Le Seigneur des Anneaux, L’Intégrale, J. R. R. Tolkien (par Didier Smal)
Le Seigneur des Anneaux, L’Intégrale, trad. anglais, Daniel Lauzon, 1600 pages, 18,90 €
Ecrivain(s): J. R. R. Tolkien Edition: Pocket
Entre 2001 et 2003, le réalisateur néo-zélandais Peter Jackson a proposé au monde une certaine vision du Seigneur des Anneaux en trois films qui ont rencontré l’assentiment de la critique et un vaste succès public, surtout après les sorties en dvd de versions longues qui ont fait les délices d’innombrables soirées entre amis ou en famille. C’était il y a vingt ans, c’est ainsi qu’existe désormais majoritairement dans l’imaginaire collectif la trilogie de Tolkien, du moins pour un grand public à qui l’on propose, au travers d’innombrables adaptations cinématographiques ou télévisées, d’oublier de lire pour regarder, que ce soit un film ou une série n’y change rien, et donc adopter un point de vue spécifique sur un récit. Pour peu, on en oublierait qu’existe un livre, c’est-à-dire une ouverture absolue à l’imaginaire dont les descriptions nécessairement incomplètes incitent à se faire son propre… film.
Alors, puisqu’on avait lu le Seigneur des Anneaux il y a quasi trente ans et que le traducteur québécois Daniel Lauzon a retraduit La Fraternité de l’Anneau (2014), Les Deux Tours (2015) et Le Retour du Roi (2016), et que ces trois romans sont disponibles en une intégrale au format poche plutôt maniable (ainsi qu’en trois volumes distincts, plus pratiques pour le métro ou le bus), l’envie s’est faite de retourner aux sources, n’ayant plus vu les films de Jackson depuis au moins une douzaine d’années : se plonger à nouveau dans la trilogie du Seigneur des Anneaux, tout simplement.
Afin de clarifier le propos, précisons que cette chronique peu érudite et pas du tout spécialisée n’est en rien le fait d’un spécialiste de l’œuvre de Tolkien ou même de la fantasy en général, ce qui évitera les fâcheries ; juste quelqu’un qui aime à être emporté par une histoire parfois, et qui, il est vrai, ressent le plus souvent cette joie du côté d’histoires à l’imaginaire puissant voire magique, éloigné d’un quotidien sordide à dépiauter dans un style auquel l’Université a fait beaucoup de mal. C’est peut-être cela que signifiait Julien Gracq, l’auteur du virulent et pertinent La Littérature à l’estomac (1950), dans un entretien avec Jean Carrière daté de 1986 : « Je n’ai pas de réserves à l’égard des écrivains d’aujourd’hui. Je suis seulement un très mauvais lecteur de romans nouveaux (je les abandonne le plus souvent vers la quinzième ou la vingtième page). La dernière très forte impression de lecture que j’ai ressentie en ce sens m’a été causée, il y a sept ou huit ans, par Le Seigneur des Anneaux, de Tolkien, où la vertu romanesque resurgissait intacte et neuve dans un domaine complètement inattendu. Mais je lis beaucoup d’essais, d’ouvrages critiques, de travaux d’histoire. D’où l’impression que j’ai – fausse peut-être, et due au déséquilibre de mes lectures – que cette littérature d’idées est dans la seconde moitié du siècle plus riche que celle de la fiction et de la poésie ». Pour Gracq, à l’éducation classique, cette « vertu romanesque » provient d’un « domaine complètement inattendu » ; pour qui est né soixante ans après lui dans un milieu populaire et s’est embêté (restons poli) à la lecture de nombreux romans « littéraires » aussi pénibles qu’un jour de vacances pluvieux, tout en trouvant refuge dans ce qu’on appelle pudiquement la « paralittérature », c’est un domaine aussi attendu que fréquemment visité avec bonheur.
