui mène aux trésors enfouis du vieux Chiraz, tentant de déchiffrer des manuscrits complexes, et qui creuse sans ménagement l’entrée du caveau.

Lettre à un enfant à naître, Haïm Cohen (par Sandrine Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Vendredi, 31 Mai 2019. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Flammarion

Lettre à un enfant à naître, mars 2019, 160 pages, 19,90 € . Ecrivain(s): Haïm Cohen Edition: Flammarion

 

Ce qui rendrait l’homme si spécifique serait l’érotisation de l’acte sexuel. Et sa néoténie (bien que d’autres espèces partagent cette caractéristique). « Il est possible de déconnecter totalement la procréation de la sexualité ».

L’homme ?

Au commencement, il est une cellule née d’un désir, d’un amour, d’une pulsion, d’une rencontre, quelle qu’elle soit. Puis deux, puis quatre, puis huit puis seize. Des milliers de cellules. Ce sont 39 gènes dits « architectes », les mêmes pour toutes les espèces, qui ordonneront à des gènes dits « ouvriers » de construire, de modeler les tissus et les organes, de placer telle partie du corps en précisant la direction. 21000 gènes. Une cascade de réactions ciblées qui mèneront à toi, au terme de 287 jours. De la première cellule apparue sur terre à nous tous. Universalité et origine communes sont au cœur de la vie.

Œuvres, tome II, Friedrich Nietzsche en la Pléiade (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Vendredi, 31 Mai 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Œuvres, tome II, Friedrich Nietzsche, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, n°637, mars 2019, trad. allemand Dorian Astor, Julien Hervier, Pierre Klossowski, Marc de Launay, Robert Rovini, 1568 pages, 65 € (prix de lancement jusqu’au 31/12/2019)

 

Nietzsche peut heurter, quand, dans Le Gai savoir, à la question « Où résident tes plus grands dangers ? », il répond : « [d]ans la compassion ». S’opposant ainsi implicitement à un auteur comme Michelet, à qui Eugène Noël avouera aimer l’œuvre « surtout parce qu’[elle] est une grande école de pitié ». C’est dans Aurore [1] que Nietzsche explicite son analyse de la pitié : « Compatir, dans la mesure où cela fait véritablement pâtir – et ce doit être ici notre unique point de vue – est une faiblesse comme tout abandon à un affect nocif. Cela accroît la souffrance dans le monde : même si indirectement, ici ou là, une souffrance peut être atténuée ou supprimée grâce à la compassion, il n’est pas permis d’exploiter ces conséquences occasionnelles et dans l’ensemble insignifiantes pour justifier son essence qui est, nous venons de le dire, nocive. Supposons qu’elle règne un seul jour en maîtresse : elle entraînerait aussitôt l’anéantissement de l’humanité ».