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Les Livres

Le Cœur en bandoulière, Michel Tremblay (par Marie du Crest)

Ecrit par Marie du Crest , le Mercredi, 25 Novembre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Actes Sud, Théâtre

Le Cœur en bandoulière, 128 pages, 10,99 € . Ecrivain(s): Michel Tremblay Edition: Actes Sud


Michel Tremblay considère Le Cœur en bandoulière comme « un roman hybride » ; il serait possible pour lui de créer à la façon des agronomes un nouveau fruit littéraire. En effet, son texte rassemble deux genres : un récit à la première personne, dont le narrateur est un auteur de théâtre septuagénaire, en villégiature à Key West, aimant aller voir les couchers de soleil sur la jetée, et une pièce de théâtre en un acte, Cher Tchékhov, présentée avec sa première de couverture, sa liste de distribution, et dont l’auteur n’est autre que le promeneur de la jetée. L’écrivain vieillissant désire reprendre le texte de 82 pages qu’il a abandonné et tenter enfin de l’achever. Les deux genres s’entrecroisent tout au long de l’œuvre. On sait que Michel Tremblay écrit romans et pièces. Même s’il rejette l’écriture autobiographique, les lecteurs pourront reconnaître des morceaux de vie de l’écrivain : l’âge du narrateur, les séjours à Key West, l’homosexualité de l’un des personnages, le métier d’auteur dramatique redoublé sous les traits du narrateur principal et de Benoît, personnage principal de la pièce, ou encore le décor québécois près d’un lac dans la seconde partie du texte.

Le Cœur révélateur (Contes), Edgar Poe (par Mona)

Ecrit par Mona , le Mercredi, 25 Novembre 2020. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, USA, Flammarion, Contes

Le Cœur révélateur (Contes), Edgar Poe, Flammarion, Coll. bilingue Aubier, 1966, 375 pages

 

L’artiste défie le moraliste, une parodie de Platon

Poète maudit, auteur de célèbres contes fantastiques et policiers, critique littéraire implacable, très apprécié en France depuis les traductions de Baudelaire et de Mallarmé mais écrivain mal-aimé dans son pays natal, l’Amérique puritaine, où il déplaît pour sa vie dissolue (ivresses, mariage avec une cousine de 13 ans, dettes de jeu, mort d’éthylisme dans le caniveau de Baltimore), sa critique de la démocratie américaine et son esthétique aux antipodes de la pensée positive. Fasciné par la folie, le crime et le mal sous toutes ses formes, il appartient à un genre littéraire équivoque, le romantisme noir, et met en scène des monstres pervers aux passions sombres et destructrices dans des atmosphères lugubres et angoissantes.

Le Cœur révélateur, publié en 1843, illustre bien la formule de Mallarmé : « Poe, c’est le cas littéraire absolu » : entre maîtrise artistique et folie, jeux ambigus du réel et de l’imaginaire, polysémie et ironie, symbolisme subtil, l’histoire du cœur révélateur voile et dévoile. Défenseur de l’art pour l’art dans ses Principes Poétiques, Poe réfute le didactisme de convention et, avant Nietzsche, réhabilite le poète chassé de la cité par Platon.

Le bruit et la fureur (The Sound And The Fury, 1929), William Faulkner (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 24 Novembre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard)

Le bruit et la fureur (The Sound And The Fury, 1929), trad. américain, Maurice-Edgar Coindreau . Ecrivain(s): William Faulkner Edition: Folio (Gallimard)

L’histoire d’une décadence a plus d’une fois fasciné Faulkner. Au point de justifier que l’on se demande si – en basse continue – ce n’est pas éternellement l’histoire du Sud qu’il raconte encore et encore. C’est l’arc de Absalon ! Absalon !, de la trilogie des Snopes et, ici, la grandeur et la décadence de la famille Compson. Le Sud au fond, comme trame romanesque, le Sud et son basculement de la gloire à la défaite, au délitement de son mode de vie, de son modèle économique fondé sur l’esclavage, de sa fierté triomphante.