Mais qu’est-ce que cette « vertu romanesque » ? Le plus simple est de la considérer comme le désir de raconter, avant toute chose, raconter une histoire, emporter le lecteur au fil d’un récit puissant, comme indiqué ci-dessus. Cette « vertu romanesque » est celle qui parcourt les siècles, voire les millénaires de notre histoire, nous qui sommes au fond pan narrans, le singe qui (se) raconte, et ici n’est pas le lieu de débattre de la disparition ou non de cette « vertu », au profit de Dieu seul sait quoi. Ici est le lieu de célébrer Tolkien, le professeur de vieil anglais, amoureux et créateur de mots, qui défend les monstres dans Beowulf (texte qu’il adapta en prose) mais aussi le conte de fées en tant que genre dont l’essentiel se trouve dans l’effet qu’il a sur le lecteur ou l’auditeur : la joie, l’émerveillement ; ici est donc le lieu de célébrer un auteur qui croit en la vertu d’une histoire qui doit avant tout emporter le lecteur dans un autre univers tout en le rapprochant de lui-même. D’ailleurs, à la relecture du Seigneur des Anneaux, c’est un constat qui s’impose : tout doit finir selon Tolkien en un récit (Mallarmé : « Le monde est fait pour aboutir à un beau livre »), qu’il s’agisse d’un « ménestrel du Gondor » qui demande « la permission de chanter » (Le Retour du Roi – ce ménestrel est frère d’âme de l’aède chantant chez Alcinoos les aventures d’Ulysse), des livres qu’écrivent successivement Bilbo et Frodo, ou encore cette discussion entre Frodo et Sam vers la fin des Deux Tours, qu’on cite dans son intégralité tant elle semble éclairante quant à la volonté de vivre et faire vivre une histoire qui éclate, lumineuse, dans Le Seigneur des Anneaux :
« Oui, c’est vrai, dit Sam. Et on serait pas venus ici du tout, si on s’était mieux renseignés avant de partir. Mais j’ai idée que c’est souvent comme ça. Les exploits des vieux contes et des vieilles chansons, monsieur Frodo : les aventures, comme j’appelais ça avant. Il fut un temps où je pensais qu’ils y allaient de plein gré, tous ces gens merveilleux dans les histoires, parce qu’ils le voulaient, parce que c’est excitant et que la vie est un peu monotone – comme un divertissement, si vous voulez. Mais c’était pas du tout ça, pour les histoires qui comptaient vraiment, ou celles qui nous restent en mémoire. Les gens s’y retrouvaient malgré eux la plupart du temps, on dirait ; leur chemin était tracé de cette façon-là, comme vous dites. Mais je gage qu’ils ont eu une foule d’occasions, comme nous, de faire demi-tour, seulement ils l’ont pas fait. Et s’ils l’avaient fait, on n’en saurait rien, parce qu’ils seraient oubliés. On entend parler de ceux qui ont simplement continué – pas toujours vers une bonne fin, remarquez ; du moins, pas pour ceux qui sont dans l’histoire et non en dehors : eux, ils ont une autre idée de ce que c’est qu’une bonne fin. Vous savez, rentrer chez soi pour s’apercevoir que tout va bien, même si les choses ont un peu changé – comme le vieux M. Bilbo. Mais c’est pas toujours les contes les plus intéressants à entendre, quoique c’est peut-être ceux où on aimerait mieux se retrouver ! Je me demande dans quel genre de conte on est tombés ? ».
« Je me le demande, dit Frodo. Mais je n’en sais vraiment rien. Et c’est à cela qu’on reconnaît les vraies histoires. Prends-en une que tu aimes, n’importe laquelle. On peut toujours savoir, ou deviner de quel genre d’histoire il s’agit – si elle aura une fin heureuse ou une fin triste ; mais les gens qui y figurent ne le savent pas. Et on ne veut pas qu’ils le sachent ».
« Non, m’sieur, bien sûr que non. Beren, tiens, il pensait jamais réussir à obtenir ce Silmaril de la Couronne de Fer sous le Thangorodrim, et pourtant il l’a fait, et c’était un endroit pire et un péril plus noir que celui où qu’on est. Mais c’est un long conte, évidemment, qui s’étire plus loin que le bonheur jusque dans la tristesse et au-delà – et le Silmaril est finalement passé à Eärendil. Et c’est drôle, ça, m’sieur, j’y avais jamais pensé ! On a… vous avez un peu de sa lumière dans ce globe d’étoile que la Dame vous a donné ! Et puis, à bien y penser, on est toujours dans le même conte ! Il se poursuit. Ils finissent donc jamais, les grands contes ? ».
