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Le vrai croyant, Pensées sur la nature des mouvements de masse, Eric Hoffer (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 11 Avril 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Essais, Les Belles Lettres

Le vrai croyant, Pensées sur la nature des mouvements de masse, Eric Hoffer, janvier 2022, trad. anglais (USA) Pierre Francart, 264 pages, 17,50 € Edition: Les Belles Lettres

 

Si l’on considère Eric Hoffer (1902-1983) comme un philosophe, un penseur (et il n’y a aucune raison de ne pas le considérer comme tel) et que l’on recherche sur le réseau Internet des informations au sujet de ce philosophe, de ce penseur, très mal connu en France, on sera surpris de tomber sur des photographies qui correspondent fort peu à l’idée que l’on se fait d’un philosophe, un individu en général peu solide physiquement, vêtu de tweed, assis dans un confortable fauteuil ou à son bureau (mais cette image est en soi très récente). Coiffé d’une casquette, un cigare bon marché calé entre les dents, Hoffer fut chercheur d’or, ouvrier agricole et débardeur dans le port de San Francisco, lisant et écrivant à ses heures perdues et bien employées tout à la fois. Son livre le plus célèbre (ou le moins ignoré), et également son premier livre, The True Believer (1951), avait été publié en traduction française dès 1966, sous un titre différent, mais n’avait pas été « reçu » en France. Fallait-il donner une nouvelle chance à ce volume oublié ou ajourné ? La réponse sera à la fois affirmative et enthousiaste, tant Le vrai croyant possède l’éclat limpide d’un grand livre.

De l’écran à l’écrit, Enseigner la philosophie par le cinéma, Frédéric Grolleau (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 08 Avril 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Essais

De l’écran à l’écrit, Enseigner la philosophie par le cinéma, Frédéric Grolleau, éditions Lambert-Lucas, décembre 2021, 322 pages, 24 €

« Quand Foucault définit le Panoptisme, tantôt il le détermine concrètement comme un agencement optique ou lumineux qui caractérise la prison, tantôt il le détermine abstraitement comme une machine qui non seulement s’applique à une matière visible en général (atelier, caserne, école, hôpital autant que prison), mais aussi traverse en général toutes les fonctions énonçables. La formule abstraite du Panoptisme n’est plus “voir sans être vu”, mais “imposer une conduite quelconque à une multiplicité humaine quelconque” ».

Gilles Deleuze

L’hypothèse des Idées (ou Formes)

Dans l’ouvrage De l’écran à l’écrit, Enseigner la philosophie par le cinéma, les dispositifs didactiques sont de haut niveau et Frédéric Grolleau, en méthodologiste averti, apprend, à travers ses cours, à regarder un film, ses plans-séquence, sa diégèse.

Le Soldat indien, René de Ceccatty (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 07 Avril 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman

Le Soldat indien, éd. du Canoë, février 2022, 168 pages, 15 € . Ecrivain(s): René de Ceccatty

Romancier, critique, essayiste, biographe, René de Ceccatty a fait de sa vie un vivier littéraire. Il a passé au crible nombre d’œuvres du monde italien, de l’univers japonais. Il a tracé de grands noms (Pasolini, Morante, Moravia), la biographie, et a traduit sans cesse les œuvres de ces deux langues. Sa volonté de s’inscrire comme un écrivain de la mémoire littéraire l’a amené assez logiquement à s’intéresser à sa propre famille et à remonter le temps, avec la même rigueur, le même désir d’offrir au lecteur le fruit de ses recherches. Ainsi est né, il y a quelques années, Enfance, dernier chapitre, prospection intime dans les années de ses parents, de son enfance.

