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Les Livres

Camisole, Salomon de Izarra

Ecrit par Patryck Froissart , le Mercredi, 22 Juin 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Fantastique, Rivages

Camisole, janvier 2016, 107 pages, 16 € . Ecrivain(s): Salomon de Izarra Edition: Rivages

 

Edgar Griffith, expert comptable, reçoit mission d’enquêter sur les comptes d’un établissement d’internement de malades mentaux.

Accueilli par le directeur Oswald Barker, qu’il trouve d’emblée « professionnellement inquiétant », Edgar découvre un univers concentrationnaire angoissant dont les cloisons vont se refermer violemment sur lui à l’occasion d’un orage terrifiant qui détruit le circuit électrique de l’asile.

Les bâtiments à l’étrange architecture mouvante se trouvant eux-mêmes isolés dans une région à la nature hostile, l’action se déroulant dans un lieu clos d’où l’acteur principal ne peut a priori s’échapper, les personnages qui y sont pensionnaires ayant des comportements incohérents, agressifs, de plus en plus violents, l’orage qui fait rage, la nuit sans autre lumière que celle des éclairs : l’auteur met rapidement en œuvre les ingrédients classiques du récit fantastique dans la lignée de Poe, lui aussi prénommé Edgar (coïncidence ?).

Extra pure, Voyage dans l’économie de la cocaïne, Roberto Saviano

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 22 Juin 2016. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Folio (Gallimard), Italie

Extra pure, février 2016, trad. italien Vincent Raynaud, 544 pages, 8,20 € . Ecrivain(s): Roberto Saviano Edition: Folio (Gallimard)

Cinquième livre d’un auteur révélé en 2007 par son extraordinaire Gomorra, qui a fait couler tant d’encre et a valu à son auteur d’être un nouveau Rushdie pourchassé, Extra pure est un recueil d’enquêtes au plus près de cet enfer de la drogue, analysant lieux, moteurs et phases de production.

En 2016, Roberto Saviano, Robbè pour les intimes, poursuit son œuvre de dénonciation des mafias, du blanchiment de sommes colossales, des violences causées par ce gigantesque marché blanc. Il le fait par sa chronique de La Repubblica, il en dresse des analyses plus fouillées dans cet essai, divisé en 7 parties (aux titres de Coke#1 etc.)

A l’heure où notre auteur a le courage exemplaire d’écrire en dépit de tout – la solitude, la garde serrée – sept policiers de vigilance –, la quête si difficile de la vérité, et surtout les attaques de pure vilenie : ne le voilà-t-il pas accusé de tous les maux, et en prime dans les zones où il a dénoncé le mal ? à Secondigliano, à Scampia, à Napoli, il est traité de la pire espèce (par voie d’affiches, d’accusations publiques…), un peu comme si l’on reprochait à Marta Hillers de Une femme à Berlin d’avoir dénoncé les centaines de milliers de viols perpétrés par les Russes libérateurs en mars-avril 45, un peu comme si l’on rendait responsable du Goulag ce courageux Chalamov qui a vécu l’enfer gelé de la Kolyma (bagne sous Staline). C’en est à vomir tant les gens sont oublieux de la générosité et des risques pris. « Le premier qui dira la vérité sera exécuté » comme le chantait si bien Béart.

L’ombre s’allonge, Jean-Paul Goux

Ecrit par Marie-Josée Desvignes , le Mardi, 21 Juin 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Actes Sud

L’ombre s’allonge, avril 2016, 144 pages, 15 € . Ecrivain(s): Jean-Paul Goux Edition: Actes Sud

 

C’est un ami et c’est un frère, c’est un si proche qu’on ne veut le voir partir. Il est là, dans son lit et on attend le verdict, sans savoir qu’il n’y en aura pas de positif. Ce qu’on croit alors c’est que s’il rouvre les yeux, tout sera comme avant. Mais jamais on ne pense qu’il en sera définitivement autrement. « Ce qu’on croyait être le pire et qu’on appelle la fin, quand le pire n’est pas encore concevable ». Pudeur et silence d’une écriture fine et douce, par la voix de ce couple d’amis Vincent et Clémence qui nous ramènent les souvenirs d’une amitié partagée avec cet être dont le portrait fragile illumine les pages par sa présence d’absent désormais à ce monde.