« Non, jamais en tant que contes, dit Frodo. Mais les gens qui en font partie viennent, et ils repartent quand leur rôle est terminé. Le nôtre se terminera plus tard – ou plus tôt que tard ».
« Et alors on pourra se reposer et dormir », dit Sam. Il eut un rire jaune. « Et j’entends par là rien d’autre que ce que je dis, monsieur Frodo. Du repos tout ce qu’il y a de plus ordinaire : une bonne nuit de sommeil avant une matinée d’ouvrage dans le jardin. C’est là tout ce que j’espère tout le temps, je vais vous dire. Tous les grands projets importants, c’est pas pour les gens de mon espèce. N’empêche que je me demande si on finira par nous mettre un jour dans les chansons et les contes. On est dans un de ceux-là en ce moment, c’est bien sûr ; mais je veux dire : le mettre en mots, vous savez, des mots qu’on raconte au coin du feu, ou qu’on lit dans un beau grand livre en lettres rouges et noires, des années et des années après. Et les gens diront : “Racontez-nous l’histoire de Frodo et de l’Anneau !” Et ils vont dire : “Oui, c’est une de mes histoires préférées. Frodo était très brave, hein, papa ?”. “Oui, mon garçon, le plus illustrissime des hobbits, et c’est pas peu dire” ».
Disons que si l’on en est pas encore à raconter l’histoire de Frodo au coin du feu, du moins prend-on un grand plaisir à la relire – et celle de son oncle, Bilbo, a déjà fait le bonheur d’une petite fille âgée de onze ans. Et ce que proclame au passage Sam, c’est aussi le désir d’être raconté, un peu comme le jeune homme de A Bunch of lonesome heroes chanté par Leonard Cohen :
A bunch of lonesome and very quarrelsome heroes
were smoking out along the open road ;
the night was very dark and thick between them,
each man beneath his ordinary load.
« I’d like to tell my story »,
said one of them so young and bold,
« I’d like to tell my story,
before I turn into gold ».
Si l’on en revient à la motivation de la présente chronique, s’immerger à nouveau dans les livres de Tolkien dans une époque où Le Seigneur des Anneaux est désormais synonyme des films de Jackson (et bientôt une série produite par Amazon), on peut ainsi pointer une différence essentielle, qui a elle seule justifie ce retour : les films montrent, les livres racontent. Les films sont spectaculaires et, entre autres grâce aux possibilités technologiques actuelles, développent les scènes de combats ou de batailles, finalement brèves chez Tolkien et plus souvent vues au travers des yeux d’un personnages spécifique plutôt qu’envisagées d’un point de vue général et épique, tout en insistant lourdement sur l’aspect horrifique de certaines situations ou créatures. Ainsi, la création des Uruks est mentionnée et décrite de façon succincte par Tolkien, qui en fait des orques encore plus endurants, combatifs et cruels que les autres, mais chez Jackson, elle fait l’objet d’une scène complète où se peint sur le visage de Saruman la joie mauvaise à voir le futur chef de cette espèce massacrer deux orques… De même, la confrontation entre Saruman et Gandalf, quelques lignes chez Tolkien, devient chez Jackson un long combat d’une rare violence entre deux magiciens. On pourrait continuer de la sorte, et tout se ramènerait à ceci : relire Le Seigneur des Anneaux, c’est revenir à une histoire plus complexe, plus « humaine » et moins sombre à bien des égards que celle montrée par Jackson, une histoire dont les épisodes les plus remarquables n’ont de sens qu’au sein d’une histoire développée et détaillée. Par moins sombre, on veut souligner le fait que nombreuses sont les scènes devenues nocturnes chez Jackson, qui se complaît à souligner la noirceur dès que possible – ce qui ne signifie en rien que les épreuves et tourments sont absents de chez Tolkien.
