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Articles taggés avec: Wetzel Marc

Cadastre des misères, Vincent Dutois (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 23 Août 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Cadastre des misères, Vincent Dutois, Le Réalgar-Éditions, juin 2024, 48 pages, 6 €

 

« On a beau le savoir mort et enseveli depuis longtemps, il entête toujours. Un chasseur aguerri raconte qu’il a mis en joue, dans les bois, une créature qui lui ressemblait presque, à la peau maïs, les mains baguées de verrues, traînant le même manteau de misère, dépenaillé ; et les chiens suaient d’effroi. La consigne dans les familles est donc qu’au cas où, s’il est parfois de retour, sous sa forme d’antan ou sous une autre, mieux vaut le fuir. Le vent, une feuille, une respiration derrière un mur, et tous s’égaient, en des envols d’écolières et des courses de vitesse ; les garçons poussent des cris de mue, lorsqu’on les surprend à la baignade ou au jeu ; l’estomac d’un jardinier sursaute à la brune au coup de muscle dans l’air d’une grive. On a beau le savoir mort et enseveli depuis longtemps, la ligue qui s’est formée au café aimerait, disent-ils, si la loi permet d’exhumer, en avoir malgré tout le cœur net » (p.44).

Le « vrai » métier des philosophes, Nassim El Kabli (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 03 Juillet 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Le « vrai » métier des philosophes, Nassim El Kabli, Fayard/France-Culture, mai 2024, Préface Francis Wolff, 284 pages, 16 €

 

Montaigne était maire, Spinoza polisseur de verres, Bergson diplomate, Epictète esclave, Marc-Aurèle empereur ; Rousseau fut copiste de musique, Simone Weil ouvrière, Cicéron avocat… tous ces si divers métiers ne les ont pas empêchés d’être philosophes. Mais trois questions viennent aussitôt : ces métiers leur ont-ils, positivement, permis d’être philosophes ? Puis : l’activité philosophique même (indépendamment des professions de professeur, vulgarisateur ou historien de la philosophie) peut-elle être considérée comme un métier ? Enfin, comment comprendre l’indiscutable présence dans la réalité (et dans ce livre) d’authentiques philosophes par ailleurs cycliste professionnel (Guillaume Martin), braqueur de banque (Bernard Stiegler), interprète pop (Agnès Gayraud, sur la scène musicale : La Féline), ou réparateur de motos (Matthew Crawford)… : le pur et simple « métier de vivre » (dont parlait Pavese) du compétiteur, du délinquant, de l’autrice-compositrice-interprète, du médecin des moteurs… ouvre-t-il donc sûrement à l’étrange occupation de faire « vivre la pensée » (comme dit Comte-Sponville) ?

Un mot sans l’autre, Dialogue avec Philippe Bouret, Lili Frikh (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 11 Juin 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Un mot sans l’autre, Dialogue avec Philippe Bouret, Lili Frikh, Mars-A éditions, février 2024, 108 pages, 15 €

 

Brève présentation du livre au Gazette-café de Montpellier, ce samedi 11 mai 2024, 18 heures. Vingt personnes dans la petite salle rouge du fond. Dès les premiers mots, Lili Frikh bouleverse et inquiète, dans une impression d’Artaud et Simone Weil mêlés, comme se jaugeant l’un l’autre, ironiques et affectueux (!), depuis longtemps. Mais reprenons du début.

Lili Frikh, dès qu’on l’a aperçue une fois ou deux, fait tellement peur dans sa dégaine et sa conduite (une fine sorcière aux yeux jaunes, avec leur lumière à bout portant ; ou une bête amochée et timide – qui va visiblement parler, mais avec laquelle on ne va certes pas connaître le « plaisir du texte » !) qu’on préfère arriver après qu’elle se soit installée, pour ne pas voir comment et combien elle se dispose anormalement là – où que ce soit – à quel point elle débarque et s’établit de justesse, si pudiquement et farouchement devant les autres.

Main basse sur la pensée, Les grandes arnaques, Bertrand Vergely (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 29 Mai 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Main basse sur la pensée, Les grandes arnaques, Bertrand Vergely, Salvator éditeur, avril 2024, 200 pages, 19,80 €

 

Bertrand Vergely est philosophe : rien ne vaut donc, pour lui, l’exigence de vérité, et rien ne vaut, pour l’établir, que le dépistage de l’auto-contradiction. « Ou la vérité n’existe pas et l’idée qu’il n’y a pas de vérité n’est pas vraie, ou l’idée qu’il n’y a pas de vérité est vraie ; dans ce cas, la vérité existe » (p.95). Quand, à son procès, son accusateur reproche à Socrate d’être « un athée qui ne croit qu’à son démon », Socrate demande – puisqu’un démon grec naît d’un dieu et d’une mortelle – d’où peut bien sortir ce démon pour l’athée. Quand le prêtre Euthyphron définit devant Socrate la piété comme ce qui plaît aux dieux, Socrate demande si elle est la piété parce qu’elle plaît aux dieux (en ce cas, que devient-elle, si ceux-ci sont en désaccord ?) ou si elle plaît aux dieux parce qu’elle est la piété (en ce cas, qu’est-elle pour pouvoir et devoir ainsi plaire à tous ?).

Mains positives, Guillaume Métayer (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 22 Mai 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Mains positives, Guillaume Métayer, La Rumeur libre éditions, février 2024, 110 pages, 17 €

 

Les « mains positives », disent les préhistoriens, se posent là. Badigeonnée de colorant (au contraire de la « main négative »), la « positive » imprime directement sa forme sur la paroi ; c’est comme une prise d’appui massive, franche, caractéristique : une main y montre la chose qu’elle est (ou plutôt qu’elle fut !), au contraire de la main négative, dont l’empreinte est vide et vierge, qui ne fait, elle, qu’évoquer la forme que lui laisse, du dehors, le contexte coloré (craché ou vaporisé) répandu, après-coup, autour d’elle, et entre ses doigts écartés. Intituler « Mains positives » de courts poèmes en prose, c’est donc suggérer une sorte d’empreinte de pensée directement obtenue (comme un front en sueur ou en sang posé un instant sur une vitre ?), une miniature de monde comme plaquée, droitement transférée, apposée pour elle-même et non-cernée (sans halo ni fond suggestif, comme une claque sans décor). C’est un double choix de frontalité et de force, anti-symboliste (on verrait mal un Zarathoustra jouer du pochoir, et se parapher par main négative), où un « moi » s’inscrit en cri volontaire plutôt que se circonscrire en écho conscient !