Imprécations nocturnes, Grégory Rateau (par Catherine Dutigny)
Imprécations nocturnes, Grégory Rateau, Editions Conspiration, novembre 2022, 80 pages, 9 €
La note bleue
La nuit, l’insomnie, les cigarillos, la présence déchirante d’un Chet Baker puis quand revient le silence, du fin fond de l’obscurité, la brusque irruption des imprécations des fantômes familiers qui ne cessent de hanter le poète. La poésie peut célébrer la nature, chanter l’amour, comme elle peut explorer les ténèbres, celles que l’on porte en soi. Grégory Rateau a fait ce second choix. Mais est-ce un choix ou une nécessité vitale ? L’intensité des mots, des images, des souvenirs ébauchés, malaxés dans un maelstrom de sensations paradoxales, parfois antinomiques foudroie par l’authenticité qui s’en dégage.
Enfant de la nuit il veille
traverse la ville ivre de songes
un éclaireur pour ses frères
un maudit pour sa famille
L’obscurité est son supplice et pourtant il s’y glisse un peu plus
se recueille devant des monuments mal éclairés
hante ces places orphelines
et dans l’attente que l’aube redonne forme aux présences
débute un monologue désespéré
Juste avant que la lumière ne l’aveugle
Le Verbe n’est pas souvent tendre, il gratte là où cela fait mal. Parfois trop ? On ne crée pas dans la demi-mesure, répond le poète. Exigence et fougue.
L’homme à l’éternel chapeau vissé sur la tête, au regard mangé par de grosses lunettes, à la fois rebelle et fragile, écrit dans l’urgence, affronte ses démons avec une franchise qui parfois frôle l’auto-flagellation, s’insurge avec la mélancolie de ceux qui, tout en sachant la bataille perdue d’avance, luttent jusqu’au bout de leurs forces. L’ambiguïté perce au détour d’une phrase finale. Combat ou renoncement ?
« Je suis ce bohémien avide de sensations / aveuglé par ses chimères / mais s’accrochant à une branche d’éternité », un homme qui flirte avec le gouffre des désillusions, qui marche dans le sol meuble des désespérances « reportant au lendemain / toute velléité d’exister ».
L’amour et le sexe eux-mêmes se dérobent. Illusions passagères, onctions pour échapper aux affres du réel. Le corps-à-corps laisse le poète troublé, repu d’ivresse mais non guéri des souffrances que la petite mort ne saurait effacer. Un baume dont les effets sédatifs sur la douleur s’estompent aux lueurs de l’aube.
Demain comme chaque matin
elle se réveillera la première
pour regarder rageuse
ses plus belles années envolées
fera-t-elle semblant d’aimer un souvenir
jusqu’à la nuit tombée
lui l’écoute respirer
un souffle irrégulier
et c’est la brûlure
l’espace infime qui les sépare
dresse un rempart à sa pitié
Plus encore que dans son précédent recueil, Conspiration du réel, que j’ai eu le plaisir de préfacer, Grégory Rateau travaille, ici, la phrase à l’os. Aller à l’essentiel et aussi prendre de la distance par rapport aux influences précédemment revendiquées sans pour autant les renier. Trouver sa voix et sa voie en une production fiévreuse, parfois victimaire, non pas dans l’attente d’une quelconque réparation dont l’auteur n’a que faire, mais dans l’aspiration à s’approcher au plus près de la perfection.
La note bleue des jazzmen.
Catherine Dutigny
Grégory Rateau est un écrivain et poète français né en 1984 dans la banlieue parisienne et vivant aujourd’hui en Roumanie où il gère un média francophone. Il est l’auteur d’un premier roman, Noir de soleil, chez Maurice Nadeau (sélectionné au Prix France-Liban et au Prix Ulysse du premier roman 2020) et d’un premier recueil, Conspiration du réel, chez Unicité. Ses poèmes sont publiés dans plusieurs anthologies et dans une trentaine de revues. Son nouveau recueil, Imprécations nocturnes, vient de sortir chez Conspiration éditions, ainsi qu’un livre illustré de ses poèmes en collaboration avec le peintre Jacques Cauda, Nemo, chez RAZ éditions.
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