Olimpia, Céline Minard (par Léon-Marc Levy)
Olimpia, août 2016, 88 pages, 5 €
Ecrivain(s): Céline Minard
Ce livre très court est une longue, longue malédiction à Rome et aux humains qui la peuplent, des mendiants aux princes, des putains aux reines, des mécréants aux grands de l’Eglise. Un déferlement d’injures, de horions, une logorrhée fielleuse, haineuse et violente. C’est Olimpia qui parle. Olimpia Maidalchini, parfois appelée dans l’histoire romaine « la papesse Olimpia ». Par son aura, ses réseaux et sa détermination, elle a contribué efficacement à l’élection de son beau-frère, le cardinal Pamphili au trône papal. Il sera le Pape Innocent X. Du coup, Olimpia devient une femme d’immense pouvoir dans la Ville Eternelle. Mais la mort du Pontife, en 1655, entraîne sa déchéance. C’est là qu’Olimpia « prononce » (le texte est bien sûr fictif) cette malédiction inouïe.
Céline Minard déploie sa puissance littéraire au service de la rage d’Olimpia. Le foisonnement verbal, les images pittoresques, les injures réjouissantes, le rythme haletant de ce discours font ici un sommet de littérature baroque. La haine d’une femme se transforme en condamnation universelle, « Urbi et Orbi » de façon étrangement drôle. C’est une excommunication de la Ville de Rome, vouée à jamais aux gémonies qu’elle a autrefois inventées.
« Le peuple m’a suffisamment comblée en m’appelant Pimpaccia et impia et putain de pape et suceuse d’Innocent et vamp, vampiria et femme à sceptre et Didi un chasse-mouches, il m’a assez conchiée pour que je puisse lever une armée de Pasquins tout en merde et remplir d’un bout à l’autre le Pont Saint-Ange et couper ainsi cette ville de hâbleurs de la bulle vide de Saint-Siège désormais vide d’où l’on veut me chasser ».
A travers ce déluge de mots, peu à peu, c’est des pans entiers de l’histoire de Rome qui se dessinent, le procès de la Rome d’hier et de son temps qu’Olimpia instruit. Rome l’éternelle dominatrice, l’éternelle pécheresse.
« Tout ce que les Anciens ont pu voler, ils l’ont volé, les chasse-mouches, les trésors, les obélisques, et l’Eglise les a pillés. Ils ont volé les Grecs, les Etrusques, les Germains, les Daces, toutes les terres où ils ont porté la guerre, ils ont volé l’art, l’argent, les dieux, les hommes, et de retour, enfonçant les portes ouvertes en triomphe, ce peuple de pilleurs où les boulangers reposent dans des sarcophages de rois, ce peuple de voleurs, a fait son pain avec une levure volée dont il ne connaissait pas la puissance et qui l’a englouti ».
C’est aussi, pour les amoureux de Rome aujourd’hui, un étonnant moment que de retrouver leur ville fétiche revisitée en quelque sorte par un touriste mal luné, qui déteste tout ce que nous adorons dans la Ville Eternelle. Une sorte de visite en négatif pendant laquelle toutes les lumières de Rome deviennent des ombres.
« Je la raye de la carte.
Je la broie.
Je la défigure.
Je la noie.
« […] cette ville de théâtre boursouflé, gonflée d’or et de stuc, hérissée de colonnes roides, de colonnes torses, gravées, plantées d’arcs à tout bout de champ grosse d’elle-même et de ses cirques innombrables, bouches et bouches de marbre purulentes, cette ville d’artifices avec sa grosse verrue dorée, sa perruque poudrée, le Vatican, je l’arrache, cette ville de carnaval continu […] ».
Exercice de style que ce petit opus ? Certainement. Mais quand un exercice de style emporte autant le lecteur, le transporte autant dans les volutes des mots, fait défiler sans cesse des images vues dans les replis de Rome, des faits connus de sa mémoire, alors l’exercice devient œuvre littéraire. Et Céline Minard est une des plus grandes plumes des lettres françaises d’aujourd’hui.
Léon-Marc Levy
NB : A la fin de cet ouvrage, figure l’histoire d’Olimpia Maidalchini
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