Il est à cet égard remarquable que, dans les romans, le mot « Soleil » est à chaque fois muni d’une majuscule, ou que l’humour ou le caractère plaisant de certains personnages (dont le premier elfe, anonyme, croisé par les hobbits) sont plus intenses. De même, dans les films, est oublié un personnage éminemment tourné vers la Vie, Tom Bombadil, sorte d’homme-dieu vivant dans un rapport intense et respectueux à la Nature, qu’il écoute et dont il veut se faire entendre, puisqu’il libère Merry du « Vieil Homme-Saule » par un simple chant, qui lui-même « éveille » le hobbit emprisonné. Cet oubli à lui seul montre à quel point la lumière émanant des romans de Tolkien a quelque peu disparu des films de Jackson – et à quel point il est important et joyeux de revenir aux romans, qui accueillent un peu comme Tom Bombadil :
« Tous se précipitèrent en avant, les hobbits comme les poneys. Leur fatigue était déjà à moitié oubliée, et toutes leurs craintes évaporées. Ohé ! Viens gai dol ! retentit la chanson en guise de bienvenue.
Ohé ! Viens joli dol ! Gambadez, mes lurons !
Les hobbits, les poneys ! Tous aiment s’amuser.
Que la fête commence ! Tous ensemble, chantons !
Puis une autre voix claire, aussi jeune et ancienne que le Printemps, semblable au chant d’une eau bienheureuse coulant dans la nuit depuis un matin radieux au sommet des collines, ruissela sur eux comme une pluie d’argent :
Que la chanson commence ! Tous ensemble, chantons
Le soleil et la lune, les étoiles, la brume,
La pluie sur le bouton, la rosée sur la plume,
Le vent sur la colline, les fleurs sur la bruyère,
Les roseaux dans l’étang et les lis sur l’eau claire :
Le vieux Tom Bombadil, la fille de la Rivière !
Et sur cette chanson, les hobbits foulèrent le pas de la porte, et une lumière dorée les enveloppa ».
Car revenir aux romans, c’est comprendre aussi pourquoi ils ont pu marquer l’imaginaire de nombreux jeunes adolescents anglo-saxons depuis le milieu des années cinquante, qui s’y plongeaient à l’âge où ils sortaient des contes, comme une transition naturelle. D’ailleurs, dans la série Stranger things, les quatre garçons, âgés de douze ans, surnomment « Mirkwood » la route forestière longeant le Laboratoire national de Hawkins – Mirkwood, la Forêt de Grand’Peur, est la forêt dont est originaire Legolas dans Le Seigneur des Anneaux, c’est une référence normale pour ces quatre gamins américains en 1983. Quatre gamins qui d’ailleurs jouent à Donjons et Dragons, jeu né de l’onde de choc suscitée par Le Seigneur des Anneaux… Quatre gamins parmi lesquels Will, dans la deuxième saison de Stranger things, en quelque sorte « possédé », ressemble comme un frère à Frodo blessé par un Nazgûl puis portant l’anneau en Mordor… Et ceci n’est qu’un exemple récent non pas de l’influence de la trilogie de Tolkien mais de sa prégnance dans le monde anglo-saxon.
Dans le monde francophone, il en a été de même, malgré que les « sous-genres » ont été moins bien considérés par l’école jusqu’à une époque récente, depuis la traduction par Francis Ledoux en 1972-73. Cette traduction a fait l’objet de nombreux débats depuis sa publication, en particulier dû au non-respect de l’onomastique ou à la manie, très à la mode en France, de ramener tout imaginaire à celui d’une culture classique francophone ou du moins méditerranéenne (les références nordiques devenaient ainsi gréco-latines voire chrétiennes). Depuis, cette manie a disparu (la traduction aussi à ses effets de mode, ainsi que l’explique très bien David Bellos dans un remarquable essai, La Traduction dans tous ses états), et dans la continuité d’une série de traductions nouvelles de textes de Tolkien (Histoire de la Terre du Milieu, etc.) par Daniel Lauzon, puis de la retraduction par ce dernier du Hobbit, a été mise en œuvre une retraduction du Seigneur des Anneaux – pas une révision, donc, mais un travail entièrement différent et neuf – toujours par Lauzon.
