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Les Livres

Des jours d’une stupéfiante clarté, Aharon Appelfeld (par Mona)

Ecrit par Mona , le Jeudi, 20 Décembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, L'Olivier (Seuil)

Des jours d’une stupéfiante clarté, janvier 2018, trad. hébreu Valérie Zenatti, 272 pages, 20,50 € . Ecrivain(s): Aharon Appelfeld Edition: L'Olivier (Seuil)

 

Le dernier livre de l’écrivain israélien Aharon Appelfeld, qui nous a quittés cet hiver, raconte un voyage de retour chez soi et en soi : l’errance du jeune Théo à travers les paysages d’Europe centrale lorsque, à la libération du camp de concentration, il décide de quitter ses camarades prisonniers pour rentrer chez lui. Nimbé de brouillard, le jeune rescapé des camps avance sur une longue route sinueuse vers la lucidité cristalline « des jours d’une stupéfiante clarté ». Dans cette rencontre avec le silence de la plaine, on est frappé par la récurrence des mots « contempler » et « visions » qui ponctuent tout le récit du voyage, récit à la fois d’une pérégrination et d’une plongée en soi.

Ce voyage de retour chez soi, c’est d’abord l’histoire d’une intimité enfin retrouvée : Théo recherche son âme, ce qui l’a nourri comme ceux qui l’ont nourri et dont il a été brutalement arraché par la déportation. En route, il reconstitue les lambeaux de son passé : la vision de sa magnifique mère qu’il revoit sans cesse, en extase devant les icônes des monastères et les couchers de soleil, émue autant par les sonates de Bach que par la beauté des lacs. Il se souvient aussi, enfant, des délicieux bains chauds qu’elle lui donnait, de sa coquetterie frivole pour le maquillage et belles parures.

Par des traits, Henri Michaux (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Jeudi, 20 Décembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Fata Morgana

Par des traits, octobre 2018, 112 pages, 25 € . Ecrivain(s): Henri Michaux Edition: Fata Morgana

 

Vers un nouveau langage, Henri Michaux

Parlant des idéogrammes chinois, Michaux évoquait ce que ces « formes » généraient : « plutôt que choses, corps ou matières, montrant des groupes, des ensembles, exposant des situations. […] de lestes signes des paysages de branches fleuries et de feuilles de bambous qu’avaient vus en images et appréciaient » les paysans qui ne savaient pas lire.

A partir de là, Michaux, en deux livres, va à la recherche de ce paradoxal langage aussi neuf que premier. Les éditions Fata Morgana republient un des deux, Par des traits (1984). Comme dans l’autre livre de l’auteur sur le même sujet (Saisir), celui-ci rassemble pages de textes, de dessins abstraits, poèmes, essais, et groupes de signes graphiques à l’encre noire.

L’écriture chinoise n’y est jamais loin. Mais l’auteur propose, à partir d’une telle base, son propre « vocabulaire ». Michaux rêve d’un langage universel qui remplacerait les mots par les signes. L’objectif est de « saisir » de manière originale le monde et ses secrets là où le vocabulaire tomberait comme un fruit trop mûr.

Solal et les Solal, Albert Cohen (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Jeudi, 20 Décembre 2018. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Solal et les Solal, Albert Cohen, Gallimard, coll. Quarto, octobre 2018, édition de Philippe Zard, 1664 pages, 34 ill., 32 €

 

Soit Belle du Seigneur :

Ô aigu bonheur du secret. Avant la représentation, elle lui avait dit qu’au premier acte lorsqu’elle descendrait les marches, sa main se poserait près de l’aine, pour prendre de l’étoffe et soulever un peu la robe, une robe d’un bleu profond, un bleu si beau, et ainsi par ce geste il saurait qu’en cet instant, étrangère et lointaine, c’était à lui qu’elle pensait, à leurs nuits.

Elle allait, nue sous la robe voilière qui claquait au vent de la marche, marche enthousiaste, marche de l’amour, et le bruit de sa robe était exaltant le vent sur son visage était exaltant le vent sur son visage haut tenu, son jeune visage en amour.

Correspondance (1942-1982), Roman Jakobson, Claude Lévi-Strauss (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 19 Décembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Seuil, Correspondance

Correspondance (1942-1982), mai 2018, trad. Patrice Maniglier, préfacé, édité, annoté Emmanuelle Loyer, Patrice Maniglier, 434 pages, 25 € . Ecrivain(s): Roman Jakobson, Claude Lévi-Strauss Edition: Seuil

Isaiah Berlin – repris par Michel Serres – affirmait que le monde des chercheurs se pouvait diviser en deux catégories : les sangliers et les renards. Les sangliers labourent le sol en profondeur, mais dans un périmètre restreint ; tandis que les renards ne creusent pas, mais parcourent de vastes étendues. Roman Jakobson appartenait indiscutablement à la seconde catégorie. La pression des circonstances historiques le contraignit à une série d’exils qu’il sut faire fructifier : né en 1896, il dut quitter la Russie communiste (1920) pour se réfugier en Tchécoslovaquie (un État alors tout neuf), d’où il fut forcé de partir en 1939 pour le Danemark, la Norvège, puis la Suède, avant de finir par quitter le continent européen pour les États-Unis (1941). Ces déracinements successifs eussent brisé bien des êtres humains, mais Jakobson renforça son goût des langues (il parfait et écrivait aussi bien le russe et le tchèque que le français, l’anglais et l’allemand). Ses aptitudes en auraient fait un bon agent secret – la rumeur a d’ailleurs couru (p.139, note 2). Il élabora une œuvre profuse et protéiforme, rassemblée dans neuf épais volumes de Selected Writings, portant aussi bien sur la linguistique, les études slaves, la littérature comparée, la poétique, le Moyen-Âge. L’œuvre de Claude Lévi-Strauss, pour vaste qu’elle soit, se rattache principalement à une discipline, l’anthropologie.

Celui qui est digne d’être aimé, Abdellah Taïa (par André Sagne)

Ecrit par Luc-André Sagne , le Mercredi, 19 Décembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Maghreb, Seuil

Celui qui est digne d’être aimé, 2017, 136 pages, 15 € . Ecrivain(s): Abdellah Taïa Edition: Seuil

 

 

Le roman d’Abdellah Taïa s’appuie sur un dispositif particulièrement soigné, à la fois sur le plan chronologique et narratif, pour dresser le portrait croisé d’Ahmed, homosexuel marocain, et double de l’auteur, à travers quatre lettres qui se répondent entre elles et donnent à voir, soit directement quand il en est lui-même à l’origine, soit indirectement par l’intermédiaire de ceux qui l’ont connu et qui lui écrivent, les évolutions de sa personnalité et son endurcissement progressif. Quatre lettres, de 2015, 2010, 2005 et 1990, selon l’ordre temporel inversé adopté par le livre, écrites donc pour deux d’entre elles (2015 et 2005, peut-être l’année charnière) par Ahmed et les deux autres par Vincent (2010) et Lahbib (1990). De ce point de vue, le texte est une sorte de tour de force, une remémoration chorale à plusieurs entrées, exercice intime à trois voix, sombre et violent, qui n’a rien d’un exercice de style.