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Mes anticorps, Jean-Pierre Otte (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 08 Novembre 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Mes anticorps, Jean-Pierre Otte, éditions Le Temps qu’il fait, octobre 2023, avant-propos de Manuel Schmitz, 168 pages, 20 €

La fortune sourit aux audacieux, et le hasard aux curieux. Audacieux, Otte l’est naturellement. « L’âme serait-elle le bénéfice immatériel de l’audace ? », demande-t-il benoîtement, et c’est oui pour lui : ses excès de confiance réussis sont son capital spirituel. L’audace part vérifier dangereusement ce qu’elle a pensé possible, et cet auteur est cela même : avide de dangers, osant avancer, et ne décidant du bien et du mal qu’à l’intérieur du courage, jamais avant.

« Curieux », le mot est faible. Jean-Pierre Otte pousse (explicitement) plus loin le fameux mot de Pasteur (« Le hasard favorise les esprits préparés ») en un : prépare-toi, et le hasard te voudra du bien. Ne savoir que ce qu’on ne veut pas ne requiert aucune curiosité, mais « savoir inventer ce qu’on veut » (p.66), si : c’est un virtuose, non seulement de l’art de deviner les arcanes, mais de celui de renaître. Il semble y avoir de l’arrogance à estimer que « celui qui n’est pas en train de naître est occupé à mourir » (p.66), mais l’esprit humain ne choisit pas de devoir assumer tous les mystères, puisqu’il est le premier d’entre eux. L’activisme spirituel nous est un devoir, car il y a « nécessité pour nous de prendre présence dans le présent » (p.127), nécessité vitale, invitation indéclinable.

Ainsi parlait, Eugène Delacroix, Dits et maximes de vie choisis et présentés par Marie Alloy et Jean-Pierre Vidal (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 20 Octobre 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Ainsi parlait, Eugène Delacroix, Dits et maximes de vie choisis et présentés par Marie Alloy et Jean-Pierre Vidal, Arfuyen, septembre 2023, 176 pages, 14 €

Delacroix était, comme le souligne la remarquable introduction, un homme nerveux et courtois, compensant une très maigre mémoire par une extraordinaire imagination, un homme auquel son état maladif rendait tout effort difficile mais dont la discipline de vie était le premier et infaillible appui (« Cette vie est trop facile. Il faut que je l’achète par un peu de cassement de tête »), un homme que son génie – qu’il cachait trop selon ses amis, et trop peu selon ses ennemis – exposait à tous les malentendus et à la « panhypocrisiade universelle » fr. 270 (il n’apprécie pas que Baudelaire le comprenne si bien ; mais il ne s’étonne pas que Chopin, dont il admire la musique, apprécie si peu sa peinture ; il plaint Hugo de se prendre pour Dieu, et Dieu pour Hugo – sur ce dernier point, comme l’écrivent plaisamment les deux auteurs de l’ouvrage, « Il a conclu un concordat avec la religion, il la respecte, mais elle ne gouvernera pas ses actes et sa vie »). En toutes choses, comme on va voir, il est à la fois (comme l’écrit son amie George Sand), un passéiste et « l’oseur par excellence ». Comme le résument en une éclairante formule (p.31) Marie Alloy et Jean-Pierre Vidal, « Delacroix veut accompagner les intermittences de l’être pour mieux les combattre ». Voyons un peu comment :

Le Dernier Messie, Peter Wessel Zapffe (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 13 Octobre 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Allia

Le Dernier Messie, Peter Wessel Zapffe, éditions Allia, août 2023, trad. Françoise Heide, 48 pages, 6,50 €

 

 

Quand on attend un Messie, c’est déjà que ça ne va pas bien fort ; mais quand on en appelle, comme ici, à un « dernier Messie » (un de la dernière chance), c’est qu’on joue le va-tout de sa propre demande de salut. Et puis, littéralement, le dernier Messie (le der de der) arrive par principe dans un monde où il ne pourra plus s’en former un autre, dans la fin, donc, de tout monde normal (imparfait, désespérant, déchiré). Mais un Messie, en pleine fin ou décomposition du monde, quel rôle y jouerait-il ? Et quelle espérance peut donc susciter quelqu’un venu pour donner le coup de sifflet final (sinon mobiliser quelques quolibets ou sourires navrés) ? À quoi bon, un « Messie pour la route », s’il n’y a plus de route ?

Une révolution dans la pensée, Jean François Billeter (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 05 Octobre 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Une révolution dans la pensée, Jean François Billeter, éditions Allia, août 2023, 64 pages, 7 €

 

Une révolution dans la pensée ?? Pas moins ??!… Et par un homme seul, pour un projet global et dans un opuscule d’une cinquantaine de pages ?! On peine à le croire, mais, à le lire, le contenu est riche, le pari est tenu, l’affaire est passionnante. Voici en quoi.

Il faut une révolution, en effet, c’est-à-dire il faut retourner la catastrophe en cours : sans un nouveau commencement (une sorte de mutation personnelle, partagée de proche en proche, y pourvoirait), l’aventure humaine est finie, l’affaire est pliée. Et révolution dans la pensée, car la pensée est le pouvoir le plus général, le plus accessible, le plus proche (il suffit que chacun fasse l’effort de se servir de lui-même) : la pensée est en effet le pouvoir de se représenter ce qui importe, elle est la liberté de comprendre dans l’exigence de vérité. La vérité n’est pas ici un contenu, mais une exigence (un Trump, par exemple, ou un Poutine, ne pense pas, car il n’exige pas la vérité de son propre discours ; il ne pense pas, il se parle – surtout de lui-même – à voix haute, et fait vivre ce qu’il veut réel, sans tenter d’éclairer ce qui rend réel ce qu’on vit).

Grand Saint Vincent, Éric Sautou (par Marc Wetzel)

, le Jeudi, 21 Septembre 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Grand Saint Vincent, Éric Sautou, Editions Unes, juin 2023, 104 pages, 19 €

C’est un livre important et particulièrement périlleux. Des trois parties du recueil, la première (la plus longue, et redoutable), titrée Le Pont noir – et sous-titrée « Jeffrey Dahmer » au sommaire – s’avance comme l’expression lyrique d’un tueur en série bien réel et spécialement répugnant – charcutier virtuose et cannibale – des années 80-90. Le malaise du lecteur n’est donc pas feint, l’audace du poète est sans précautions. Voici ce qui se passe et ce qui s’énonce dans ces pages occupant les trois-quarts du tout. Quelqu’un de jeune – qui dit de plus en plus ouvertement « je » – torture d’abord de jeunes animaux (mulots, écureuils, divers oiseaux), en montrant lentement (mais méthodiquement) sa « force ».

Plus loin, il demande « l’autorisation » (sinon parentale, du moins éthico-sociale) de brûler sa propre maison (pouvant s’approcher, on l’entendrait dire « s’il vous plaît », en transportant ses bidons, et tenant sa torche). Il déclare « dormir de peur », et s’en explique : lui, l’homme poly-craintif, n’a jamais peur dans l’ombre, et se retrouver, dans l’inconscience, ainsi à l’ombre de lui-même, l’apaise. Il boit sans mesure (il jette de l’acide sur ses entrailles, comme, dit-il, au-dehors on soulèverait des pierres pour les jeter au ruisseau). Il est ému par la beauté, mais elle ne reste pas ; même quand il la laisse faire, quand il ne lui résiste plus, quand à l’évidence elle vit davantage que lui, elle ne reste pas. Sur ce qui est meilleur que lui – et c’est à peu près le monde entier ! – il ne sait pas, voilà tout, compter.