Outre pour l’onomastique (on revient à Bilbo et Frodo, et Baggins devient Bessac ; quant à Mirkwood, la Forêt de Grand’Peur, elle était précédemment la Forêt Noire…), cette nouvelle traduction est remarquable pour les rendus des différences de parlers entre les personnages : Sam le jardinier à l’immense sagesse a sa propre « langue » différente de celle de Frodo, ainsi qu’en atteste l’extrait ci-dessus ; un elfe ne parle par comme un orque ; l’opposition entre Saruman et Gandalf n’est pas que relative au bon usage de la magie ; Gollum est un être à part aussi dans son appréhension et son utilisation du langage. On pourrait continuer longuement la liste des exemples, et tous tendraient à démontrer que Lauzon respecte les désirs linguistiques de Tolkien, qui certes a inventé des langues (quiconque est un peu attentif s’aperçoit que la langue des elfes ou certaines dénominations orques sont « logiques » selon les jeux de désinences et autres préfixations ou suffixations – ces langues, de même que quasi tous les aspects de l’œuvre de Tolkien, ont fait l’objet de publications diverses, pour qui voudrait en savoir plus après avoir lu cette œuvre), mais a aussi veillé à allouer à chaque personnage un parler qui lui corresponde.
Mais là où la retraduction de Lauzon est plus appréciable encore, c’est pour les poèmes. En effet, tant Le Hobbit que Le Seigneur des Anneaux sont parsemés de chants et poèmes, et la traduction de Ledoux leur rendait tellement peu justice que le lecteur francophone en venait à se demander pourquoi le monde anglo-saxon célébrait aussi en Tolkien le poète. Désormais, on sait, et le mieux est d’exemplifier. Le chant d’accueil de Tom Bombadil cité ci-dessus l’était dans la traduction de Lauzon, et il donnait envie d’accompagner les hobbits et leurs poneys jusqu’à la demeure de cet homme-dieu façon mythologie nordique ; voici la traduction de Ledoux :
« Que les chants commencent ! Chantons en chœur !
Le soleil, les étoiles, la lune et la brume, la pluie et le temps nuageux,
La lumière sur la feuille qui bourgeonne, la rosée sur la plume,
Le vent sur la colline découverte, les cloches sur la brande,
Les roseaux près de l’étang ombreux, les lis sur l’eau :
Le vieux Tom Bombadil et la fille de la Rivière ! »
Pour mieux comprendre la différence d’intention entre les deux traductions, et la qualité poétique de celle de Lauzon, le mieux est de donner le texte en anglais :
« Now let the song begin ! Let us sing together
Of sun, stars, moon and mist, rain and cloudy weather,
Light on the budding leaf, dew on the feather,
Wind on the open hill, bells on the heather,
Reeds by the shady pool, lilies on the water :
Old Tom Bombadil and the River-daughter ! »
Ledoux avait choisi de traduire un chant quasi mot à mot, au détriment de cet aspect « chantant » du texte ; Lauzon a choisi d’offrir au lecteur francophone le plaisir de la poésie de Tolkien – poésie qui, oui, aussi, transparaît dans les parties narratives et dialoguées de cette ample trilogie, à compléter par Le Hobbit et au moins Contes et légendes inachevés et Histoire de la Terre du Milieu. Tous ces textes sont donc désormais traduits en français par Lauzon, ce qui leur assure une certaine homogénéité tonale, si l’on puit dire, qui permet de voir en Tolkien, outre un grand raconteur, un grand écrivain (mais un académicien discret, à en croire sa biographie…). Il était déjà décelable il y a trente ou quarante ans pour le lecteur francophone, adolescent ou resté enfant dans son âme ; il éclate désormais. Ajoutons juste ceci : il est probable que la qualité de cette nouvelle traduction soit aussi liée à un phénomène récent, observable aussi pour la traduction revue et actualisée du cycle de Dune : ces romans, depuis leur première parution en français, ont été lus et relus par des amateurs qui, envoûtés par ces univers narratifs, sont retournés aux sources anglo-saxonnes, et ont parlé des différences entre les textes anglais et français, d’abord dans des fanzines puis sur des forums et blogs en ligne, formant une communauté, avec ou sans anneau, désireuse de partager au plus proche les histoires adorées ; les traducteurs ont dialogué avec ces amateurs, ont bénéficié de leur compréhension approfondie, tant du Seigneur des Anneaux que de Dune. En ce sens, ces nouvelles traductions relèvent moins de l’amélioration linguistique que du désir de partager un récit qui fait quasi partie de soi. Voilà pourquoi elles sont aussi indispensables que réussies.
Didier Smal
Daniel Lauzon (1979) est un traducteur québécois ; on peut le considérer comme le passeur de l’œuvre de Tolkien en francophonie. Christopher Tolkien lui-même a célébré son travail.
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