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Les Chroniques

« Une douce langueur m’ôte le sentiment » : sur un sonnet de Madame de Villedieu (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 09 Janvier 2025. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

En travaillant avec mes élèves sur la poésie baroque, un poème de Madame de Villedieu, que l’on appelle aussi Mademoiselle Desjardins, m’est tombé sous les yeux.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le nom de Madame de Villedieu, morte en 1683 à quarante-trois ans, à l’inverse de celui de Madame de Duras, inspiratrice de Stendhal et d’Astolphe de Custine avec Olivier et Le Moine du Saint-Bernard, redécouverte ces dernières années, demeure obscur pour nos contemporains et qu’elle n’a guère retenu l’attention des spécialistes ni des curieux malgré la thèse déjà ancienne de Micheline Cuénin (Roman et société sous Louis XIV, Madame de Villedieu, Honoré Champion, 1979) et quelques études universitaires (un colloque a eu lieu à son sujet à Lyon en octobre 2008 : « Madame de Villedieu et le théâtre »). À ma connaissance, aucune de ses œuvres n’est disponible dans nos librairies et il faut sur rendre sur le site qui lui est consacré depuis 2007 par les éditions Champion pour constater que sa production n’est pas aussi mince qu’on pourrait le penser et qu’elle a été également dramaturge (Nitétis, 1664 ;

Pronostic vital engagé, Jacques Cauda (par Murielle Compère Demarcy

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mercredi, 08 Janvier 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Pronostic vital engagé, Jacques Cauda, Éditions Sans Crispation, mars 2024, 130 pages, 16 €

 

La radiographie n’est pas belle, ou si ! Terriblement fascinante. Voyez cette toile d’araignée se déliter sous elle comme on se délite s’oubliant : ainsi l’époque, dans son corps social politique et culturel déliquescent qui nous déchire et se désintègre, le symptomatique aujourd’hui qui nous aveugle et nous voit souvent si veules, impuissants, ainsi… Paul-Mario, drôle de type improbable et génial perfusé pour survivre au VivrÉcrire-Peindre quotidien dans la transgression de toute norme, quelle qu’elle soit, ausculte le corps défait de son Paris, le palpe, le scrute avec minutie, obsessionnellement et par effraction et, forçant les portes d’une libido prête à mouiller et faire mouiller les plus résistantes serrures, poursuit son œuvre criminelle (puisqu’écrire revient à tuer), « l’œil entre les jambes dans le trou ». Le fantasme rutile sur le tournebroche d’un imaginaire débridé, rosit entre les lèvres de l’étoile pleureuse rimbaldienne s’écoulant dans l’Oreille de l’univers et file dans sa ouate sidérale jusqu’aller tomber dans le lit de Pollock où s’y disloquer, l’amour écartelé, sadique, viril, viral !

Houris, Kamel Daoud (par Mona)

Ecrit par Mona , le Mardi, 07 Janvier 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Houris, Kamel Daoud, Gallimard, Coll. Blanche, août 2024, 416 pages, 23 €

 

Du roman de guerre à la bataille de l’intime

A l’heure où les Afghanes se talibanisent et où jaillissent les cris des Iraniennes : « Femme, Vie, Liberté », peu de temps après la parution du livre de Salman Rushdie, Le Couteau, à propos de l’attaque qui lui a coûté un œil, le jour même où débute le procès de l’assassinat de Samuel Paty, Kamel Daoud, témoin de la montée en puissance des « barbus de Dieu » dans son pays natal, lui-même cible d’une fatwa en 2014, méritait de recevoir la plus prestigieuse récompense littéraire française, le Prix Goncourt, pour son roman Houris, nommé d’après les 72 vierges, récompenses des bienheureux au Paradis d’Allah. Parole libre contre un révisionnisme qui voudrait effacer l’histoire et un totalitarisme religieux, « mutation mortelle au cœur de l’islam » (écrit Salman Rushdie), l’auteur franco-algérien refuse les assignations identitaires (« J’ai le syndrome d’Apollinaire, je suis plus Français que les Français » (Le Point 9/08/24).

Consentir à être vous, Correspondance, Joseph Joubert, Pauline de Beaumont (par Claire Fourier)

Ecrit par Claire Fourier , le Lundi, 06 Janvier 2025. , dans Les Chroniques, La Une CED

Consentir à être vous, Correspondance, Joseph Joubert, Pauline de Beaumont, Éditions des Instants, novembre 2024, 176 pages, 16 €

Je n’ai pas voulu finir hier soir ma lecture de la correspondance de Joubert et Pauline de Beaumont car je voulais demeurer encore avec eux – et je me trouvais bien à baigner dans cette délicatesse et cette courtoisie, cette bienveillance, cette langue parfaite si agréable à écouter mentalement (je finirai tout à l’heure ; à moi de dire : Encore un instant, monsieur le bourreau).

Je ne voulais pas que Pauline, épuisée par la maladie, meure hier soir ; c’est dire combien l’on s’attache à elle à travers ces missives. On admire du reste le fonctionnement de la poste à l’époque.

Il y a longtemps que je n’ai pareillement été captivée par un livre. Tout y est si vrai et naturel.

Je dois avouer que longtemps je n’ai moi-même écrit que des lettres, et que la forme épistolaire m’est particulièrement chère. Je crois même que c’est celle qui demeurera quand les autres auront disparu. On y touche des yeux un cœur battant, une subjectivité et l’humeur changeante ; on est happé par celui qui semble vous parler à bout portant.

Les Ecrits, Journaux et lettres (1941-1943), Etty Hillesum (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 11 Décembre 2024. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Pays nordiques, Seuil

Les Ecrits, Journaux et lettres (1941-1943), Etty Hillesum, Seuil, 2008, trad. néerlandais Philippe Noble, Isabelle Rosselin, 1088 pages, 37 €

 

Etty Hillesum grandit plus vite que son ombre. Sa pleine humanité mûrit en deux ans (1941-1943), et de manière d’autant plus surprenante et émouvante qu’elle croît – en responsabilité, en justesse – déjà à peu près (historico-politiquement) condamnée, certaine de finir vite et lamentablement sa vie, comme Juive traquée de la Hollande vaincue. Bref : elle se sait grandir (d’esprit et de destin – puisque l’adolescence est terminée) pour autre chose que sa propre vie adulte (dont elle n’aura à peu près, comprend-elle, aucune chance de jouir). Son immense effort n’avait donc, consciemment, pas elle-même pour but. Une jeune femme de 27 ans, très sensuelle et infiniment vive, s’avouant – dès les premières lignes de son Journal – « je ne suis en tout cas pas mon but », cela étonne et promet.