Contagion, Lawrence Wright (par Sylvie Ferrando)
Contagion, Lawrence Wright, octobre 2020, trad. anglais (USA) Laurent Barucq, 480 pages, 22 €
Edition: Le Cherche-MidiNe faut-il pas avoir une certaine dose de masochisme pour écrire – et pour lire – un volumineux roman que l’on peut qualifier de « page-turner », dont le thème est une pandémie virale mondiale qui a des répercussions sanitaires, politiques, économiques et bien évidemment familiales pour les personnages de l’intrigue ? Ou, plus sérieusement, se pose la problématique suivante : quel écart d’avec la réalité peut prendre une intrigue qui s’inspire, de toute évidence et par anticipation, d’une situation réelle que l’humanité est en train de vivre, tout en la portant jusqu’à un aboutissement qui ne sera sans doute pas celui que nous connaîtrons ? L’ouvrage est en effet publié en octobre 2020, alors que la planète ne connaissait encore ni la deuxième ni la troisième vague de la pandémie du SARS-CoV-2 et qu’aucun vaccin n’était encore mis sur le marché. La mimesis propre à toute œuvre de fiction est ici très pertinente à étudier.
En temps de pandémie, et alors que l’Occident affronte une troisème vague de recrudescence virale, au cours d’une deuxième année qui s’avère meurtrière bien que portée par l’espoir d’un vaccin, le lecteur suit ainsi, avec un intérêt mêlé d’appréhension, les péripéties de Henry Parsons, épidémiologiste de renom, et de ses collègues, pour comprendre puis remédier à la diffusion exponentielle d’un virus inconnu aux quatre coins de la Terre.
A partir de quel moment l’anticipation est-elle rattrapée par la réalité ? Quelle mimesis ? ou quelle mimesis inversée ? Si l’œuvre est censée mimer ou imaginer la réalité, là c’est la réalité qui rejoint le livre sur certains plans : le roman, jouant à la fois sur les clichés et les recherches documentaires propres au romanesque, trouve des réponses scientifiquement plausibles, voire dépasse l’état des recherches scientifiques actuelles, puisque l’intrigue trouve son dénouement, avant celui de notre espèce. On est bien ici dans un roman d’anticipation, un peu à la manière de ceux de Jules Verne, avec un « timing » plus restreint. On peut citer l’exemple des anticorps monoclonaux, qui, dans le roman, en sont encore au stade expérimental mais dont les deux cents doses doivent servir à protéger certains dirigeants politiques des Etats-Unis. A peu près au moment de la parution de l’ouvrage, le président Trump atteint du Covid-19 était remis sur pied plus rapidement grâce à ce traitement.
Tous les ingrédients du thriller géopolitique sont présents : les arcanes du pouvoir politique, les habitus de la religion musulmane, les actions militaires, les stratégies de l’OMS et celles des médecins virologues et épidémiologistes. On y trouve mentionnés et décrits différents peuples également, des USA à l’Arabie Saoudite, avec des personnages auxquels on s’intéresse de plus près, y compris des enfants. La problématique qui se dégage peu à peu du livre pourrait être la suivante : dans quelle mesure les Gardiens de la Terre, groupuscule malthusianiste, plus proche de la nature que des humains, auquel appartient l’ex-patron de Henry Parsons, vont-ils l’emporter, au détriment des vies humaines sauvées ?
Sylvie Ferrando
Rédacteur au New Yorker, Lawrence Wright est l’auteur d’une dizaine de livres de non-fiction, parmi lesquels : In the New World, Remembering Satan, La Guerre cachée (Prix Pulitzer), Devenir clair, Thirteen Days in September, The Terror Years et God Save Texas ; ainsi que d’un roman, God’s Favorite. Egalement dramaturge et scénariste, Wright habite à Austin (Texas).
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