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Judas, Amos Oz

Ecrit par Anne Morin 11.10.16 dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Israël, Roman, Gallimard

Judas, août 2016, trad. hébreu Sylvie Cohen, 348 pages, 21 €

Ecrivain(s): Amos Oz Edition: Gallimard

Judas, Amos Oz

 

 

Condamné à marcher et ne pas se fixer jusqu’au retour du Christ, le bouc émissaire, autre figure du traître, de Judas, nom tellement décrié qu’il n’en est plus propre.

Shmuel, le personnage central se demandera : « (…) où devait-il aller ? Que fallait-il faire ? (…) Et il resta là à s’interroger », (p.348). Qu’est-ce que la trahison ? Se vendre, vendre quelqu’un ? Laisser faire ? ou simplement aller contre, à l’encontre de… ? Histoire dans l’histoire, histoire à double fond, le Judas d’Amos Oz porte une double interrogation, historique et humaine, sur le sens de la trahison, dans un double parallèle : Jésus/Judas, Ben Gourion/Shealtiel Abravanel, une interrogation permanente de l’un à l’autre sur le sens du geste, à travers le personnage de Shmuel Asch, étudiant rédacteur d’un mémoire plus ou moins en déshérence sur le personnage de « Jésus dans la tradition juive ».

Par des va-et-vient, des glissements, la superposition des figures, Amos Oz pose des questions essentielles sur le moment du seuil, le moment où l’exclusion se fait au sein de la même personne : exclusion du groupe, exclusion aussi de soi allant jusqu’au reniement de soi (pour Judas), à la renonciation (pour Abravanel) : « Quant à Judas, le sens de sa vie, sa raison d’être, volait en éclats sous ses yeux horrifiés. Comprenant qu’il avait provoqué de ses propres mains la perte de l’être qu’il aimait et admirait, il s’éloigna et alla se pendre. “Ainsi est mort le premier Chrétien, conclut Shmuel dans son bloc-notes. Le dernier. L’unique” », (p.179).

En même temps, dans le même temps, la confusion des pensées du lien qu’est Shmuel – entre deux mondes, entre deux vies, entre deux enquêtes : sur soi et sur Judas –, liée à la répétition des gestes, des moments de vie, au rythme immuable de ses journées, scandé par son statut de témoin des discours de Gershom Wald dont Shmuel est devenu l’homme de compagnie, confine le personnage dans une torpeur propre au mystère.

Pris entre Wald, intellectuel infirme dont le fils a trouvé la mort pour Israël : « Sans mon fils et ses camarades, nous serions tous morts » (p.121), et Atalia, la veuve, belle-fille de Wald et fille d’Abravanel, Shmuel a le temps de s’interroger.

Roman de l’incompréhension mutuelle – mais/et voulue –, Judas n’est rien moins qu’un roman d’amour, c’est une tentative de réconciliation. Les pères et les fils/filles ne s’aiment pas ou à contretemps, et Atalia, même s’il l’émeut, met à la porte Shmuel après l’avoir connu. Il n’y a d’amour que dans l’idée que les personnages s’en font et dans leur représentation : Judas n’aurait vraiment aimé Jésus qu’après son accomplissement – et Amos Oz donne une interprétation très troublante de son rôle dans la Passion : « Judas n’était pas en reste : “Descends, Rabbi. Maintenant. Il est tard, le peuple commence à se disperser. Descends. Ne tarde plus”.

Comment se fait-il, écrivit Shmuel, que pas un seul croyant ne se soit demandé comment un homme ayant vendu son maître pour la somme dérisoire de trente pièces d’argent décide de se pendre de chagrin juste après ? Aucun autre apôtre n’est mort avec Jésus de Nazareth. Judas fut le seul qui ne voulait plus vivre après la disparition du Sauveur » (p.221).

Et Abravanel n’aurait aimé son pays que dans le morcellement, dans son partage : « Pourquoi – disait Abravanel – êtes-vous si pressés d’établir ici dans la violence et le sang un nouvel Etat lilliputien au prix d’une guerre sans fin, alors que tous les pays du monde seront amenés à disparaître un jour ou l’autre pour être remplacés par une mosaïque de communautés parlant des langues différentes, vivant côte à côte ou imbriquées l’une dans l’autre (…) » (p.258).

Mais peut-être est-ce justement là que repose la grandeur de leur trahison : dans le plus grand dénominateur commun de leur(s) acte(s) ?

 

Anne Morin

 


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A propos de l'écrivain

Amos Oz

Auteur d'une oeuvre considérableAmo Oz est unanimement considéré comme l'un des plus grands écrivains Israéliens. Diplômé de littérature et dephilosophie, il rejoint en 1957 le kibboutz Hulda. Après laguerre des Six Jours, il milite dans le mouvement anti-annexionniste et commence à publier. Quelques années plus tard, en 1978, Amos Oz co-fonde le mouvement La Paix maintenant en faveur de la fondation de deux états, palestinien et israélien. L'intellectuel signe également ungrand nombre d'articles dans la presse où il réaffirme son engagement politique à gauche. Une partie de son oeuvre littéraire aborde la question du conflit israélo-palestinien et son combat contre les extrémismes. Ainsi, l'écrivain se distingue avec des essais comme 'Comment guérir un fanatique' en 2006 ou 'Aidez-nous à divorcer !' en 2004 mais également avec des romans engagés et quasi documentaires tels que 'Les Voix d'Israël' paru en 1983 ou 'La Boite noire', publié en 1994. Pourtant, son importance sur la scène politique nationale et internationale ne doit pas occulter la dimension intime et poétique de la prose d'Amos Oz qui signe avec des titres comme 'Seule la mer' ou 'Ailleurs peut-être' de véritables hommages au quotidien, à la fraternité et à la vie. Maniant aussi bien lerécit épistolaire et intimiste avec 'Tu seras mon couteau' que l'épopée familiale avec 'Une histoire d'amour et de ténèbres', Amos Oz est incontestablement une grande figure de la littérature contemporaine.

Il nous a malheureusement quittés à la fin de 2018.

 



A propos du rédacteur

Anne Morin

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Rédactrice

genres : Romans, nouvelles, essais

domaines : Littérature d'Europe centrale, Israël, Moyen-Orient, Islande...

maisons d'édition : Gallimard, Actes Sud, Zoe...

 

Anne Morin :

- Maîtrise de Lettres Modernes, DEA de Littérature et Philosophie.

- Participation au colloque international Julien Gracq Angers, 1981.

- Publication de nouvelles dans plusieurs revues (Brèves, Décharge, Codex atlanticus), dans des ouvrages collectifs et de deux récits :

La partition, prix UDL, 2000

Rien, que l’absence et l’attente, tout, éditions R. de Surtis, 2007.