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Et pourtant, Pierre Dhainaut (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 18.03.25 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Arfuyen

Et pourtant, Pierre Dhainaut, Arfuyen, janvier 2025, 140 pages, 15 €

Et pourtant, Pierre Dhainaut (par Didier Ayres)

 

Cercle du temps

Le dernier recueil de poésie de Pierre Dhainaut mène à un travail de réflexion, de question ouverte, d’interrogations sur le chant (et sur le champ) du poème. C’est ainsi que le temps devient une délibération primordiale. Quel est donc le sens de la durée, est-elle linéaire ? Procède-t-elle par cycle ? Existe-t-il un éternel retour, où aboutit-il ? Devons-nous faire confiance à la théorie de la relativité ? Et en fin de compte pourquoi vivre ou survivre ?

Peut-être la métaphore de la neige (métaphore filée dans l’ensemble du texte) nous découvre-t-elle un secret, le sens d’un mystère. Car la neige est sujette, comme la vie, à la brièveté, au silence, à l’extraordinaire diversité de la composition de chaque flocon, jamais le même. Chaque instant donc ne ressemble qu’à lui-même. Et cette effloraison de cristaux aqueux ressemble bien à la condition précaire de nos existences.

L’on se retrouve dans la lecture du poème, dans un temps à part. Dans celui de l’art poétique, de la poésie confrontée à la fragilité d’un flocon de neige. Et bien sûr, dans ces conditions, à la mort. Le temps d’une vie. Lire le chemin d’une vie. Vie, donc mort, donc renaissance. C’est le cycle. Et sans doute est-ce là encore la pérennité, l’infinitude du poème, qui survit de toute manière à la durée terrestre du poète. Là, un éternel retour. Là, l’issue des choses vivantes.

 

Demain, c’est maintenant, et maintenant

ce que signifient l’heure et le lieu, on ne sait,

mais on sait que la forme est identique

aux rêves, aux souffles, descellant les paupières,

agrandissant l’oreille, les vents ont un pays,

tout ce qu’ils ébranlent, ils l’embrasent :

si tu as un but, que ce soit l’approche,

tressaillir, accomplir, recommencer

en la complicité des vocables, de l’écho,

du ressac dans les marges.

 

Cette écriture est loin d’être hermétique. Elle emploie des mots simples, s’exprime dans une syntaxe fluide, est aérienne. Cependant, elle n’hésite pas à nous confronter à l’abîme, au gouffre de tout langage poétique, la langue voulue du poème. De plus, elle chante. Elle résonne comme orale, supporte la diction rhapsodique.

Silence, souffle, neige : l’écorce et l’aubier du temps. Temps de la conscience, conscience qui vibre dans ce qui vit – à l’instar du concept de conscience chez Pierre Teilhard de Chardin –, au milieu de la lumière extraordinaire du vivant (végétal, humain, animal, voire minéral). Le poème réfléchit. Il miroite et pense. Il est et il devient. Il propose une capture. Capturer l’aigrette vivace de la réalité.

En résumé, je dirais que ce recueil est crépusculaire, surtout dans sa double acception, crépuscule du matin et crépuscule du soir, ponant et couchant, aurore et aube. C’est ici que se borne toute existence. Est-ce une façon de cercle ? Un trait entre deux mondes ? Une liaison infinie des jours et des nuits ? Voilà pour l’essentiel de la pensée humaine, jetée à la fois à peu et à beaucoup.

 

Quel nom nous signale, nous isole

Dans la chaîne des vies, des morts ?

 

Didier Ayres



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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.