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Articles taggés avec: Wetzel Marc

Dévastation, La question du mal aujourd’hui, Dominique Bourg (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 22 Janvier 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, PUF

Dévastation, La question du mal aujourd’hui, Dominique Bourg, Puf, septembre 2024, 320 pages, 18 €

 

« Nous préférons voir sombrer le navire plutôt que de voir nos noms effacés de la coque ! » (Mark Lilla)

 

Le titre de ce livre est bien choisi, puisque sans appel (la ruine, le saccage, la destruction à la fois de la vie et de ce qui fait vivre… y sont entendus sans ambiguïté), mais le terme même de « dévastation » a une étrange étymologie. Si « vastare » (ou « devastare ») en latin désignait déjà l’action de ravager et ruiner, c’était au sens de faire le vide, de rendre désert, de « désoler » les lieux, car « vastus » (qui a donné notre « vaste ») renvoie, non du tout à une ampleur disponible et confortable, mais à une étendue pour rien, ou de rien, un forum abandonné de ses occupants, un site vidé de ses défenseurs, une mer immense qui disperse et désoriente… La « vastitude » est donc d’abord négative, l’effet de dépeuplement par une reddition, un incendie, ou, au sens figuré, l’état d’une âme stérilisée par le remords ou égarée par sa propre insatiabilité.

La Morale remise à sa place, Rémi Brague (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 14 Janvier 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

La Morale remise à sa place, Rémi Brague, Gallimard, novembre 2024, 160 pages, 18 €

 

Tout le monde voit à peu près ce qu’est la morale : l’effort de vouloir (activement) le bien du prochain en renonçant librement (à proportion) à la satisfaction du sien propre. C’est, typiquement, le geste généreux (pour autrui) et ingrat (pour soi) – au cours duquel on peut, bien sûr, se tromper (le sauveteur maladroit qui noie celui qu’il secourt), tromper (et faire passer, en autrui, pour bien qu’il veut, le mal même qu’on lui fait, par piège corrupteur ou subornation de naïf) ou être trompé (comme le gogo qui s’échine pour qui le gruge), mais s’imposer délibérément un coûteux devoir pour soulager ou aider autrui – voilà ce que chacun spontanément juge moral, ne serait-ce que parce qu’on sait qu’on serait content qu’autrui en fasse autant en retour (même si, par principe, on s’abstient ici de le réclamer, ou même de l’espérer : la morale est don de soi sans conditions, ou n’est rien).

Les Ecrits, Journaux et lettres (1941-1943), Etty Hillesum (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 11 Décembre 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Pays nordiques, Seuil

Les Ecrits, Journaux et lettres (1941-1943), Etty Hillesum, Seuil, 2008, trad. néerlandais Philippe Noble, Isabelle Rosselin, 1088 pages, 37 €

 

Etty Hillesum grandit plus vite que son ombre. Sa pleine humanité mûrit en deux ans (1941-1943), et de manière d’autant plus surprenante et émouvante qu’elle croît – en responsabilité, en justesse – déjà à peu près (historico-politiquement) condamnée, certaine de finir vite et lamentablement sa vie, comme Juive traquée de la Hollande vaincue. Bref : elle se sait grandir (d’esprit et de destin – puisque l’adolescence est terminée) pour autre chose que sa propre vie adulte (dont elle n’aura à peu près, comprend-elle, aucune chance de jouir). Son immense effort n’avait donc, consciemment, pas elle-même pour but. Une jeune femme de 27 ans, très sensuelle et infiniment vive, s’avouant – dès les premières lignes de son Journal – « je ne suis en tout cas pas mon but », cela étonne et promet.

Patchwork, Christian Ducos (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 04 Décembre 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Patchwork, Christian Ducos, Le Pauvre Songe Éditions, octobre 2024, 64 pages, 12 €

 

« Qu’adviendrait-il d’un oiseau en vol si par malheur il venait à prendre conscience de son état d’oiseau ? Il est probable que son vol s’en ressentirait gravement, la fine mécanique des plumes n’aurait plus la même précision, la même spontanéité d’action, d’adaptation au vent, le surplomb du gouffre durant le vol probablement se teinterait d’une sensation jusqu’alors inconnue de vertige. Expulsé de l’impensé, de l’incalculé, contraint à la pénétration brutale dans l’atmosphère de la conscience de soi, comment l’oiseau pourrait-il survivre à pareille violence ? Que resterait-il alors de la légèreté du vol, de l’innocence de l’envol ? Mais en irait-il autrement si à la place du mot oiseau on trouvait le mot poète, saint ou savant ? Comment la légèreté d’être, l’innocence créatrice pourraient-elles sans disparaître supporter pareille chute dans l’image de soi ? » (p.29).

Terminus, et autres poèmes intimes, Edith Wharton (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 15 Novembre 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, USA

Terminus, et autres poèmes intimes, Edith Wharton, Arfuyen, octobre 2024, trad. anglais, Jean Pavans, édition bilingue, 120 pages, 15 €

 

Une grande intelligence, polyglotte, d’une étonnante précocité (certains poèmes, présents dans le recueil, sont d’une auteure de… 13-16 ans, et sont déjà d’une âme adulte), peu heureuse en amour (un très riche, aristocrate et vieux mari, partageant sa cosmopolite bougeotte, mais dépressif ; un amant – adultérin, pour quelques mois, étalon adroit et splendide, mais libertin et bisexuel –, qui ne s’attardera guère sur leur commune jubilation), romancière célèbre mais admirée aussi de ses pairs (Henry James, Paul Bourget, Gide, Cocteau…), femme du monde nord-américaine capable, pendant la Première Guerre, établie en France, d’incessantes et très conséquentes initiatives humanitaires, financières, journalistiques pour soutenir (et relayer dans le reste du monde) l’effort des nations démocratiques, Edith Wharton (1862-1937, mourant la même année qu’Elie Faure et esprit aussi vif, curieux, fin et noble que le sien) était, dans l’intimité, et plus discrètement, poète. Une poésie dont cette parfaite francophone, et loyale francophile, aurait estimé et salué la première traduction que, grâce à Jean Pavans, voici.