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Articles taggés avec: Wetzel Marc

Être clown en 99 leçons, Fabrice Hadjadj (par Marc Wetzel)

, le Mercredi, 11 Janvier 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Être clown en 99 leçons, Fabrice Hadjadj, Editions La Bibliothèque, 162 pages, octobre 2022, 9 €

On a beau dire : mieux vaut rencontrer, en ouvrant un livre, une épuisante intelligence qu’une revigorante, ou même, apaisante sottise. Ces cent cinquante pages font qu’on est servi : une extraordinaire vivacité intellectuelle, un sens déroutant (et constant) de la formule, une acuité qui réellement ne craint rien (c’est politiquement très incorrect, mais culturellement très correcteur), un bon petit miracle rhétorico-spirituel (comme on n’espérait guère plus, mais aussi comme on ne s’inquiète pas de le mériter peu, parce qu’on est conquis, content et ébahi). Comble de chance : on n’envie pas le génie de l’auteur (car on le sait douloureux sous le mince masque, et lui-même le remettant en cause, faisant comme tapis, ingrat et obscur, à chaque relance), on y respire librement (car l’humour débridé veut bien nous donner l’intelligence de supporter la sienne), on pardonne (l’unique fois où l’on a rencontré l’auteur, à la sortie d’un théâtre qui jouait la pièce d’une nièce, il jouait de l’accordéon en argumentant sur le trottoir à peu près désert, et l’on s’était promis de tirer vengeance, un jour, de cette si clownesque impertinence). D’abord, trois ou quatre aperçus de cette singulière virtuosité, respectivement : le clown d’abord, assumant son nez rouge, y considère d’abord son nez tout court ; ensuite il prend sa propre candeur avec le sérieux que sa naïveté lui semble, logiquement, mériter ; enfin son masochisme prend logiquement plaisir à s’avouer tel (et le clown encourage ses persécuteurs, qu’il comprend trop bien). Voici les trois passages (on en ajoutera un, sûrement) :

Sèvre, eaux fortes, Vincent Dutois (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 06 Janvier 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Sèvre, eaux fortes, Vincent Dutois, Le Réalgar-Éditions, 2020, 44 pages, 4,50 €

 

C’est un texte génial, et qui n’est presque rien : un livret de trente-cinq pages, sorti il y a deux ans, qui tient dans la main. Le titre évoque la Sèvre Niortaise (fleuve côtier qui, avec la Nantaise – qui n’est, elle, qu’une simple rivière –, baptise le département bien connu de l’Ouest français, et finit en face de l’île de Ré), joue avec le nom de la gravure sur plaque de cuivre (l’eau forte est l’acide qui creuse les traits voulus en sillons qu’on remplira d’encre et imprimera sur papier), propose un cliché, sobre, nu et net du Marais Poitevin proche (l’auteur est aussi photographe). Sept lieux proches les uns des autres (les coordonnées baroquement fournies font foi) sont successivement commentés. On attend un hydrologue, un ethnographe, un promeneur, un natif ; on les a. On a, surtout, un styliste étincelant, d’une démoniaque virtuosité, qui vous décrit aussitôt quatre anciens clampins du cru (les « frères tous-pareils » !), posant pour l’avenir (dont ils se souciaient peu, qu’ils méritaient moins encore) dans une prose poétique dont on ne connaît pas, dans la langue française, d’équivalent actuel :

Shifumi, Laurent Albarracin (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 14 Décembre 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Shifumi, Laurent Albarracin, Pierre Mainard éditeur, octobre 2022, 80 pages, 13 €

 

« Poule renard serpent

pierre feuille ciseaux

prendre sans être pris

ou bien plutôt

et mieux dansant

prendre et être pris » (p.62)

 

Shifumi, c’est l’original de notre jeu d’enfants pierre/feuille/ciseaux, avec ses trois signes manuels correspondants, sa règle de présentation simultanée et aléatoire, son principe de dominant-dominé : chaque figure, vaincue par une deuxième, bat la dernière (et s’annule devant elle-même).

Le muguet rouge, Christian Bobin (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 29 Novembre 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Le muguet rouge, Christian Bobin, Gallimard, octobre 2022, 88 pages, 12,50 €

 

« Des gens instruits nous mènent à la catastrophe. Je n’ai pas ouvert le journal. Je suis allé chercher les nouvelles du jour dans les Pensées. Au siècle de Pascal on jette de la paille sur les pavés devant les demeures où s’agite un mourant, afin que son agonie ne soit pas injuriée par le grincement bonhomme des roues des carrosses. Les pensées sont le goutte-à-goutte de cette agonie : que nul ne se détourne de son néant » (p.62).

Christian Bobin, malgré trois années de silence, se répète – et c’est la meilleure des nouvelles ; il se répète parce qu’il y a en lui une idée (celle d’une présence pure, d’une rencontre juste, d’une attention héroïque) qui ne passe pas parce qu’elle ne faiblit pas, et qu’il ne doit lui-même pas dépasser car elle compte sur lui : il est son meilleur terreau, sa voix favorite, son fraternel et libre notaire. C’est ici l’idée de la confrérie du muguet rouge : puisqu’on offre du muguet existant (le blanc) pour la fête du travail, offrons-nous donc un bon muguet rouge, qui n’a aucune chance d’exister, pour fêter le travail sur soi. Établir un Premier Mai de notre transfiguration, voilà le projet du titre.

Eschaton, Ici finit le règne de l’homme, Vincent La Soudière (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 17 Novembre 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Eschaton, Ici finit le règne de l’homme, Vincent La Soudière, La Coopérative, novembre 2022, 320 pages, 22 €

 

Mon unique rencontre – joyeuse et perplexe – avec cet auteur, en 1979, au buffet de la Gare du Mans. Il me dit : « Je n’y arrive plus… ». « À quoi ? » lui dis-je. « À Dieu » répond-il. Et nous avons ri. « Moi, lancé-je alors, je n’y suis jamais arrivé ». « Veinard » me répond-il. Et, son bock, mon verre de lait, de trinquer.

Cet homme (1939-1993) a eu un destin nettement tragique. D’un coté, une vie de solitude (pas de famille fondée), de dépression (pas de vie intérieure non-médicamentée) et d’errance socio-professionnelle (pas de diplôme, ni de carrière, ni même de domiciliation autonome), que Sylvia Massias résume brutalement ainsi : « Il a détruit son être, sans pouvoir en mourir ». Et puis, en même temps, une vie d’efforts constants, d’engagement intérieur passionné (dans la foi, l’écriture, la lecture), qui lui a donné un monde cohérent et profond, mais sans sol ni appui, sans ressources, sans écho ni même résistance utile. En un mot, il a construit sa personnalité, sans pouvoir y vivre.