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Ecriture

Le Jardin de derrière (21) Où on fait des plans

Ecrit par Ivanne Rialland , le Mardi, 28 Avril 2015. , dans Ecriture, Ecrits suivis, La Une CED

 

Leur première décision fut d’aller chercher Tobie. Pierre courut à l’autre bout du village. Tobie était assis tranquillement sur une chaise de jardin, à l’ombre d’un grand tilleul, les jambes étendues devant lui, les pouces passés dans sa ceinture. Par la barrière ouverte, Pierre se précipita dans le jardin et lui expliqua l’affaire en deux mots. Tobie sauta sur ses pieds, fit signe à Pierre d’attendre un instant, bondit vers sa maison, revint un instant plus tard avec un gros rouleau de papier sous le bras. « On va éviter la grand rue », lança-t-il à Pierre, et il l’entraîna à travers champs, puis par un lacis de venelles et de cours de ferme qui les amenèrent dans le pré, en face de la maison. Le voisin aux poules n’était pas en vue. Pierre sur ses talons, Tobie franchit avec légèreté le pré, puis la route, hésita : « Il est où, ton père ? » Pierre pointa le pouce vers le haut : « L’abri ». « On va passer par la grange ». Il entraîna vers la grange Pierre, qui écarquilla les yeux quand Tobie ouvrit la porte de l’appentis dissimulée derrière l’étagère. Quelques instants plus tard, ils émergeaient de la trappe, sous l’œil ahuri de Noé et Isabelle. Tristan eut un sourire fin. Tobie lui lança un bref regard avant de scruter plus longuement le visage neutre de Louise. Puis, sans un mot, il déroula sur le sol le plan détaillé du village et de ses alentours qu’il avait apporté avec lui.

Le Jardin de derrière (20) Où on entend des choses

Ecrit par Ivanne Rialland , le Lundi, 20 Avril 2015. , dans Ecriture, Ecrits suivis, La Une CED

 

Georges avait emprunté à Tobie son utilitaire et, le fût de poissons pourrissants bien calé à l’arrière, il se dirigeait à vive allure vers la déchetterie, répandant sur son passage une odeur pestilentielle.

Il avait quelques minutes plus tôt eu Hélène au téléphone, encore retenue à Paris pour une quinzaine. Elle avait paru déroutée par les récents événements que les propos de Georges, un peu décousus, lui faisaient entrevoir.

– Mais les enfants vont bien ? répétait-elle.

Et Georges d’acquiescer, de repartir sur une histoire de poissons morts, de parler d’une procession, de gars avec des capuchons, d’un nommé oncle Tobie et d’un abri antiaérien où ils auraient dû se terrer pour échapper aux encapuchonnés. Hélène appuyait avec force le téléphone contre son oreille en tripotant nerveusement son collier de l’autre main : « Et tu ne veux pas que je vienne ? Les enfants vont bien ? » Il ne voulait pas qu’elle vienne, les enfants allaient bien. Il fallait qu’il y aille, il avait des poissons à amener à la déchetterie.

Le Jardin de derrière (19) Où cela commence à puer

Ecrit par Ivanne Rialland , le Lundi, 13 Avril 2015. , dans Ecriture, Ecrits suivis, La Une CED

 

Deux jours plus tard, à 7 heures du matin, Louise déboula dans la chambre de son père en criant sur une note aiguë : « Papa, ça pue ! » Le ton était outré. Georges ouvrit péniblement les yeux, se frotta le visage, et fut assailli par l’odeur. Ça puait, pas de doute. Une nouvelle fois, il enfila hâtivement un pantalon et des baskets pour se précipiter vers le bief. Sur le fond recouvert d’une fine couche de vase, les gros poissons noirs se débattaient faiblement dans la lumière du matin. Le bief était à sec. Et sous le soleil déjà chaud, ça puait, ça puait sérieusement. Louise, écœurée, rentra dans la maison, tandis qu’Isabelle, réveillée par l’odeur, apparaissait en haut de l’échelle et arrivait sur le bord du bief, en tongs et tee-shirt XXL. « Waouh, s’exclama-t-elle, chez vous, c’est un peu les portes de l’enfer. Cela dit sans offense ». Georges n’était pas offensé. Il regardait les monstres noirs à l’œil vitreux se décolorer sous le soleil, comme pourrissant à vue d’œil. Les ouïes ne palpitaient plus qu’à peine. L’odeur semblait gagner en puissance de seconde en seconde, répandant une véritable pestilence sur le voisinage. Aucun mécontent ne se manifesta pourtant, pas même Mme Chaussas ou un vigilant voisin.

Le Jardin de derrière (18) - Où les voisins ne sont guère vigilants

Ecrit par Ivanne Rialland , le Jeudi, 02 Avril 2015. , dans Ecriture, Ecrits suivis, La Une CED

 

La lumière de la lampe électrique traversa la toile de la tente. Une voix appela doucement dans la nuit, sous les étoiles.

Tristan abaissa d’un coup sec la fermeture éclair et sortit la tête : « Éteins cette lampe ! » Isabelle obtempéra, un rien froissée. Tristan rampa hors de la tente, rabattit la capuche de son sweat sur ses cheveux. Pierre et Noé sortirent à leur tour, eux aussi vêtus d’un sweat à capuche et d’un pantalon sombre. Pierre s’exclama d’une voix étouffée : « Qu’est-ce qu’elle fait là, elle ? » Louise se raidit : « Je veux en être ». Isabelle se tourna vers Tristan : « Je ne pouvais quand même pas la laisser toute seule… » Louise lui coupa la parole, défiant tour à tour Pierre et Tristan du regard : « Et Camille vient aussi. Elle nous attend sur la place ». « Ton idiote de copine… » commença Pierre, mais Tristan lui posa la main sur le bras et l’apaisa, avec un sourire ambigu : « Plus on est de fous… » « Si par leur faute, on se fait choper… » grommela quand même Pierre. Noé fit la grimace et jeta un coup d’œil de regret vers la tente, que surprirent Louise et Tristan. Le sourire de Tristan s’accentua : « T’inquiète… » Il regardait tour à tour les quatre adolescents, soudain mal à leur aise. Il y eut une pause. « On y va », déclara abruptement Pierre, qui s’engagea sur la route. Les autres suivirent, Tristan en queue de cortège, les mains nonchalamment glissées dans ses poches.

Le Jardin de derrière (17) - Où Oncle Tobie fait des siennes

Ecrit par Ivanne Rialland , le Mercredi, 25 Mars 2015. , dans Ecriture, Ecrits suivis, La Une CED

 

 

Deux vigilants voisins se grattaient la tête avec perplexité. La porte de la maison de Louis était grande ouverte. Ils étaient venus faire leur ronde autour de la ferme pour surveiller les jeunes qui avaient l’habitude de traîner sur son terrain, mais là, devant ce qu’ils apercevaient à l’intérieur, ils ne savaient pas trop quoi faire. L’un d’eux se décidait à appeler la gendarmerie lorsque Louis survint, s’exclamant du plus loin qu’il les vit : « Qu’est-ce que vous foutez là ? » Louis était devenu, par la force des choses, très tatillon avec la notion de propriété privée. Le premier voisin vigilant rempocha son portable tandis que l’autre levait les mains en signe d’apaisement : « C’est pas nous, Louis. On s’est juste approché pour voir. Parce que c’est pas tes habitudes, de laisser la porte ouverte. Et on a vu. On allait appeler les gendarmes ». Louis fonça vers sa maison, pila net sur le seuil de la porte : « Bon Dieu, qu’est-ce que… » Il hésita. Puis il prit son téléphone, et appela lui-même les gendarmes.