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La Voie du large, Michèle Finck (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 07 Mars 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

La Voie du large, Michèle Finck, Les Cahiers d’Arfuyen, janvier 2024, 224 pages, 17,50 €

 

Bien sûr, il n’y a pas de voie du large : une « viastitude » serait un mot-valise sans sens ni humour. Une voie, c’est un chemin à suivre, une suite de moyens à mettre en œuvre, un couloir praticable vers un but ; et le large, c’est la vastitude, ce sont les hauts-fonds, c’est l’horizon où fuir, c’est l’immensité faite pour s’éloigner. Une voie du large serait donc impraticable : comment espérer passer par ce qui nous dépasse ? Ou, à l’inverse : en quel couloir déguiser l’immensité ? Ce serait vouloir rayonner étroit (par ondes centripètes !), ou héler sélectivement (urbi et orbi, mais en aparté !), et on ne le pourrait pas, même si (absurdement, ou dépressivement) on le voulait ! Une voie du large ferait bien plutôt voie d’eau au large, ou ne vaut que comme régressive métaphore (telle une Voie Lactée, qui n’est, de fait, ni voie ni allaitante !).

Lents ressacs, Myette Ronday (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 28 Février 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Lents ressacs, Myette Ronday, Les éditions Sans Escale, mai 2023, 102 pages, 15 €

 

« Si l’on s’en sort, on ne sera plus

semblable à soi-même, mais que craindre ?

On ne devient jamais que ce qu’on mérite d’être.

Il va falloir se faire confiance » (p.70).

Le ressac, c’est comme un incessant naufrage de vagues sur le littoral, et en même temps leur perpétuelle reformation : leur va-et-vient, qui fait comme un Eternel Retour du pauvre, ou une bougeotte finale de l’immensité liquide, ne laisse en tout cas rien tranquille sur la grève, y ballotte les objets, rejette et ramène tout ce qui y arrive et échoue à s’installer.

Fille du chemin, Jean-Pierre Vidal (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 02 Février 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Récits

Fille du chemin, Jean-Pierre Vidal, éditions Le Silence qui roule, janvier 2024, 98 pages, 12 €

 

« Le premier matin, quand je me réveille un peu plus tard qu’elle, comme un éclat, je reçois en pleine face ses seins blancs à la toilette, son pubis, la violence de sa toison très noire sur le blanc de sa peau. Mon regard ne lui importe pas, elle n’a pas souci de me séduire, ni de cacher sa féminité. Je suis heureux de l’avoir vue nue, un instant. Ce n’est pas de sa part un don personnel, volontaire, encore moins un appel. Le simple signe, au contraire, que je n’existe pas pour elle. Mais pour moi, sa nudité pure est le présent tout autant que tout à l’heure le ruisseau, les cailloux blancs, les feuilles nues des arbres. Au vrai, alors qu’elle n’a pas voulu me donner sa nudité en vue d’un avenir d’étreinte, elle m’a donné le présent sans chercher à le donner. Ce présent m’a suffi, dans sa légèreté incandescente, et je ne veux pas en faire un souvenir » (p.22).

Le Tigre Absence, Cristina Campo (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 20 Décembre 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Italie, Poésie

Le Tigre Absence, Cristina Campo, Arfuyen, octobre 2023, trad. italien, Monique Baccelli, édition bilingue, 132 pages, 15 €

Qui est Cristina Campo ? D’abord un pseudonyme (Vittoria Guerrini – 1923-1977 – en eut bien d’autres, qu’elle oubliait elle-même à mesure, mais celui-ci, qui n’était connu que de ceux qui méritaient de la lire, l’arrangeait au mieux) ; ensuite ce qu’on appelle de nos jours une pure « résiliente » (née avec une grave malformation cardiaque, qui l’empêche de courir, et même de crier ou d’aller à l’école, elle en profite, enfant, pour apprendre quatre ou cinq langues dans les livres de poésie de son chef d’orchestre de père, et devenir elle-même musicienne en l’écoutant inlassablement répéter, tout en vivant de multiples traductions qui ne lui coûtaient rien) ; enfin une poète à la fois extrêmement sophistiquée (on se moque avec raison de ceux qui prétendent bien la comprendre), et très simple et directe (comme dans ce poème célèbre, où elle s’adresse à ses parents morts récemment – années soixante – pour leur demander, avec une géniale naïveté, de… ne pas se contenter d’être morts, de faire de leur néant quelque chose qu’avec ou que dans l’être, on ne peut pas faire !). Plus précisément, la voilà séparée – à jamais – d’eux par celui qu’elle appelle le « Tigre Absence », puisque ceux qui lui ont appris à aimer le monde la déchirent d’en avoir disparu, poème délirant (supplier, comme elle fait là, des cadavres, et y amadouer un tigre sont actes aussi absurdes que travailler de l’eau, faire rire un scorpion, ou convaincre la foudre), et pourtant limpide et infiniment naturel :

Mort et vie sévérine, João Cabral de Melo Neto (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 13 Décembre 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Amérique Latine, Langue portugaise, Poésie

João CABRAL de MELO NETO - Mort et vie sévérine - Édition bilingue. Traduction et présentation de Mathieu Dosse - Chandeigne, 2023, 136 p.,18€

 

Un poème (en fait, une "scène de Noël" écrite en 1955, un jeu théâtral versifié répondant à une commande, et refusé comme injouable - qui n'a eu que dix ans plus tard un étonnant succès, dans une version politico-musicale que Chico Buarque impose à la fois à la dictature d'alors, à Cabral lui-même, d'abord réticent, et au public européen, subjugué) formidable, virtuose et simple, dont on se surprend, un oeil sur les pages de gauche, à scander l'irrésistible et opaque portugais. L'histoire monologuée d'un migrant ("um retirante") du Nordeste, Sévérino, qui gagne, à pied, Recife, pour, fuyant sécheresse et misère, y trouver à vivre ; en une quinzaine d'étapes alertes, familières, denses - le long du fleuve Capibaribe, qui mène du haut-Pernambouc à la métropole côtière - pendant lesquelles le désespoir grandit, les objections au suicide s'essoufflent, la tentation de "prendre une autre sortie; celle qui fait sauter, de nuit, du pont et de la vie" s'installe, jusqu'à ce qu'une naissance - comme on va voir - change l'issue, et redirige ailleurs l'échec.