Identification

Les Livres

Tous tes amis sont là, Alain Dulot (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 09 Février 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, La Table Ronde

Tous tes amis sont là, Alain Dulot, janvier 2022, 176 pages, 16 € Edition: La Table Ronde

« Vous aviez le goût de la bohème et de l’absinthe, de l’ivresse et du vagabondage. Et puis, vous aviez du goût l’un pour l’autre et pour ce que, par dérision – mais la dérision n’est jamais que le masque de la pudeur –, vous appeliez la « sesque ». Très tôt, la fière charnelle a dévoré tes sens, et tu as toujours aimé les bonheurs de l’épiderme, auxquels tu avais été initié dans une maison d’illusions, à dix-huit ans ».

Regarde, tous tes amis sont là ! est la phrase lancée par Eugénie Krantz aux obsèques de Paul Verlaine. Une phrase devenue le nom d’un roman, un roman qui accompagne les derniers jours du poète, et son dernier voyage, qui n’a rien d’un vagabondage et qui le conduit avec ses amis et une foule d’anonymes, au cimetière des Batignolles, dans le caveau familial, où à jamais le temps de la « sesque » aura disparu. Le roman s’ouvre sur le 39, rue Descartes, où s’est installé Paul Verlaine, pour s’achever dans ce cimetière où tes amis t’accompagnent, notamment Jules Renard dont le regard picore ce qui deviendra les piques de son Journal, Maurice Barrès qui t’admire et te soutient, François Coppée de l’Académie française, Stéphane Mallarmé, autant le poète est obscur parce qu’il a fait le choix délibéré des ténèbres, autant l’homme a toujours été attentif, amical et dévoué à ton égard, le jeune Paul Valéry, le pétillant Robert de Montesquiou, et ton éditeur.

Imprécations nocturnes, Grégory Rateau (par Catherine Dutigny)

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa , le Jeudi, 09 Février 2023. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Poésie

Imprécations nocturnes, Grégory Rateau, Editions Conspiration, novembre 2022, 80 pages, 9 €

 

La note bleue

La nuit, l’insomnie, les cigarillos, la présence déchirante d’un Chet Baker puis quand revient le silence, du fin fond de l’obscurité, la brusque irruption des imprécations des fantômes familiers qui ne cessent de hanter le poète. La poésie peut célébrer la nature, chanter l’amour, comme elle peut explorer les ténèbres, celles que l’on porte en soi. Grégory Rateau a fait ce second choix. Mais est-ce un choix ou une nécessité vitale ? L’intensité des mots, des images, des souvenirs ébauchés, malaxés dans un maelstrom de sensations paradoxales, parfois antinomiques foudroie par l’authenticité qui s’en dégage.

Enfant de la nuit il veille

traverse la ville ivre de songes

un éclaireur pour ses frères

un maudit pour sa famille

A Rebours, Joris-Karl Huysmans (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 08 Février 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard), En Vitrine, Cette semaine

A Rebours, Joris-Karl Huysmans, Folio, août 2022 (édition : Pierre Jourde ; gravures : Auguste Lepère), 592 pages, 8,90 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Flaubert avait pour ambition d’écrire un roman sur rien, ou presque ; ce sera Bouvard et Pécuchet, inachevé. Huysmans, quatre ans après la disparition du maître, publiera un roman où effectivement rien ne se passe, où les seuls événements sont avortés : À Rebours. Dix ans après un premier recueil de poèmes d’inspiration romantique, dix années où Huysmans s’inscrit dans la veine naturaliste (il participe aux soirées de Médan, organisées par et autour de Zola), le temps de trois romans et une longue nouvelle, il pousse jusque dans ses derniers retranchements le naturalisme et invente quasi le symbolisme en narrant la vie recluse d’un esthète maladif, tant de corps que d’esprit, Des Esseintes.

Comme à l’habitude lorsqu’il est question d’un classique lu ou relu des décennies ou des siècles après sa première publication, l’on est en droit de s’interroger : quel intérêt à l’ouvrir, à s’y plonger quelques heures, alors que foisonne une actualité éditoriale plus en phase avec le monde contemporain ?

Le Gardien du verger, Cormac McCarthy (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 07 Février 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Points

Le Gardien du verger (The Orchard Keeper, 1965), Cormac McCarthy, éditions Points, 1999, trad. américain, François Hirsch, Patricia Schaeffer, 284 pages, 7,10 € . Ecrivain(s): Cormac McCarthy Edition: Points

Si d’aucuns pensent, et disent, et écrivent, que ce roman, le premier du grand Cormac McCarthy, est une sorte de « hors-d’œuvre » (au sens exact du terme), nous n’avons pas lu le même livre. Tout McCarthy est déjà dans ce roman de l’aube du plus grand écrivain américain vivant. S’il faut pointer un décalage dans l’œuvre, ce serait que ce roman, avec l’immense Suttree, est l’un des rares où le déroulement n’est pas un déplacement géographique, un voyage, le « jardin » jouant pleinement son rôle de petit morceau de territoire, et le vieil homme un manant (du latin Maneo.ere : rester immobile). En plantant son décor dans le Tennessee, près de Knoxville sa ville natale, McCarthy annonce que son roman est une ode au terroir, aux racines, à l’osmose entre l’homme et la terre.

Autour du jardin errent des ombres, des hommes perdus, violents, hantés par la mort. Ils n’ont pas de but, pas d’espoir ; ils semblent attendre mais quoi ? Peu à peu, McCarthy nous convainc qu’ils n’attendent rien d’autre que la fin. D’eux-mêmes. De tout. Enfermés dans des paysages irréels de solitude et de silence, les trois principaux personnages sont écrasés par la puissance symbolique et sacrée de la nature qui les enserre. On pense irrésistiblement aux correspondances de Baudelaire et sa première strophe magique.

La Peur de peindre, Jacques Le Scanff (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 07 Février 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

La Peur de peindre, Jacques Le Scanff, préf. Claude Louis-Combet, éd. Fario, 2022, 13€50

 

Je tordrai à dessein la citation de Boileau dans L’Art poétique : « Ce que l’on conçoit bien s'énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément », pour faire valoir ce que la représentation écrite recouvre parfois de difficultés, d’obscurités, de tensions littéraires, propres à décrire les états divers du peintre et de sa peinture. Ici, cela aboutit à une écriture intense, pleine, mais qui reste assez maigre, sur laquelle il ne faut pas hésiter à revenir plusieurs fois (ainsi que le peintre use de sa brosse ou de ses pinceaux). Ici, donc, un petit traité de l’art de peindre. Ici, le sujet agissant et le sujet disant, faisant acte de création et revenant sur cet acte par écrit. Ici, enfin, un univers personnel tout autant qu’universel, lequel se satellise sur la vérité intérieure, la profondeur exigée d’un tableau.

Ceci dit, il faut rentrer plus avant dans l’ouvrage (illustré richement par des reproductions des travaux plastiques de Jacques Le Scanff). Lecture légèrement âpre, à l’image des allées et venues de Cézanne vers la Montagne Sainte-Victoire, escarpements, confrontation du regardeur et du regardé, comme si l’œuvre peinte faisait parole, énigme, affaire de style, endroit de coupure du poème et de la toile, réflexions, agissements, connaissances et pratiques. Nous sommes en l’espèce dans une forme de schize. Le mystère : peindre.