Aujourd’hui, c’est le même souci qui l’attise : évoquer dans un livre un ancêtre, un grenadier des Indes, issu du régiment de Lorraine, Léopold de Ceccatty, qui a passé quatorze années là-bas, avec sa famille, puis est rentré en France, dans le Jura. Maîtrisant les sources qui, peu nombreuses, ont évoqué ces guerres coloniales du XVIIIe, auxquelles son ancêtre a participé, l’écrivain s’associe directement, en entrelardant son récit d’un autre récit, celui qu’il fit sur les terres de son enfance en Tunisie, son quatrième voyage là-bas, sur les traces de ses ancêtres tunisiens, en quête de la villa où il vécut avec ses parents et son frère Jean, aujourd’hui rasée, en quête aussi de tombes, celle du grand-père Hamida, dans un cimetière profané, caché derrière des parpaings.

La barque le soir, Tarjei Vesaas (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Mercredi, 06 Avril 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Pays nordiques, Roman, En Vitrine, Editions José Corti

La barque le soir, trad. norvégien, Régis Boyer, 192 pages, 19 € . Ecrivain(s): Tarjei Vesaas Edition: Editions José Corti

Régis Boyer, le traducteur et préfacier, pose la question essentielle quant à ce livre : roman, autobiographie ou poème ? Tout en admettant le tort que l’on aurait à vouloir circonscrire un ouvrage dans un genre particulier, surtout quand on reconnaît la richesse de ce même ouvrage, on est néanmoins assuré de la présence de la poésie dès les premières lignes. Non pas tant dans ce que la poésie pourrait véhiculer de formel, mais davantage dans les images, et dans cette volonté de l’écrivain à tendre, jusqu’à la pureté, vers ce qui n’est qu’impressions et sensations, comme dépouillées des contingences sociales. La poésie se mêle aussi, au sein du style, dans des élans itératifs, faits de morceaux de phrase ou de simples mots : tel un refrain, telle une ponctuation personnelle, le narrateur y revient, comme exprimant ses doutes ou sa perplexité face à ce qu’il perçoit et face à sa mémoire.

Car les souvenirs d’enfance s’immiscent souvent dans cet ouvrage : pour le narrateur, cette période se caractérise par de la rudesse et un mutisme pesant. Pourtant, l’auteur se fixe sur l’émerveillement, et sans jamais l’once d’une lourdeur, dans un souffle continu, il nous conduit, sorcier, à un instant de grâce, à ce qui paraît « insaisissable » (suivant le titre d’un chapitre) : oui, l’émerveillement est ici l’élu, le fil conducteur, le pilier, la justification de ce livre, où la nature est en vérité le personnage principal.

Reine de cœur, Akira Mizubayashi (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Mercredi, 06 Avril 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, Gallimard

Reine de cœur, mars 2022, 235 pages, 19 € . Ecrivain(s): Akira Mizubayashi Edition: Gallimard

Reine de cœur est un roman dont l’articulation est musicale : cinq mouvements, à l’instar d’une symphonie ou d’un concerto. Il met en scène Jun Mizukami, un musicien, altiste, étudiant au Conservatoire à Paris dans l’avant-guerre, et Anna, jeune femme se préparant à devenir institutrice. Nous sommes en 1939, et le conflit sino-japonais connaît alors ses phases les plus sombres telles que l’occupation de la Mandchourie, ou celle des villes du sud de la Chine. Anna tomba amoureuse de Jun, en raison, bien sûr, de leur penchant commun pour la musique, de l’amour de Jun pour la langue française. L’auteur Akira Mizubayashi illustre ce que l’amour d’Anna a de protecteur pour Jun. Le départ de ce dernier est prévu pour Yokohama, port militaire qui l’emmènera sur le front, vers l’Extrême-Orient occupé par l’armée nippone.

Des citations du journal de Jun, ses correspondances font état d’un déchirement moral, d’une honte de participer à ce qui ne s’appelle pas encore des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité : « Un pays en proie à la force belliciste, au désir d’expansion coloniale, à la politique d’un État militarisé obligeant tout un chacun à suivre corps et âme la voie des sujets désignés par l’empereur, forçant ainsi toute raison et tout esprit critique à s’effacer, à se taire complètement et durablement ».