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La Une CED

Trois histoires échappées 1) Rue du Bac – Histoire orgueilleuse, par Patrick Abraham

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 29 Septembre 2017. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

Je le voyais souvent dans ce café-brasserie de la rue du Bac où il venait déjeuner presque chaque midi, en terrasse s’il faisait beau, à une table près de la porte des toilettes les jours de pluie ou de froidure hivernale. Ses livres n’étaient plus lus ni régulièrement réédités. Ses éditeurs l’oubliaient. D’autres modes, d’autres enjeux étaient apparus et ce qu’il avait aimé ou combattu, ce qui avait soulevé ses enthousiasmes ou déclenché ses colères n’était plus compris par personne. Je m’explique mal : il n’avait jamais été un écrivain d’idées. Ses emportements, ses enivrements – qui avaient emporté et enivré tant de lecteurs et surtout tant de lectrices trente-cinq ou quarante ans plus tôt – n’avaient eu de réalité et d’effet que par la force de son style – par ce qu’on nommait encore le style et qui était devenu aussi étranger à l’époque, je l’avais constaté, que l’ensemble de son œuvre ou les écrivains qui avaient nourri celle-ci. Je ne lui ai jamais parlé. Peut-être aurais-je dû le faire. Peut-être l’aveu de mon admiration et, je n’hésite pas à le dire, de mon amour pour lui eût-il rendu moins humiliante sa dérive vers la décrépitude physique et la honte sociale (oui : la honte de se survivre dans l’apparence d’un vieillard plutôt malpropre, quasi obèse et à demi aveugle, changeant rarement de chemise ou de costume et se lavant aussi rarement sans doute, engendrant à la terrasse ou dans le fond de ce café des ricanements ou des mimiques méprisantes chez les autres consommateurs).

Victor Hugo, par Hans Limon

Ecrit par Hans Limon , le Jeudi, 28 Septembre 2017. , dans La Une CED, Ecriture, Création poétique

 

tu es l’homme aux cent cœurs, le chœur de mes syndromes

le génie pourfendeur, le chevalier bonhomme !

que ne suis-je ton fils, ô colosse frondeur

pour enjamber d’un pas ce monde et ses froideurs !

 

ton Gwyplaine allongé sur le Chaos vaincu

ton Gilliatt submergé de perte convaincue

tes sempiternels gueux des carrefours typiques

Thénardier criminel, Josiane diabolique

Mémoire du premier cosmonaute arabe, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud , le Mercredi, 27 Septembre 2017. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

 

Ah, ce n’est pas facile d’être le premier cosmonaute arabe des Arabes ! Ici, ce n’est pas facile : la Mecque est en bas, la lune à gauche et les étoiles sont sous les pieds. Dix mille chameaux ne suffiront pas à vous faire faire un seul pas. Le pire, cependant, c’est le ciel : il n’est nulle part. Et c’est terrible pour un Arabe, car les Arabes ont l’habitude de vivre sous le ciel, pas en-dessus, et d’y aller en linceul ou en morceaux et pas en scaphandre et en navette spatiale, de marcher sous ses nuages et pas de marcher sur la tête de la terre. En plus, le cosmos est comme un Sahara sans fond et un sable sans traces de pas. On n’y entend ni vent, ni casseroles, ni lézards insomniaques. Seulement le bruit d’une fenêtre mal fermée sur l’infini. La première chose que l’on perd lorsqu’on voyage dans l’espace, ce n’est pas la gravité mais sa propre nationalité, puis le trou s’élargit et on commence à perdre le reste : ses ancêtres, ses petits soucis, son drapeau national, ses prières les plus habituelles et sa longue histoire qui va s’effiler comme un nuage de fumée, puis disparaître comme un gaz.

A mon père (3) - Adon Olam – Seigneur du monde, par Emmanuel Levine

, le Mercredi, 27 Septembre 2017. , dans La Une CED, Ecriture, Création poétique

 

En toi, j’ai déposé mon souffle

et j’ai donné mon espérance.

 

Mon vivant sauveur,

phare en pierre

les jours de peine.

Souffle ma douleur, je t’attends.

 

Accorde-moi le repos du sommeil.

A propos de "Yves Bonnefoy et l’avenir du divin", Patrick Werly, par Marie-Josée Desvignes

Ecrit par Marie-Josée Desvignes , le Mardi, 26 Septembre 2017. , dans La Une CED, Les Chroniques

Yves Bonnefoy et l’avenir du divin, Patrick Werly, Hermann, coll. Savoir Lettres, mars 2017, 430 pages, 38 €

Le projet de ce livre dense, véritable thèse autour de l’œuvre d’Yves Bonnefoy, est de comprendre pourquoi la poésie du poète dialogue avec les traditions chrétiennes ou les mythes les plus anciens alors que toute son œuvre (analyse critique comprise) atteste l’athéisme. Il s’agit aussi de vérifier que si la poésie est un mode d’être et pas seulement un genre littéraire, elle est alors comparable aux pratiques philosophiques, religieuses et spirituelles. Reprenant la formulation célèbre de Rimbaud, « changer la vie », l’auteur de cet essai énonce que le poète Y. Bonnefoy a souhaité également agir sur l’existence, très tôt. En fait, dès sa traduction de Leopardi, Y. Bonnefoy « confie à l’écriture moderne la tâche de réussir là où la philosophie et la théologie ont échoué ». S’appuyant sur les travaux de Jacqueline Risset sur le tournant qu’a impulsé chez Bonnefoy sa traduction de Leopardi, « chez qui Y. Bonnefoy découvre avant Mallarmé et Nietzsche le double souci du néant mais aussi d’une musique », l’auteur de cet essai avance que pour Yves Bonnefoy (qui, au sujet de Leopardi, parlait « d’une intuition fondamentale ») « la modernité qui commence avec Leopardi est l’époque où l’humanité peut sortir du religieux, de l’âge théologique ».