La conquête des îles de la Terre Ferme, Alexis Jenni (par Stéphane Bret)
La conquête des îles de la Terre Ferme, 449 pages, 7,99 €
Ecrivain(s): Alexis Jenni Edition: Gallimard
Alexis Jenni a le sens de l’histoire. Cette aptitude à resituer les guerres coloniales de la France dans l’exercice d’un art, illustrée à merveille dans son premier roman L’art français de la guerre, il la met en œuvre dans ce roman La conquête des Îles de la Terre Ferme. Comme le rappelle l’auteur dans son texte d’avertissement précédent celui du roman : « Tout est vrai, donc sauf les imprécisions, exagérations, condensations et menteries, qui sont dues au principe de débordement qui réside au cœur de tout roman ». Effectivement, le lecteur ressent cette vérité de la conquête dans ses aspects humains, économiques, religieux, idéologiques. Sans nous faire éprouver de la sympathie pour ces hommes, Alexis Jenni prend soin de nous rappeler qui ils étaient : d’abord, des individus humiliés à l’origine par leur éducation : « Je m’appelle Juan de Luna (…) Je me souviens parfaitement du jour où je cessais de répondre, ce jour précis où mon père que j’indifférais se mit à me haïr, ce qui est un sentiment plus noble que l’indifférence, car plus intense, et plus propre à générer des prouesses ».
Ces prouesses, justement, quel en est le nom ? La recherche de l’or, de la route des Indes, qui devait, selon les Conquistadors, rendre l’Espagne dominatrice, et aussi l’esprit chevaleresque, dont certains conquérants sont imprégnés. Ainsi, le narrateur justifie-t-il sa force de conviction : « C’est comme ça que l’on considère les livres : on croit, ou pas, et moi, dès cette première nuit, je crus ». L’humus intellectuel de ces hommes ne serait pas complet, ni explicable sans se référer à des impératifs religieux : le devoir de convertir ces peuples, au nom de Dieu, du roi d’Espagne.
Alexis Jenni évoque le parcours de ces conquérants, en soulignant certains traits mentaux : Pedro de Alvarado, « impulsif jusqu’à la cruauté », Francisco de Montejo, préférant les fêtes à la guerre, Alonso de Avila, « brutal, mais irascible, turbulent quand il buvait » et bien sûr Hernan Cortès, calculateur, manœuvrier autant qu’idéologue, chef de l’expédition pour la conquête du Yucatan. Les buts de cette expédition sont largement évoqués, sans manichéisme, sans anachronisme historique. Alexis Jenni réussit à nous faire pénétrer dans les arcanes de la psychologie de ces Conquistadors, qui rusèrent, s’allièrent à des tribus indiennes contre d’autres tribus, le tout pour découvrir « la localisation exacte du royaume des Amazones, révéler notre Sainte religion aux peuples qui n’en avaient pas entendu parler. Cela fut l’objet du premier article, puisque la première place est celle de Dieu. C’était fait ».
La conquête des Îles de la Terre Ferme est un roman de qualité, il « déborde », comme le souhaitait son auteur, et nous fait revivre avec intensité et passion les étapes de la conquête du Nouveau Monde, effectuée avec quelques centaines d’hommes, mais qui allait changer la face du continent sud-américain.
Stéphane Bret
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