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Dans la forêt qui manque, Shiho Kasahara (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 10.03.25 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Dans la forêt qui manque, Shiho Kasahara, éditions Quartett, Coll. Théâtre, octobre 2024, 95 pages, 14 €

Dans la forêt qui manque, Shiho Kasahara (par Didier Ayres)

 

Passage

Tout est passage dans cette pièce de Shiho Kasahara. L’on passe de Tokyo à Paris, l’on voyage d’un aéroport à un autre, d’un avion à l’autre. On va et vient. On ne reste pas immobile, et c’est peut-être là une question de dramaturgie. On se meut d’un univers culturel à l’autre. On suit les développements de l’histoire de la pièce comme témoignage d’une quête d’identité. On sent l’auteure vraiment partagée entre deux cultures. Un mélange instable et qui n’en finit pas de ne pas être une émulsion.

D’un côté le Japon, terres du père, et de l’autre, la France, forêt de la mère. Aucun des deux parents n’a le dessus, les deux sont énigme et interrogation, comme deux forêts qui ne se ressemblent pas, ici des châtaigniers, là des banzaï. C’est un univers biparti, double et cependant absolument mêlé en lui par des langues étrangères l’une à l’autre. L’héroïne cherche la suture, un brassage, des rapprochements dans l’univers familial composé de deux présences culturellement teintées.

C’est pour cela que nous allons avec le personnage principal d’une ville à une autre, argumenté par des voyages en avions, qui sont aussi des cadres au récit de la pièce. D’un lieu vers un lieu. D’une parole vers une parole. Une langue vers une langue.

ELLE.

Il n’y a rien qui change en vrai, je marchais, il faisait chaud et pourtant il s’est passé quelque chose dans ma tête, des mots, des mots m’ont traversé l’esprit

L’AMI-E.

Des mots

ELLE.

Des mots comme joyeux et pathétique

L’AMI-E.

Comme épuisé et excité

ELLE.

Comme abondant et vide

L’AMI-E.

Comme banal et vertigineux

Tout confine à la mise en scène d’une fracture, d’une double injonction contradictoire, un double-bind au cœur même de l’héroïne. Cette fraction est le ressort dramatique principal. Car cette fraction désigne le personnage principal, comme celui-ci désigne la dramaturge.

Pour conclure, je dirais que nous sommes essentiellement dans des zones d’incertitude, comme l’avion traverse une zone de turbulence. Nous sommes spectateurs d’une ambiguïté fondamentale et irrésolue, une recherche de territoires, de forêts, qui ne peuvent se mélanger, deux principes paradoxaux : déterritorialisation/abandon, étrangeté/mystère.

 

Didier Ayres



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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.