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Critiques

L’odeur du foin, Giorgio Bassani (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 07 Avril 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Nouvelles, Gallimard, Italie

L’odeur du foin (L’Odore del Fieno, 1972) Giorgio Bassani, trad. italien, Michel Arnaud, 114 pages, 6,50 €


Dans ce recueil – et dans toute son œuvre – Giorgio Bassani met en scène deux héros récurrents : D’abord Ferrare, sa ville de naissance, une ville italienne de la province de Ferrare en Émilie-Romagne, située dans le delta du Pô sur le bras nommé Pô de Volano. Et puis lui-même, narrateur de ses récits, dans la trace de sa mémoire d’enfance, d’adolescence, à la recherche non du temps perdu mais bien du temps retrouvé – vivant, présent. Celui de Proust assurément, dont Bassani était un lecteur assidu, porté par les bruits, les odeurs, les goûts. Et, peu à peu, Bassani nous fait une topographie littéraire de Ferrare : les sensations dessinent des plans de rues, de places, de jardins publics. Les noms de la ville chantent comme un poème, les sons de la langue italienne en fond la musique. La via Mazzini, la via Vignatagliata, viennent s’ajouter aux noms des villages, Quartesana, Gambulaga, Ambrogio et aux noms des gens, Dottor Castelfranco, Egle Levi-Minzi, pour composer une cantate italienne digne des pages de Händel.

Punto Basta, Lionel Froissart (par Jean-Jacques Bretou)

Ecrit par Jean-Jacques Bretou , le Mercredi, 07 Avril 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Héloïse D'Ormesson

Punto Basta, Lionel Froissart, janvier 2021, 192 pages, 17 € Edition: Héloïse D'Ormesson

 

Comme elle le fait presque chaque semaine, Jocelyne, employée au service des cartes grises à la préfecture de police, exécute un tour de Paris au volant de sa Fiat Uno blanche, qu’elle a baptisée Paulette. Elle s’offre les « beaux quartiers », seule, ou presque, puisque que son gros chien en peluche Mike (en souvenir de Mike Brant, un verseau comme elle) est installé sur le siège-arrière. Elle passe par le XVIe arrondissement, roule non loin de la Tour Eiffel, prend les voies sur berges avec attention et décontraction. C’est son plaisir, un petit luxe qu’elle s’accorde, elle qui ne part pas en week-end mais rentre ensuite sagement à son domicile de Bobigny2. Jocelyne est heureuse. Sa voiture va bientôt être avalée par le grand tunnel du Pont de l’Alma, elle entend des moteurs de Piaggio qui la dépassent puis, tout à coup, un choc du côté arrière gauche la déstabilise, et tandis qu’elle essaie, les mains crispées sur son volant, de maintenir la trajectoire de son véhicule, elle aperçoit furtivement dans son rétroviseur une grosse Mercedes s’encastrer dans un pilier avec un fracas d’enfer. Choquée, les mains moites, elle sort du tunnel tout en s’appliquant à garder sa droite. Il y a encore relativement peu de véhicules, nous sommes le samedi 30 août 1997. Elle rejoint avec moult précautions Bobigny.

Bestiaires du Moyen Âge, Michel Pastoureau (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 06 Avril 2021. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Points

Bestiaires du Moyen Âge, novembre 2020, 336 pages, 13 € . Ecrivain(s): Michel Pastoureau Edition: Points

 

Publié pour la première fois en 2011, Bestiaires du Moyen Âge bénéficie d’une réédition en poche récente ; l’occasion est belle d’ouvrir à nouveau cet essai qui est avant tout un parcours dans l’imaginaire qui fonde la société occidentale. D’autant plus belle que cette édition de poche est imprimée sur un épais papier glacé et illustrée de nombreuses reproductions d’enluminures provenant de manuscrits précieux. En un sens, puisque mise en rapport entre le sens et l’image, entre ce qui est dit et ce qui est montré, cet ouvrage spécifique s’inscrit dans la logique de l’œuvre d’historien de Michel Pastoureau : étude de l’héraldique, étude des couleurs (à parfois décoder dans leur symbolique en rapport avec l’animal), Les Animaux célèbres, en 2001, un ouvrage sur l’ours, un autre sur le cochon – ça devait bien en arriver là un jour ou l’autre. D’autant que les études spécifiquement animalières de Pastoureau découlent à leur tour d’un intérêt relativement récent porté par les historiens à l’animal en tant que tel, et non pas en tant que simple adjuvant à l’Histoire – intérêt cristallisé par le médiéviste Robert Delort en 1984 avec Les Animaux ont une histoire.

Constellations, Éclats de vie, Sinéad Gleeson (par Delphine Crahay)

Ecrit par Delphine Crahay , le Mardi, 06 Avril 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, La Table Ronde

Constellations, Éclats de vie, Sinéad Gleeson, La Table Ronde, février 2021, trad. anglais, Cécile Arnaud, 304 pages, 22 € Edition: La Table Ronde

Constellations est l’épopée d’un corps, d’un corps souffrant et bataillant contre mille maux sans désarmer jamais, quoiqu’il soit souvent défait – mais toujours provisoirement. Monoarthrite et hanche en titane et en porcelaine, opérations multiples, césariennes, leucémie, kystes… Que le sous-titre soit Éclats de vie en dit long, même s’il est équivoque et suggère aussi que la vie vole en éclats, sur l’esprit, la vitalité et le courage de l’auteure – on songerait plutôt, à ne considérer que l’inventaire de ces maux, à éclats de mort.

Car Sinéad Gleeson ne nous en épargne aucun, ce qui fait de Constellations un livre âpre, dur et lourd – d’une lourdeur qui n’accable pourtant pas : quels que soient la précision de ses propos, les détails qu’elle livre et l’intensité des souffrances qu’elle exprime sans les atténuer, elle ne geint ni ne se plaint. Il semble plutôt qu’elle prenne acte de toutes les mésaventures qui arrivent à son corps, qu’elle en rende compte comme autant d’expériences, avec un mélange de distance et de proximité : elle raconte au plus proche de son corps, au plus serré de ses pores, de l’intérieur, mais avec une distance d’observatrice d’elle-même, de ses souffrances et de ses réactions.

L’homme nu et autres poèmes, Alberto Moravia (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 02 Avril 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Flammarion, Italie

L’homme nu et autres poèmes, Alberto Moravia, février 2021, trad. italien, René de Ceccatty, 320 pages, 21 € Edition: Flammarion

 

Romancier, essayiste, journaliste, Moravia a souvent regretté de n’avoir été qu’un « poète raté », ce « désir déçu d’être poète » l’a enjoint à ne rien publier de poétique de son vivant, réservant ces poèmes à une édition posthume.

Et pourtant, Moravia a toujours beaucoup lu les poètes, de Montale à Eliot, en passant par Apollinaire et ses amis Pasolini et Penna. Il a vécu environné de poètes, ses proches Elsa Morante et Pier Paolo Pasolini ; l’essentiel de ce qu’il écrivait, il le publiait, et c’était presque toujours des romans, des récits de voyages, des essais. Pas de poème connu par son public.

C’est dire l’intérêt de cette publication, qui propose, en édition bilingue italien-français, des poèmes écrits essentiellement dans les années soixante-dix et quatre-vingt, des poèmes qui articulent souvent les thèmes de l’ennui, de la nudité existentielle, de la mort, du désenchantement ; c’était l’heure où le roman lui posait quelque problème ; c’était une période difficile, politiquement parlant.