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Les Livres

Et la mariée ferma la porte, Ronit Matalon (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 18 Décembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Actes Sud, Israël

Et la mariée ferma la porte, octobre 2018, traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz, 142 p. 15,80 € . Ecrivain(s): Ronit Matalon Edition: Actes Sud

 

Le court roman d’adieu de la regrettée Ronit Matalon, disparue hélas il y a un an, est un trésor littéraire et un formidable cri de femme. On pourrait dire de femme israélienne, tant l’héroïne de cette histoire, Margui (la mariée), associe les détresses diffuses d’une jeune femme confrontée à la perspective d’un destin fermé, et celles d’un pays, Israël, qui vit avec la même peur d’un lendemain impossible. C’est un roman de la fragilité, de l’inquiétude. Pas seulement celle de la mariée qui refuse soudain son destin immédiat, mais aussi celle du marié, Matti, qui, derrière la porte close de sa fiancée, va endosser peu à peu toutes les peurs, tous les doutes, tous les refus de celle qui est enfermée de l’autre côté. Margui, Matti, Ronit Matalon n’a pas choisi ces prénoms si proches par hasard. Ils sont miroirs l’un de l’autre et renvoient, métaphoriquement, aux deux peuples qui vivent, « de chaque côté de la porte », en Israël.

Mes amis, Emmanuel Bove (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 18 Décembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

Mes amis, octobre 2018, l'Arbre Vengeur, 200 pages, 7,50 € . Ecrivain(s): Emmanuel Bove

 

Cette réédition (l’œuvre est désormais du domaine public) d’un roman de 1924 (l’auteur n’avait que vingt-six ans), un premier livre, encouragé par Colette, est une extraordinaire surprise. Dès l’incipit (« Quand je m’éveille, ma bouche est ouverte »), l’écriture, simple, dense, économe, éblouit par ses qualités de narration et d’atmosphère. Le personnage-narrateur, Victor Bâton, nous conte sa vie ordinaire, son pauvre garni, sa quête incertaine d’amis, lui, si dépourvu, si fragile. Ce serait superbe si les amis venaient éclairer les pans de sa vie. Hélas, pour notre antihéros, dans ce Paris faubourien, on est à Montrouge et il habite un immeuble de rapport, les locataires et la concierge le voient d’un mauvais œil parce qu’il a une rente militaire (une pension pour avoir fait la guerre de 14) et ne travaille pas. Ce n’est pas faute d’essayer de rameuter la tendresse où qu’elle se trouve, mais beaucoup de rencontres s’achèvent en eau de boudin ou sur les rails de l’ingratitude. Victor voudrait tant être tendre, partager le peu qu’il reçoit. Parfois une Lucie ou une Blanche lui apportent quelque réconfort mais décidément l’errance recommence, la solitude est trop forte.

Le discours vide, Mario Levrero (par Carole Darricarrère)

Ecrit par Carole Darricarrère , le Mardi, 18 Décembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Amérique Latine, Poésie, Editions Noir sur Blanc

Le discours vide, octobre 2018, trad. espagnol (Uruguay) Robert Amutio, 192 pages, 14 € . Ecrivain(s): Mario Levrero Edition: Editions Noir sur Blanc

« Toute impulsion vers un objectif sera déviée immédiatement vers un autre, et ainsi successivement, et l’impulsion vers un objectif premier pourra être reprise ou ne pas l’être ».

Mario Levrero, soldat méconnu de la fine fleur contemporaine du « réalisme introspectif » latino-américain, signe hors sentiers battus, en livrée rouge vanille aux éditions Noir sur Blanc dans l’élégante collection Notabilia, l’œuvre subtilement névrotique d’un reclus laconique qui le place post-mortem dans le sillage intime de la cour des grands aux côtés de génies qui s’ignorent.

Le discours vide est un texte inclassable qui se présente comme un journal intime d’exercices calligraphiques pratiqués au point mort de la vie de famille comme de la narration et prévalent à une hygiène « psychosomatique ». Il se lit aussi fort bien sur le mode du portrait marginal d’un scripteur scrupuleux dont l’excentricité et les paradoxes, à l’arrêt sur le thème de l’interruption de tâche entendue comme « fractalité psychique », confèrent au texte sa singularité. Lisons lentement, afin de « capturer les contenus cachés derrière l’apparent vide du discours (…) sans nécessité de remonter aux premières causes, certainement préverbales », ce livre d’élucubrations existentielles vertueuses faussement naïves poussant l’ir l’ironie jusqu’à la rat rature symptomatique d’un narguant décalage.

Poèmes Western, Estelle Fenzy (par France Burghelle Rey)

Ecrit par France Burghelle Rey , le Lundi, 17 Décembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Editions Lanskine

Poèmes Western, novembre 2018, 64 pages, 14 € . Ecrivain(s): Estelle Fenzy Edition: Editions Lanskine

 

Le dernier recueil d’Estelle Fenzy s’ouvre sur une naissance. Naissance d’un monde, naissance à la vie et, par là, une espérance : « Ici le voyage commence ».

Alors de la nuit naît l’aube. Des antinomies subsistent puisque restent « des ombres oubliées »  et « Si l’on s’approche, quelles ténèbres à lire sur (le) visage »« d’une madone en prière ».

Cette fois-ci la poète a choisi comme rythme celui du verset qu’elle écrit court, alternant avec des pièces de plusieurs lignes. Un creuset qui privilégie à la fois le balancement et le heurt par le choc de phrases brèves.

Ce road-trip, dont le travail photographique de Bernard Plossu a été l’inspiration, emmène le lecteur dans une Amérique fantomatique. Le journal de bord ainsi conçu œuvre comme un film. Du gros plan au plan d’ensemble. Des confettis de « la maison de Peter » – on sait le regard de l’auteure sur l’enfance et son génie à en traduire la magie – de la camionnette, de Susannah Gun, la vieille au pistolet, jusqu’au brouillard « qui recroqueville la terre », jusqu’aux « champs de coton »et aux« sillons de bitume ».

Là où la nuit / tombe, Stéphane Sangral (par Claire-Neige Jaunet)

Ecrit par Claire-Neige Jaunet , le Lundi, 17 Décembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Editions Galilée

Là où la nuit / tombe, avril 2018, 109 pages, 12 € . Ecrivain(s): Stéphane Sangral Edition: Editions Galilée

 

Chaque soir la nuit tombe, où que l’on se trouve – où l’on se trouve : quoi de plus banal, naturel, anodin… que ce phénomène cosmique quotidien qui rythme notre vie et notre temps terrestre.

Anodin ? Pas lorsque Stéphane Sangral entre dans les heures nocturnes et s’aventure dans un enchaînement de séquences qui, ayant mis « la vie en panne », proposent une matière à déchirer : la nuit.

La nuit : un espace pour les mots qui portent en eux « le fond », l’avers du jour qui, lui, est « la forme » de notre existence. Des mots qui donnent une nouvelle couleur à la ville, à la vie, aux rêves, et cherchent le chemin à travers l’informe, en quête de certitudes entre vérité et mensonges, en quête de « vrais soi » – au prix de doutes et au risque de noyade : le Néant qui accapare tout guette le moi.