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Les Livres

Monstrueuse féérie, Laurent Pépin (par Parme Ceriset)

Ecrit par Parme Ceriset , le Jeudi, 05 Janvier 2023. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Contes

Monstrueuse féérie, Laurent Pépin, Éditions Fables Fertiles, novembre 2022, 120 pages, 16,20 €

 

« Monstrueuse féérie », voilà un titre qui ne peut laisser indifférent, tant l’oxymore dont il est porteur est déjà une excellente description de la vie humaine dans tous les contrastes qui la caractérisent. Ainsi, les « questions sans réponse » d’un petit garçon peuvent-elles ouvrir dans son esprit des « fenêtres » qui, bien plus tard, lorsqu’il sera devenu adulte, laisseront entrer des « monstres ». Comment ne pas être hanté en effet par le souvenir d’un père qui n’était présent « qu’à regret », dont le seul passe-temps était « de vider les animaux pour les empailler », d’une mère qui « par son absence » devenait « omniprésente », restant constamment alitée, occupée à la « prolifération, la duplication à l’infini des créatures remplissant son ventre, jaillissant de son corps à tout moment »…

Comment créer du sens dans un environnement mortifère où la vie est enfermée dans un « bocal d’éther », où les parents veulent tuer les enfants « pour qu’ils ne puissent pas témoigner de leur naufrage » ?

Winesburg-en-Ohio, Sherwood Anderson (par Jacques Desrosiers)

Ecrit par Jacques Desrosiers , le Jeudi, 05 Janvier 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, USA, Nouvelles, Folio (Gallimard)

Winesburg-en-Ohio, Sherwood Anderson, Gallimard, Coll. L’imaginaire, 1961, 2010, trad. anglais (USA) Marguerite Gay, 322 pages, 11,90 €

 

J’avais déjà lu quelques nouvelles de Sherwood Anderson (1876-1941) dans des anthologies de short stories américaines, où il brille souvent par sa présence. Son écriture m’a toujours semblé manquer de relief, une langue ordinaire non pas blanche mais coulée dans une syntaxe simple et parfois relâchée, avec la petite musique pressée de la langue qu’on parle quand on raconte, sans s’embarrasser de fioritures. En lisant enfin les vingt-deux nouvelles de Winesburg-en-Ohio, son œuvre la plus célèbre, je me rends compte à quel point sa plume est puissante, et nuancée malgré les redites car chacune de ces nouvelles donne l’impression d’avoir été écrite en une séance.

Le grotesque et la cruauté ne manquent pas dans Winesburg, où il appelle d’ailleurs ses personnages des grotesques, sorte d’écorchés vifs, à l’exception de George Willard, le jeune journaliste de la gazette locale (« A.P. Wringlet a reçu un assortiment de chapeaux de paille. Ed Byerbaum et Tom Marshall étaient à Cleveland vendredi, etc. »). Willard est au centre du livre et revient dans plusieurs nouvelles.

Tuer des roses, Claire Boitel (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Jeudi, 05 Janvier 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Editions Douro

Tuer des roses, Claire BOITEL, Éditions Douro, Collection La Bleu-Turquin ; 2022 [168 p.] - 17€

Le tour de force de ce roman de Claire Boitel est peut-être de parvenir à rendre vraisemblable une histoire improbable : la rencontre atypique de deux serial killers. Aussi, le titre qui ne manque pas de trempe : tuer des roses, interpelle. La brièveté des chapitres comme la concision de la narration coupent l’intrigue dans la chair (le cut linguistique !), active et réactive l’attention toujours sur le fil, le bord du suspens, borderline…  Les correspondances identitaires (Grégoire l’écrivant écrivain manqué qui s’auto-adore, face à « lui », le serial killer que Grégoire adore par identification perverse et narcissique), les correspondances statuaires (écrire comme on tue, word / work of death in progress : « Je marche dans les rues, à la recherche de mon premier meurtre. Je suis calme. C’est la page blanche. Encore vierge. Je me sens léger. Prêt à l’action ») et la mise en abyme du récit (« A-t-on le droit d’écrire en prison ? ») troublent les lignes... Quant aux échos à une actualité oppressante, ils font mouche et frappent où nos existences restent sensibles (« La vibration (du téléphone portable) que je ressens dans mon pantalon quand il est l’heure me rappelle toujours la chaise électrique des condamnés à mort »).

Jardins de poussière, Ken Liu (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 04 Janvier 2023. , dans Les Livres, Critiques, Science-fiction, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard), En Vitrine

Jardins de poussière, Ken Liu, Folio, septembre 2022, trad. anglais (USA) Pierre-Paul Durastanti, 624 pages, 9,90 € Edition: Folio (Gallimard)

Ken Liu est sino-américain : émigré avec sa famille à l’âge de onze ans, fils d’une mère chimiste et d’un père ingénieur, et lui-même devenu ingénieur logiciel pour Microsoft tout en ayant étudié la littérature anglaise, puis le droit. Tout est dit. Ou presque. Disons que si ces données biographiques étaient les termes d’une équation, ils ne pourraient que démontrer l’excellence de Jardins de poussière, le second recueil de nouvelles de Ken Liu publié en français – outre une poignée de romans et une quadrilogie de fantasy toujours en cours de traduction.

En effet, cet auteur emmène le lecteur vers une forme d’étrangeté liée tant aux univers proposés – qui sont souvent « post-humains », ou du moins postérieurs à l’humanité telle que nous la connaissons – qu’à une « touche chinoise » troublante pour le lecteur occidental mais pourtant bienvenue, puisqu’elle semble insuffler une forme de poésie à certaines des vingt-cinq nouvelles ici recueillies. Cette poésie est peut-être ce qui permet à ces nouvelles d’échapper à l’étiquette « hard science » : Ken Liu a un esprit scientifique et refuse de laisser le lecteur dans le flou de notions vagues (on peut même enfin comprendre le pourquoi et le comment des cryptomonnaies au fil de Empathie byzantine, qui évoque aussi avec une relative férocité le « marché » des ONG) – tout semble plausible dans ces récits.

Un manoscritto domestico, Eugenio De Signoribus (par Jean-Charles Vegliante)

Ecrit par Jean-Charles Vegliante , le Mercredi, 04 Janvier 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Un manoscritto domestico, Eugenio De Signoribus, Pesaro, Portatori d’Acqua, juillet 2022, 134 pages, 14 €

 

Quand un poète aussi affirmé et exigeant que De Signoribus se tourne vers la prose, on doit s’attendre à autre chose qu’aux habituelles descriptions poétiques, mais sans doute aussi à une écriture non romanesque, ou non uniquement romanesque. C’est le cas ici, où le passé revisité et surtout réécrit par un narrateur évidemment et toujours poète demeure bien à distance, sans identification possible, sans effet de réel qui chercherait pour le lecteur une illusoire évasion : vu à travers une longue-vue inversée, comme aurait dit Montale. Moins autobiographique, moins directement impliqué que – mettons – le remarquable Geologia di un padre de Valerio Magrelli (Einaudi, 2013) (1) ce « Manuscrit domestique », que l’on suppose ici retrouvé et retranscrit, un peu à la manière du « roman en vers » d’Attilio Bertolucci, se présente plutôt à la manière d’une archive ou sauvegarde d’un temps perdu forcément proustien. Les textes, çà et là remaniés (un peu) pour l’occasion, vont de 2009 à 2022, pour des souvenirs remontant aux années 1960 et en deçà par l’imagination entée aux récits familiaux – justement domestiques.