Identification

Articles taggés avec: Wetzel Marc

Poèmes de transition 1980-2020, Branko Čegec (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 10 Décembre 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Pays de l'Est

Poèmes de transition 1980-2020, Branko Čegec, L’Ollave, Domaine croate/Poésie, octobre 2020, trad. croate, Vanda Mikšić, Brankica Radić, Martina Kramer, 144 pages, 15 €

 

Il y a quelque chose d’irritant dans l’aisance et la vaillance si talentueuses du poète croate Branko Čegec : c’est l’impression d’un être frivole, luxurieux, un rien méprisant (ou en tout cas narcissique). Un dandy surdoué, et qui déraille. Et une espèce de détaillant – un brin complaisant – des médiocrités, vanités et vulgarités humaines. Le petit bout de la lorgnette semble son oculaire favori. Il rêve gras : des partenaires sexuels de pure rêverie, on n’a pas à obtenir consentement, et c’est un peu dangereux. Réellement les plaisirs strictement fantasmés (s’appesantissant dans l’apesanteur), sans corps en situation, sans chair réelle à vivre et faire vivre, sont sans fatigue, sans précaution, sans trac, donc facilement faux et dédaigneusement illimitables. Mais tout ça est justement faux, et il faut traverser toute sa feinte nonchalance, et assimiler toutes ses provocations de carabin, pour rencontrer un être étonnamment fidèle, probe et responsable.

La folle de la porte à côté, Alda Merini (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 02 Décembre 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Italie, Arfuyen

La folle de la porte à côté, Alda Merini, Arfuyen, Coll. Les Vies imaginaires, octobre 2020, trad. italien, Monique Baccelli, 216 pages, 17 €

 

Un texte est sacré pour qui le croit inspiré par ce qui le fonde, un texte est génial quand il semble inspirer lui-même ce qui le fonde. Et, malgré sa crasseuse mythomanie, sa délirante mauvaise foi, sa sénile (64 ans) vulgarité, ce prodigieux Journal de vie paraît bien sacré et génial, comme on voit tout de suite :

« La douleur est une terre ferme. L’homme peut compter en toute sécurité sur la douleur, car c’est la seule chose qui soit à lui, depuis toujours. La joie est vagabonde.

J’ai depuis longtemps une drôle de fièvre, une fièvre qui brûle. Je suis devenue adipeuse, grasse comme toutes les femmes anxieuses et je ne sais plus faire de miracles parce que je ne sais plus souffrir. C’est la douleur qui nous fait grandir, et c’est la douleur qui nous fait mourir. Si nous enlevons la douleur, nous enlevons la table sur laquelle nous mangeons tous les jours. Sans douleur nous finirions par être obligés de manger par terre.

La vie brûle, Jean-Claude Leroy (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 26 Novembre 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

La vie brûle, Jean-Claude Leroy, Editions Lunatique, octobre 2020, 212 pages, 20 €

 

 

« Tout le réel, rien que lui, dans mon je essoufflé » (in Ça contre Ça, Rougerie, p.61, 2018).

L’auteur (né en 1960) de ce livre, poète et essayiste, est ici aventurier et chroniqueur (instruit, agité et fin) d’une période de quelques mois du début 2011 où il se trouvait en Egypte (Alexandrie, Le Caire), assistant, par le jeu des circonstances, en direct à la révolution qu’on sait. Révolution qu’il soutient sans l’avoir prévue, qu’il accompagne sans s’en prétendre digne, qu’il aime et photographie sans l’admirer tout à fait, comme on va voir. Une sorte de samouraï perplexe, en sac à dos et baskets, misanthrope et bienveillant, comprenant mieux l’Occident (capitaliste, nucléarisé, cynique) quitté sans regret que ce qu’il vient là découvrir, avec effroi, gourmandise et scrupule :

La vulnérabilité ou la force oubliée, Bertrand Vergely (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 08 Octobre 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

La vulnérabilité ou la force oubliée, Bertrand Vergely, Le Passeur éditeur, octobre 2020, 288 pages, 20,90 €

Pour Bertrand Vergely, la vulnérabilité n’est ni fragilité ni faiblesse ; c’est, au contraire, suggère-t-il, la recherche de l’invulnérabilité qui témoigne d’une âme impuissante et triste ! Mais elle est une force ; pas bien sûr n’importe quelle force, mais exactement la force de rester exposé. Ce courage de s’exposer à la réalité de la vie (de ses nécessités comme de ses aléas), il le voit par exemple dans l’honnêteté, qui fait qu’on expose sa noblesse d’âme en prenant le risque de ne pas tricher. Il le voit aussi dans la générosité, qui expose vaillamment sa libéralité, en décidant de donner avant de devoir, ou de faire le premier pas dans l’opportunité commune d’advenue du meilleur. Il le voit encore dans la délicatesse, qui, montre-t-il, se risque à l’innocence du tact et expose, en quelque sorte, la finesse de peau de notre jeu d’humanité. Puisque honnêteté, générosité et délicatesse sont des vertus, l’exposition périlleuse à la présence qui à chaque fois permet celles-ci justifie l’appel social, moral et métaphysique à une vulnérabilité de bonne foi et de bonne volonté. Par exemple encore, la loyauté, montre l’auteur, qui est comme un respect personnalisé de l’exigence d’humanité (« Il y a des moments où seul compte l’honneur de l’humanité », p.276), est aventure rendue risquée par l’horizon même qu’elle se donne : la conquête de la noblesse intérieure.

Ainsi parlait, Georges Bernanos (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 08 Octobre 2019. , dans La Une Livres, Anthologie, Les Livres, Critiques, Essais, Arfuyen

Ainsi parlait, Georges Bernanos, Dits et maximes de vie choisis et présentés par Gérard Bocholier, août 2019, 152 pages, 14 € Edition: Arfuyen

 

Georges Bernanos (1888-1948) vomit la sagesse, « Il n’est rien de haïssable en l’homme que sa prétendue sagesse, le germe stérile, l’œuf de pierre que les vieillards se passent de génération en génération et qu’ils essaient d’échauffer tour à tour entre leurs cuisses glacées » (n°129), et voilà pourtant – admirablement composé par Gérard Bocholier – un authentique livre de sagesse, car l’effort de sagesse (nous le savons tous par ce qui également nous en sépare !) tient à la puissance de trouver la paix dans la vérité. Car la vérité ne laisse jamais spontanément en paix : elle divise les hommes (puisqu’elle est indifférente aux intérêts subjectifs et à leur conflit) et intimide l’homme (car elle révèle ce qui rend le réel tel, et tranche depuis sa souveraine clarté) ; inversement, la fausseté nous délivre illusoirement de la guerre, car elle distord ou dissimule ce qui pousse invinciblement l’homme à détruire l’homme. Les hommes mentent d’abord par peur du mal qu’ils font ou subissent. « On ne massacre jamais que par peur, la haine n’est qu’un alibi » (n°116).