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Les Livres

Des jours de pleine terre, Pierre Perrin (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 09 Décembre 2022. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Poésie, Al Manar

Des jours de pleine terre, Pierre Perrin, septembre 2022, 170 pages, 23 € Edition: Al Manar

 

Quelle âpreté dans ces poèmes qui de l’enfance à aujourd’hui consignent les blessures et les apprentissages d’un enfant, d’un poète, apte à saisir à pleins mots la violence des apprentissages. Les images tombent comme des constats cinglants, pas une trace de sentimentalisme ni d’once de complaisance. C’est « l’odeur d’urine », c’est le « saccage », l’enfant « brûle sans feu », c’est « la nuit qui ravale l’orgueil de l’enfant que nul n’écoute ». La mère n’étreint jamais le petit.

Construit en cinq sections – autant d’étapes d’une vie, le livre choisit une écriture qui puisse au mieux traduire les états d’âme, les sentiments, les effusions, toute émotion née dans le flux des jours, en campagne, dans l’usage de la terre et des bêtes, à l’aune des saisons, au rythme des plaisirs, des peines, des découvertes. L’amour y a une place de choix et les nombreux poèmes adressés à l’aimée disent assez cette période faste où la rencontre a renvoyé bien loin derrière les traumas.

L’écriture, en effet, privilégie les poèmes longs, fortement charpentés, aux images lyriques et à la scansion sûre des classiques :

Vagabonde, Fumiko Hayashi (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 09 Décembre 2022. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Vagabonde, Fumiko Hayashi, éditions Vendémiaire, septembre 2022, trad. japonais, René de Ceccatty, 192 pages, 20 €

 

Sans adresse

Fumiko Hayashi (1903-1951) n’a que 25 ans quand elle écrit Vagabonde. Ballottée « de lieu en lieu à travers tout Kyûshû », elle se sent prédestinée à errer, à l’instar de ses parents commerçants ambulants. Être vagabonde a une signification péjorative et discriminante particulièrement au pays du soleil levant, souvent synonyme de clochardisation (à la suite d’un parcours chaotique, d’une vie de fugitive), ce que l’on nomme aujourd’hui les SDF (sans domicile fixe).

Ce précieux journal-roman offre un descriptif des villes nippones, par exemple la ville de Nôgata, brumeuse, pluvieuse, « dont les corniches des maisons toutes brûlées semblaient bâiller obscurément, et dont les rues étaient parsemées de charbon qui crissaient sous les pieds », et un aperçu pathétique de la population : « ce n’était ici qu’un défilé de femmes maladives qui lançaient des regards perçants. Celles qui sortaient sous le soleil brûlant de juillet étaient vêtues de jupes sales et de vestes de coton léger sans manches ».

Portrait en bleu *, Eve Roland (par Olivia Guérin)

Ecrit par Olivia Guérin , le Jeudi, 08 Décembre 2022. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Nouvelles

Portrait en bleu, Eve Roland, Éditions l’Ourse brune, 2020, 40 pages, 12 €

 

Délicat. C’est le qualificatif qui vient immédiatement à l’esprit pour ce joli petit livre que nous propose la toute jeune maison d’édition L’Ourse brune, qui a ouvert ses portes en août dernier et a fait le choix de publier uniquement des nouvelles. Ce Portrait en bleu d’Eve Roland est d’abord un bel objet, qui tient au creux de la main avec son format menu d’une quarantaine de pages. Papier de qualité, graphisme élégant, couverture aux douces nuances crème et bleues, illustrée par l’artiste Louis-Marie Catta.

Délicatesse : voilà également ce qui caractérise l’écriture de cette nouvelle toute en nuances, dont la quatrième de couverture résume ainsi la trame : « Lorsqu’elle trouve la photo d’une inconnue parmi les affaires de sa tante décédée, la narratrice ne sait pas qu’elle entrouvre la porte d’un secret bien gardé ».

De Perle et de Corail, Tome 1, La Fiancée Varéniane, Mara Rutherford (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 07 Décembre 2022. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Jeunesse, La Martinière Jeunesse

De Perle et de Corail, Tome 1, La Fiancée Varéniane, Mara Rutherford, La Martinière Jeunesse, août 2022, trad. anglais (USA) Céline Morzelle, 496 pages, 20 € Edition: La Martinière Jeunesse

 

Il y a plus d’un siècle, S.S. Van Dine publia dans un article les vingt règles pour écrire des romans policiers, genre alors en plein essor et en vogue aux Etats-Unis ; à charge pour les auteurs talentueux, inventifs, créatifs, de sortir de ces règles, voire de les pervertir – ce sont ceux que l’histoire littéraire a retenus, ceux dont on prend aujourd’hui encore plaisir à lire les romans et nouvelles. Aujourd’hui, nul doute que pourraient être publiées (peut-être le sont-elles, peut-être sont-elles même enseignées durant des séminaires de creative writing) les vingt règles pour écrire un roman de fantasy – et probablement que Mara Rutherford, précédemment journaliste, les aurait imprimées et affichées au-dessus de son bureau avant d’écrire La Fiancée Varéniane, premier tome d’une duologie intitulée De Perle et de Corail.

De la Bible à Kafka, George Steiner (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 07 Décembre 2022. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Les Belles Lettres

De la Bible à Kafka, George Steiner, Les Belles Lettres, Coll. Le Goût des idées, juin 2022, trad. anglais, Pierre-Emmanuel Dauzat, 212 pages, 15 €

 

Certains mélomanes et instrumentistes possèdent un don nommé l’oreille absolue. George Steiner fut, lui, ce qu’on peut appeler un lecteur absolu, capable de saisir les nuances les plus fines des grands textes, de ce qu’ils disent ou de ce qu’ils cèlent. Comme Marc Fumaroli (né trois ans après lui, mais disparu également en 2020) et si différents que fussent les deux hommes et le champ de leurs curiosités (ils passèrent tous deux beaucoup de temps aux États-Unis, alors qu’aucun pays occidental n’est peut-être aussi éloigné des valeurs qu’ils incarnaient et défendaient), Steiner fut également un maître-écrivain, un penseur altier du texte, faisant peu de concessions à l’ignorance (parfois excusable, le plus souvent non) de ses interlocuteurs. Personnage intempestif au sens profond de l’épithète (l’allemand unzeitgemäss rend mieux la nuance), il transporta dans ses contrées et langues d’élection l’érudition foisonnante et scrupuleuse d’un monde disparu, celui des intellectuels juifs de l’Europe centrale.