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Les Chroniques

Œuvres I, Victor Segalen en la Pléiade (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Jeudi, 11 Février 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Œuvres I, Victor Segalen, NRF, Bibliothèque de La Pléiade, novembre 2020, 1232 pages, 62,50 €

 

Un art de l’approche

Je dois d’abord dire combien la lecture de l’œuvre de Segalen, en tout cas pour le présent du 1er tome que la bibliothèque de La Pléiade lui consacre, en cette édition savante qu’édite Christian Doumet, ouvre des perspectives sur la production textuelle du poète-voyageur, ainsi que sur l’intrigue si vivante et toujours mystérieuse du fonctionnement d’un créateur, et plus largement sur l’esprit créateur. Venant d’achever cette traversée qui suit le parcours chronologique des travaux de Segalen, depuis son Journal des Îles jusqu’aux Odes, dans un premier temps – provisoirement, bien sûr, car je compte poursuivre ma (re)découverte à travers le second tome – mon idée s’est étayée au fur et à mesure, pour buter en dernier lieu sur le texte majeur des Stèles, qui ferme presque le livre. J’ai donc vu nettement comment il devenait poète. À mes yeux, il s’est construit poète, un langage, une forme, une écriture, en allant plus loin à chaque texte, vers la création, création poétique personnelle tendue vers une silhouette, un contour, une architecture nouvelle et novatrice.

Ainsi parlait Marcel Proust, Dits et maximes de vie choisis et présentés par Gérard Pfister (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 10 Février 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Ainsi parlait Marcel Proust, Dits et maximes de vie choisis et présentés par Gérard Pfister, Arfuyen, janvier 2021, 192 pages, 14 €

Le principe de cette belle collection est, on le sait, de présenter la pensée de la vie d’un auteur, par une suite (chronologique) de courts fragments, rendant compte de sa vision réfléchie de l’existence (de l’insertion d’un destin conscient dans la réalité du monde), permettant de déterminer quelle sagesse communicable porte ou non l’œuvre de cet auteur. Une « sagesse » significative et commune, donc, c’est à dire un souci d’animer plus sereinement et de conduire plus librement une vie d’après l’effort de se comprendre elle-même. Ce souci de sagesse parcourt-il, structure-t-il même la Recherche ? Ce recueil (très clairement préfacé et rigoureusement agencé) montre que oui ; y a-t-il pour autant une philosophie de Proust ? Ce même recueil donne à son lecteur à la fois l’envie et les moyens d’une réponse vivante à cette difficile question.

La réalité ou non d’une véritable philosophie proustienne fait en effet âprement débat chez d’éminents spécialistes (en France, par exemple, Paul Ricoeur, Anne Henry, Luc Fraisse, Pierre Macherey, etc.). Ceux qui le nient – constatant l’absence d’une doctrine nette et d’une spéculation conceptualisée – ont deux types d’arguments.

Pour les 200 ans de la mort de Carlo Porta (par Jean-Charles Vegliante)

, le Mercredi, 10 Février 2021. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

Carlo Porta, milanés : avec le romain Giuseppe G. Belli, son cadet, sans doute le plus important poète dialectal d’Italie ; populaire, fort apprécié de Stendhal. Auteur de sonnets comme son confrère romain, mais aussi de poèmes longs (poemetti), dont l’extraordinaire La Ninetta del Verzee (1814), la confession bouleversante d’une prostituée. Romantique sans illusions, Porta est également l’auteur de poèmes politiques (sa ville bien-aimée fut soumise successivement aux Autrichiens et aux Français, avant la restauration autrichienne), et d’une traduction de la Commedia dantienne en milanais. Il est présent, avec un sonnet anti-français, dans notre Anthologie Amont dévers publiée en ligne par Recours au Poème. Sa poésie a été étudiée et valorisée par le philologue et critique littéraire Dante Isella. Il a été récemment traduit en italien par Patrizia Valduga.

Originaux facilement accessibles, par ex. sur :

https://www.liberliber.it/online/autori/autori-p/carlo-porta/

Histoire de ma vie, Jacques Casanova (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 09 Février 2021. , dans Les Chroniques, La Une CED

Histoire de ma vie, Jacques Casanova, Gallimard, Folio classique, janvier 2021, 544 pages, 8,60 €

Casanova, Jacques de son prénom (1725-1798), est un nom que l’on croise plus souvent qu’on en a lu l’œuvre ; parfois, dans un cadre psychanalytique, ce nom est mis en rapport d’opposition avec Don Juan : deux figures de la séduction, la seconde étant définitivement négative. Et effectivement, dans toute anthologie dédiée à la séduction, ou plus exactement à l’érotisme ou au libertinage, on croise un extrait de l’œuvre de Casanova, ou, plus rarement, dans une anthologie bien documentée relative à la littérature du XVIIIe siècle – mais alors, quasi en note en bas de page. Ce sont de brefs extraits, sélectionnés pour servir le propos de l’anthologiste, et il serait hypocrite de nier le plaisir ressenti à lire des écrits « légers » d’il y a deux, trois cents ans. On trouve des volumes reprenant un épisode de la vie de Casanova, en particulier son emprisonnement aux Plombs de Venise, ou la séduction d’une femme racontée plus amplement que d’autres séductions. Mais de l’œuvre véritable en tant que telle, ces Mémoires, rédigés en français, entre 1789 et sa mort, depuis réédités sous le titre Histoire de ma vie, après une longue histoire éditoriale faite de traductions maladroites, d’une mise à l’Index en 1834, de publications aussi diverses qu’incomplètes ou censurées jusqu’à l’achat du manuscrit par la BNF en 2010, autant dire qu’on ne sait rien – enfin, le quidam, celui que décourage un tantinet l’idée de trois volumes de la Pléiade (2013-2015) ou de la Collection Bouquins chez Robert Laffont (2013).

La nuit shakespearienne et le cinéma de Kurosawa - IV et fin (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Lundi, 08 Février 2021. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

 

Signifying nothing : la révolution, la lamentation, l’aurore


Aussi obscure qu’elle soit, la nuit cède sa place au matin dans le campement de Macbeth comme au château de Washizu. « The night has been unruly », dit Lennox, à quoi Macbeth répond, en connaissance de cause : « ’Twas a rough night » (1). La nuit a accueilli une apocalypse en son sein, elle a été le lieu de la révélation. Aussi le jour ne s’est-il levé qu’en apparence. La lumière qui éclaire le lit de Duncan, comme celle qui illumine la raison d’Hamlet et de Lear lorsque le forfait dont ils sont victimes leur est révélé, ne participe qu’à informer les hommes qu’ils ont plongé dans l’obscurité et qu’ils n’en sortiront pas. À partir de cette nuit tragique, la vie ne signifie plus rien puisque l’ordre qui préexistait a été renversé. Il n’y a de place dans le monde post-apocalyptique que pour la lamentation.

 

Les trois révolutions

« Truth’s a dog must to kennel » (2)

Le mouvement de la tragédie shakespearienne est celui d’une révolution au sens scientifique du terme, c’est-à-dire du trajet savamment orchestré entre un point de départ et un point d’arrivée, lesquels sont généralement identiques. Entre-temps se produit une inversion exacte des valeurs : le juste devient injuste, le sage fou, le beau laid.