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Les Chroniques

Griffes 16 (par Alain Faurieux)

Ecrit par Alain Faurieux , le Lundi, 27 Janvier 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

 

Les Hommes manquent de courage, Mathieu Palain, L’Iconoclaste, août 2024, 289 pages, 20,90 €

Difficile de parler de ce livre. Tout d’abord rester sur les faits, le solide. Le fiable. L’écriture. Une sorte de reportage de Détective écrit à la première personne. Je sais, pas de première personne dans Détective ; et je ne sais même pas (la flemme de vérifier) si le magazine Détective existe encore. Des extraits de vie, avec des personnages vrais. Du sensationnalisme, du choquant pour la France profonde. Du viol, de la soumission, de la double vie. Des choses qu’on ne voit pas souvent mais avec les mots de tous les jours. Plus une construction en vignettes, des blocs mal rattachés ou pas attachés du tout. Une temporalité élastique, et des flashbacks. Ensuite ce n’est pas si simple, parce que cette première personne, c’est l’auteur (sans E) qui parle pour/au nom d’une femme qui s’est confiée à lui. Et on se demande où est l’artifice ? Un seul ? Plusieurs ? Cette femme (si elle existe) s’est-elle confiée ainsi à son fils ? Son parcours social (des détails ont été changés pour protéger… etc.) est-il bien celui-ci, si « pratique » de bien des manières ?

Dévastation, La question du mal aujourd’hui, Dominique Bourg (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 22 Janvier 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, PUF

Dévastation, La question du mal aujourd’hui, Dominique Bourg, Puf, septembre 2024, 320 pages, 18 €

 

« Nous préférons voir sombrer le navire plutôt que de voir nos noms effacés de la coque ! » (Mark Lilla)

 

Le titre de ce livre est bien choisi, puisque sans appel (la ruine, le saccage, la destruction à la fois de la vie et de ce qui fait vivre… y sont entendus sans ambiguïté), mais le terme même de « dévastation » a une étrange étymologie. Si « vastare » (ou « devastare ») en latin désignait déjà l’action de ravager et ruiner, c’était au sens de faire le vide, de rendre désert, de « désoler » les lieux, car « vastus » (qui a donné notre « vaste ») renvoie, non du tout à une ampleur disponible et confortable, mais à une étendue pour rien, ou de rien, un forum abandonné de ses occupants, un site vidé de ses défenseurs, une mer immense qui disperse et désoriente… La « vastitude » est donc d’abord négative, l’effet de dépeuplement par une reddition, un incendie, ou, au sens figuré, l’état d’une âme stérilisée par le remords ou égarée par sa propre insatiabilité.

Folie, fureur et ferveur, Œuvres poétiques (1972-1975), Anne Sexton (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 21 Janvier 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, USA, Poésie

Folie, fureur et ferveur, Œuvres poétiques (1972-1975), Anne Sexton, éd. des femmes-Antoinette Fouque, janvier 2025, trad. anglais USA, Sabine Huynh, 268 pages, 22 €

 

Juste une fillette qui tentait de survivre (Anne Sexton)

L’Emprise du poème

J’ai bu, si je puis dire, d’un seul trait ou presque, le recueil de la poétesse américaine Anne Sexton. Et cette poésie m’a semblé vive et presque irritante, surtout pas liquoreuse, mais entêtante et légèrement folle. Mais là, pas de vraie folie, de celle qui appelle les épithètes du QCM américain. Au contraire, tout est vie dans cet alcool cuit qui n’hésite pas à surprendre par son parfum fort, singulier et unique.

L’on a à faire dans ce travail de la langue, dans le style, à une poésie empirique, sourcée dans la reconnaissance d’un réel fuyant, d’une forme de déroute devant la difficulté de la vie. En crise devant la matière, qui tout aussitôt devient métaphysique par le génie de l’écrivaine. Elle habite au sens propre dans la demeure du poème, dans son emprise.

La Rumeur le fracas, Jean-Louis Clarac (par Luc-André Sagne)

, le Lundi, 20 Janvier 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

La Rumeur le fracas, Jean-Louis Clarac, Jacques André éditeur, Coll. Poésie XXI, 2022, 92 pages, 14 €

 

Jean-Louis Clarac est un poète qui éprouve la vie, en fait l’expérience quotidienne, à la fois ébloui et bouleversé par elle. C’est dire s’il est à l’écoute du monde, partout où il se trouve, « entre rumeur et fracas » par exemple, titre de son dernier recueil (*). La rumeur et le fracas des éléments, en particulier de l’océan qu’il observe, mais aussi des activités humaines, dans leur tumulte et leur aveuglement. Poème après poème c’est alors une conscience qui nous parle, celle du poète qui ne sépare jamais la beauté du monde du malheur des hommes.

Quatre parties composent le recueil, quatre portes d’entrée sur le monde tel qu’il est et tel qu’il est regardé par Jean-Louis Clarac. Chacune d’elles reprend trois des quatre éléments traditionnellement constitutifs de l’univers, à savoir l’air (ici, peut-on dire, le ciel), l’eau, la terre, à quoi vient s’ajouter à chaque fois un élément supplémentaire, respectivement la forêt, le vent, le soleil, enfin la nuit le jour, l’alternance du permanent et de l’impermanent, qui est au cœur du recueil.

La Morale remise à sa place, Rémi Brague (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 14 Janvier 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

La Morale remise à sa place, Rémi Brague, Gallimard, novembre 2024, 160 pages, 18 €

 

Tout le monde voit à peu près ce qu’est la morale : l’effort de vouloir (activement) le bien du prochain en renonçant librement (à proportion) à la satisfaction du sien propre. C’est, typiquement, le geste généreux (pour autrui) et ingrat (pour soi) – au cours duquel on peut, bien sûr, se tromper (le sauveteur maladroit qui noie celui qu’il secourt), tromper (et faire passer, en autrui, pour bien qu’il veut, le mal même qu’on lui fait, par piège corrupteur ou subornation de naïf) ou être trompé (comme le gogo qui s’échine pour qui le gruge), mais s’imposer délibérément un coûteux devoir pour soulager ou aider autrui – voilà ce que chacun spontanément juge moral, ne serait-ce que parce qu’on sait qu’on serait content qu’autrui en fasse autant en retour (même si, par principe, on s’abstient ici de le réclamer, ou même de l’espérer : la morale est don de soi sans conditions, ou n’est rien).