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La Une Livres

Éloge de la baleine, Camille Brunel (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 04 Juillet 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Essais, Histoire, Rivages

Éloge de la baleine, Camille Brunel, avril 2022, 208 pages, 17 € Edition: Rivages

 

Moby Dick ne commence ni par une épître dédicatoire adressée à un maître ou à un ami de l’auteur, ni par la traditionnelle préface, où Melville expliquerait ses intentions, mais par deux sections avec lesquelles l’auteur prend ses distances, les attribuant à « un pion de collège » et à « un très obscur bibliothécaire ». La première est étymologique et vaguement linguistique, qui se réduit à douze langues (dix en réalité, puisque l’hébreu et le grec pourtant annoncés sont absents) ; la seconde consiste en un relevé (évidemment non exhaustif) de citations, allant de la Genèse aux chansons de marins que Melville avait pu entendre dans les ports américains, en passant par Rabelais, Shakespeare ou Cuvier. Ces pages érudites et borgésiennes avant l’heure rappellent le long compagnonnage de l’être humain avec les cétacés, particulièrement les plus grands d’entre eux, et la fascination qu’ils exercent (Camille Brunel ajoute dans son livre un hommage mérité à Jules Verne, p.153). Mais cette fascination à la fois est récente (il y a moins de trois siècles encore, la mer faisait peur) et n’est plus aussi « innocente » (au sens originel) que celle éprouvée par les écrivains de la Bible ou de l’Antiquité grecque, car l’humanité a fini par se rendre compte du profit économique qu’elle pouvait retirer de ces immenses créatures.

Poulidor enfin !, Christian Laborde / Sport, je t’aime moi non plus, Robert Redeker (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 01 Juillet 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais

Poulidor enfin !, Christian Laborde, Mareuil Éditions, juin 2022, 92 pages, 12 €

Sport, je t’aime moi non plus, Robert Redeker, Entretiens conduits par François L’Yonnet, Insep-Robert Laffont, juin 2022, 112 pages, 10 €

 

Pour bien écrire sur le sport, la bicyclette par exemple, il faut y avoir goûté, pour l’un, Christian Laborde, avoir souvent dégusté les cols des Pyrénées, l’Aubisque par exemple, ou le col de Marie-Blanque, pour l’autre, Robert Redeker, avoir roulé, jusqu’à huit cents kilomètres chaque semaine, confiant à la poche arrière de son maillot ses livres de philosophie, il pédalait pour apprendre à philosopher, et il philosophait entre deux échappées heureuses.

« 15 juillet 1974

ils arrivent ils sont là / c’est le groupe de tête / les plus forts les meilleurs / tous laqués de sueur / à l’orée de la pente / maçons au pied du mur / ô vélos ô taloches / ô bitume bancroche / ici le dur commence il en finira pas » (Poulidor enfin !, Christian Laborde).

La femme à la jupe violette, Natsuko Imamura (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 30 Juin 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, Mercure de France, Japon

La femme à la jupe violette, Natsuko Imamura, avril 2022, trad. japonais, Mathilde Tamae-Bouhon, 117 pages, 15,80 € Edition: Mercure de France

Court roman ou longue nouvelle, La femme à la jupe violette met en scène le personnage éponyme du titre que la narratrice, elle-même actrice intradiégétique du récit, croise d’abord dans son quartier comme le fait aléatoirement un quidam d’un autre avant de fixer son attention sur cette inconnue avec un intérêt croissant, une curiosité de plus en plus exclusive, jusqu’à l’obsession.

La narratrice, Gondó, qui raconte à la première personne, et qui se dénomme elle-même, en opposition à « la femme à la jupe violette » (dont on apprendra furtivement qu’elle s’appelle Mayuko Hino), « la femme au cardigan jaune », est cheffe d’une escouade de femmes de ménage dans un grand hôtel.

