La mélodie sans les paroles, Catherine Benhamou (par Didier Ayres)
La mélodie sans les paroles, Catherine Benhamou, juin 2021, 80 pages, 12 €
Emily Dickinson : des vérités
Cette pièce de théâtre a pour sujet la vie d’Emily Dickinson, en prenant le parti non pas d’une vérité biographique mais d’une vérité intérieure à la poétesse américaine. De fait, ce sont deux vérités qui s’affrontent : la vie de l’autrice et le féminisme de Catherine Benhamou. Ainsi le petit nombre de personnages susceptibles d’incarner un raisonnement féministe se retrouve autour de la mort du père. Et aussi dans le rapport de genre. Donc : deux explications, deux tentatives de véridicité, personnelles et interprétées. Le but visé, je crois, étant de faire de l’existence de l’autrice un exemple de défense de la condition féminine, en tout cas dans le prisme de la dramaturge.
Voyage littéraire à deux vitesses : celle de la dramaturge et celle d’Emily Dickinson, qui se rencontrent ici dans un même projet intellectuel – plus sans doute que celui de restituer la phrase de la poétesse. C’est une découpe socio-politique, l’histoire des combats des femmes à quoi nous assistons.
Si David n’avait pas eu ce poste on ne serait jamais venus s’installer dans ce trou croyez-moi, mais que voulez-vous je suis bien obligée de suivre mon mari puisqu’il paraît que je lui appartiens.
On fait une guerre pour libérer les esclaves mais pas les femmes !
Et tant qu’on n’aura pas le droit de vote, rien ne changera, et tant que les hommes dirigeront on n’aura pas le droit de vote.
Je précise que cette pièce n’est pas la reconstitution biographique d’une époque, mais permet de voir dans Emily Dickinson la quintessence d’une lutte ancestrale pour l’obtention des droits des femmes à disposer de leur intelligence sans inféodation masculine. Ce qui est net, c’est que derrière la voix d’une femme du XIXe siècle, se trouve Catherine Benhamou, laquelle prend le masque de la femme opprimée d’une époque victorienne et proche de la guerre de Sécession, suffisamment pour dessiner le contour d’un propos, voire de revendications.
Ainsi, l’utilisation des tirets et des majuscules (occurrences célèbres des poèmes courts) n’est pas ici mimée ou reprise des textes existants. Non, ils sont intégrés à la personne, au personnage – devenant ainsi un personnage de théâtre à part entière. Car cet appareil littéraire cherche la vérité, vérité du personnage équivalent à la vérité de la dramaturge. Donc une double entrée : profondeur et apparence, grands et petits moments d’une vie, invisibilité et chose sourde, du caché ou du montré, de l’art et de la vie, la femme et le genre. C’est cette tension entre ces deux pôles qui fait la réussite du livre.
Si j’ouvrais la bouche – il sortirait – un gémissement rauque – une voix inconnue – même pas une voix – un son – discordant –
Personne pour vous raccompagner – mes jambes refusent d’avancer –
Pas un oiseau pour vous chanter – un au revoir –
Le vent ne siffle pas
Didier Ayres
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