On a beaucoup dit que lire Le bruit et la fureur est une épreuve redoutable. La structure achrone du roman déconcerte, au moins pendant la première partie, la narration de Benjy. De tous les romans de Faulkner, c’est assurément le plus « difficile », essentiellement en raison de l’absence à peu près totale de chronologie. Faulkner mêle présent et passé dans la tresse serrée d’un récit dont le moteur est le flux de conscience avec ce qu’il implique d’aléatoire et d’inattendu. Et plus encore qu’inattendu, d’imperceptible. C’est là la clé de l’opacité de ce roman : le lecteur ne se rend pas compte de tout. On en a une preuve évidente quand on en est à la deuxième lecture de l’œuvre – c’est le cas ici avant d’écrire cet article – : la première lecture ne nous avait pas fait apparaître les mêmes reliefs, les mêmes sens.

La Maison dans laquelle, Mariam Petrosyan (par Ivanne Rialland)

Ecrit par Ivanne Rialland , le Mardi, 24 Novembre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Russie, Roman, Monsieur Toussaint Louverture

La Maison dans laquelle, Mariam Petrosyan, septembre 2020, trad. russe (Arménie) Raphaëlle Pache, 1073 pages, 15,50 € Edition: Monsieur Toussaint Louverture

Dans sa simplicité énigmatique, le titre du roman de Mariam Petrosyan recèle le secret de la fascination qu’il exerce. L’enveloppement dans une maison-monde, coquille chatoyante où se lovent les vies d’adolescents abandonnés. La porosité aussi d’une habitation dont les limites fluctuent dans le temps et l’espace, ouvrant des chemins de traverse à ceux qu’elle a adoptés.

L’autrice aurait passé une dizaine d’années à travailler à ce roman, commencé alors qu’elle avait à peu près l’âge des personnages, et déclare ressentir un grand vide depuis sa parution – cette même difficulté que les personnages éprouvent à sortir de l’étrange maison qui leur a servi de foyer, coquille baroque, marâtre, pour des adolescents fantasques et cruels dont les surnoms changeants symbolisent la quête d’une identité et d’un lieu propres.

Il y a quelque chose de Sa majesté des mouches dans ce grand roman de l’adolescence où les adultes ne sont jamais que des silhouettes lointaines, périphériques, sans toutefois qu’il faille y chercher une leçon, une morale : La Maison dans laquelle n’est pas un roman d’apprentissage – ou alors il serait celui d’un ré-apprentissage, d’une initiation à l’envers, qui permettrait au lecteur de reprendre pied dans l’univers perdu de son adolescence.

Éparses, Voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie, Georges Didi-Huberman (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 23 Novembre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Les éditions de Minuit, Histoire

Éparses, Voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie, février 2020, 170 pages, 16,50 € . Ecrivain(s): Georges Didi-Huberman Edition: Les éditions de Minuit

 

Si célèbre soit-il, le ghetto de Varsovie ne se visite pas, contrairement à d’autres, comme ceux de Venise ou de Prague. Avec le sérieux méthodique qui caractérise ce peuple, les Allemands l’ont entièrement détruit après l’insurrection d’avril 1943. Lorsque la capitale polonaise fut reconstruite après-guerre, on ne se soucia pas de l’ancien ghetto et seul un œil aiguisé peut en apercevoir le fantôme. En vérité, la mémoire du ghetto n’est pas inscrite dans la topographie de Varsovie. Elle se trouve à l’Institut historique juif de la ville, où sont conservés les documents patiemment réunis par l’historien du ghetto, Emanuel Ringelblum (1900-1944), puis enterrés dans des caisses de fer-blanc et de grands bidons de lait, et ainsi soustraits aux flots du temps. Ces quelque 35.000 pages reposaient dans leurs abris souterrains, tandis qu’à la surface les troupes du général SS Jürgen Stroop anéantissaient le ghetto et ceux qui y vivaient. Elles s’y trouvaient toujours lorsque, deux ans plus tard, Hitler, enfermé dans son bunker, mit fin à une existence trop longue. En 1946 et 1950, on découvrit ces deux ensembles de documents (un troisième demeure introuvable), dans un piteux état : les caisses en fer, qui n’étaient pas étanches, avaient été envahies par l’eau.