Agissant dans l’ombre, à l’insu de celle qu’elle épie constamment et dont elle parvient à connaître tous les aléas d’une existence singulièrement solitaire et d’une vie professionnelle précaire, faite de courts contrats entrecoupés de périodes de chômage, réussit à faire en sorte, par un stratagème ignoré de Mayuko Hino, que celle-ci se présente à un entretien d’embauche suite à quoi elle obtient un emploi de femme de ménage dans ledit hôtel.

Technique du coup d’état, Curzio Malaparte (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 29 Juin 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Grasset

Technique du coup d’état, Curzio Malaparte, Grasset, Les Cahiers Rouges, mars 2022, trad. italien, Juliette Bertrand, 216 pages, 9,90 € . Ecrivain(s): Curzio Malaparte Edition: Grasset

« Je hais ce livre. Je le hais de tout mon cœur. Il m’a donné la gloire, cette pauvre chose qu’on appelle la gloire, mais il est en même temps à l’origine de toutes mes misères ». Ainsi Malaparte ouvre-t-il une préface rédigée en 1948 pour la réédition de Technique du coup d’état, à l’occasion du centenaire du Manifeste communiste ; il est vrai que ce bref essai, publié d’abord en France en 1931, aura connu nombre d’avanies, de l’interdiction en Italie au bûcher hitlérien, et en aura valu de multiples à son auteur, persécuté par Mussolini – alors que Malaparte fut du fascisme de la première heure, en lequel il voyait le levier nécessaire à la révolution sociale qu’il espérait. Puis la réalité du régime mussolinien, son embourgeoisement, sa brutalité bête…

Mais pourquoi tant de haine ? Parce que Malaparte est clairvoyant, parce qu’il se fait historien du présent en analysant sept coups d’état contemporains, plus un vieux d’un peu plus d’un siècle alors, celui 18 Brumaire, afin de démontrer que prendre le pouvoir à l’époque moderne consiste à suivre « la nouveauté introduite par Trotski dans la tactique insurrectionnelle [:] négliger absolument la situation générale du pays ». Ce faisant, Malaparte se met à dos les communistes et les fascistes, et puisqu’il analyse le rapport au pouvoir d’Hitler avant que celui-ci l’ait pris, il en vient à prédire l’avenir (l’élimination de la SA) en suivant une logique simple et moderne. En cela, il est agaçant, du moins pour ceux qui ont pris le pouvoir.

Journaux et Lettres, Tome III 1897-1914, Tome IV 1914-1924, Franz Kafka (La Pléiade)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 28 Juin 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Langue allemande, Biographie, En Vitrine, Correspondance, La Pléiade Gallimard

Journaux et Lettres, Tome III 1897-1914 (66 € jusqu’au 31/12/22), Tome IV 1914-1924 (75 € jusqu’au 31/12/22), Franz Kafka, Bibliothèque de la Pléiade, mai 2022 . Ecrivain(s): Franz Kafka Edition: La Pléiade Gallimard

 

Cette précieuse édition des Journaux et Lettres de Kafka propose une re-traduction complète de textes essentiels dans l’œuvre du maître praguois. Exercice très délicat, s’agissant de restituer en français des écrits en allemand, mais venant d’un homme qui n’est pas un germanophone natif, dimension souvent oubliée mais qui pose néanmoins de vraies questions aux traducteurs car Kafka n’était pas toujours sûr de son allemand. Son génie intuitif lui permettait de toucher juste, de trouver la formule forte, la nuance délicate, mais parfois au prix de quelques torsions linguistiques. Alexandre Vialatte, le traducteur historique de Kafka pour Gallimard, se laissait souvent piéger et s’affranchissait régulièrement du texte original, avec certes talent, mais un peu de désinvolture. Le germaniste Jean-Pierre Lefebvre dirige ici une équipe de sept traducteurs et le résultat de ce travail titanesque est formidable, à la fois précis et d’une grande élégance.