« Nous étions tous les trois ensemble le plus souvent, ou bien en tête-à-tête, et toujours revenaient ces moments qu’avec lui nous connaissions depuis toujours où nous habitait la certitude (le sentiment de cette certitude) qu’il n’y avait personne au monde avec qui nous puissions être aussi exactement nous-mêmes, avec qui nous puissions reconnaître intégralement comme nôtre la figure qu’il formait en s’adressant à nous. »

Tout a une fin, Drieu, Gérard Guégan (Critique 2)

Ecrit par Philippe Chauché , le Lundi, 20 Juin 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

Tout a une fin, Drieu, mai 2016, 131 pages, 10 € . Ecrivain(s): Gérard Guégan Edition: Gallimard

 

« Rappelle-toi avant-hier. Rappelle-toi ta rencontre dans le parc Monceau avec ce journaliste de Je suis partout passé à la Résistance du jour où les chars de Leclerc ont franchi la porte d’Orléans.

Tu as pourtant cru que ça y était

Le regard qu’il ta jeté valait une salve ».

Tout à une fin, Drieu est un livre qui claque comme une salve d’arme automatique, une fable qui vous saisit comme un regard d’acier, et vous fige comme un uppercut. Ce pourrait être les derniers jours de l’auteur de Gilles, de Feu Follet, mais aussi d’Une femme à sa fenêtre, ces romans d’une génération et de quelques essais pamphlétaires dont il ne reste qu’un vague souvenir. Drieu face à son double, ce narrateur, qui ne lui pardonne rien, qui le suit comme son ombre, l’interpelle, le questionne, l’invite au souvenir, à ces zones d’ombres anciennes ou plus récentes, à la guerre comme à la collaboration. Mais Drieu est autre, plus complexe, sa palette de noirs s’invite lumineusement dans ce petit livre racé qui s’ouvre sur cet homme pressé que le destin va rattraper.

Et ton absence se fera chair, Siham Bouhlal

Ecrit par Marc Ossorguine , le Lundi, 20 Juin 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Récits

Et ton absence se fera chair, Yovana Editions, août 2015, 220 pages, 17,95 € . Ecrivain(s): Siham Bouhlal

J’ai sombré dans ce vestibule étroit, ténébreux. Silhouette fine, élancée, au dos droit, lourd, je ne laissais plus que la mélodie aigüe de mes talons, résonance nette et uniforme. J’étais aux prises avec ce couloir d’une longueur infinie, obstinée.

Avec ce premier titre les éditions Yovana − qui se lance dans un ambitieux projet éditorial mené loin, bien loin de la capitale, depuis Bagnols-sur-Cèze, en pays gardois – nous offre un récit étonnant, à la fois témoignage, déclaration d’amour autant que politique et long poème.

Siham Bouhlal, qui a déjà publié quelques essais et recueils de poésie, fut la dernière compagne du militant des droits de l’homme marocain Driss Benzekri, disparu en 2007 des suites d’un cancer. Elle sublime dans ce récit la disparition de l’aimé, célébrant leur amour fou, un amour corps et âme qui refuse toute concession au quotidien ou à l’histoire, les transportant l’un et l’autre bien au-delà d’eux-mêmes. Spécialiste de la poésie arabe médiévale, Siham Bouhlal sait trouver et dire, chanter, le lyrisme de cet attachement qui sait combattre toutes les forces de morts qui œuvrent souterrainement, qu’ils s’agisse de maladie ou de politique. Un lyrisme qui sait mettre des mots et des images sur toutes les réalités de la vie (et donc de la mort), sans fausse pudeur. Ou plutôt en dépassant toute idée même de pudeur, vraie ou fausse.