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Les Livres

Une dernière brassée de lettres, Claude Luezior

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mercredi, 25 Janvier 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Correspondance

Une dernière brassée de lettres, Librairie Editions Tituli, Paris, 2016 . Ecrivain(s): Claude Luezior

Humaniste, Claude Luezior a passé sa vie (et la passe encore) à deux occupations principales : ranimer des vies puisqu’il était médecin et « À chaque lueur du matin, je me suis escrimé avec le passé des participes, j’ai amadoué des adjectifs qui me narguaient dans leurs invariables sous-bois, j’ai écorché mes ongles au fil des dictionnaires et, comme Démosthène, j’ai usé ma langue à ce que je croyais être le velours des voyelles mais qui n’était que consonnes et aspérités ».

Luezior a beau se dire fatigué de ce travail de minceur, il continue à écrire et non sans humour comme en témoignent ses lettres testamentaires adressées à divers concepts (Patience, Masque, Audace), lieux (Cimetière, Maison de retraite), objets (télévision) ou personnes (contractuelle, assureur).

Ses missives sont animées parfois d’un souffle romantique mais le plus souvent de déferlantes ironiques. L’auteur prouve qu’en Suisse (où il habite) comme en France le médecin se heurte à l’administration sanitaire : « Tu me parles clients, je te dis patients qui souffrent. Tu écris délais, je crie urgence. Tu clames tes chiffres, j’entends les râles de l’agonie. Tu fais part de tes décomptes, du haut de tes bâtiments de verre et d’acier : je marche dans la glaise humaine ». Preuve que l’humour n’empêche pas des cris de survie et que la littérature ne parle pas forcément du haut de sa condescendance même si beaucoup d’écrivains font penser le contraire.

L’Enfant aux cerises, Jean-Louis Baudry

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 25 Janvier 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Arts, L'Atelier Contemporain

L’Enfant aux cerises, 2016, préface et photographies Alain Fleischer, 20 € . Ecrivain(s): Jean-Louis Baudry Edition: L'Atelier Contemporain

 

L’Atelier contemporain publie en cette fin d’année un livre très utile et beau, illustré de photographies d’Alain Fleischer. C’est L’Enfant aux cerises de Jean-Louis Baudry, livre qui permet et autorise une réflexion sur la peinture. D’ailleurs, il s’agit surtout d’un recueil de douze articles pour la presse ou pour des catalogues, qui pousse le lecteur à se pencher sur les grandes interrogations de la peinture : est-elle un art du silence ? est-elle un art du temps ? comment s’articule ce qu’elle semble dire et ce que nous en disons ? quel est l’effet de la chose peinte sur l’homme d’aujourd’hui (qui peut accéder à la peinture par des reproductions) ? comment recueille-t-on en soi cette reproduction de la vie (car pour Jean-Louis Baudry, la peinture semble d’abord être figures) ?

C’est à cette rhétorique que fait appel le livre, et – peut-être même, surtout – dans une écriture d’une délicatesse extrême, ressemblant à des pages de la littérature romanesque (je pense à Proust, dont les premiers mots de La Recherche correspondent étrangement à la première phrase de l’ouvrage de J.-L. Baudry). Oui, une littérature qui s’enroulerait autour des sentiments les plus profonds, les sentiments de l’enfance (ce qui laisse entendre comment chacun de nous a été pris à un moment ou un autre par des images peintes – pour J.-L. Baudry il s’agit d’une lithographie de L’Enfant aux cerises qui ornait sa chambre). L’enfance comme imago.

Les dieux de la steppe, Andreï Guelassimov

Ecrit par Cathy Garcia , le Mardi, 24 Janvier 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Russie, Roman, Actes Sud

Les dieux de la steppe, novembre 2016, trad. russe Michèle Kahn, 348 pages, 22,80 € . Ecrivain(s): Andreï Guelassimov Edition: Actes Sud

 

On s’attache vite à Petka, ce gamin dégourdi, inventif, ce bâtard, ce fils de pute comme la plupart l’appellent, puisqu’il n’a pas de père ou tout du moins on ne lui dit pas qui c’est. Petka vient d’adopter un louveteau en cachette, le sauvant ainsi d’une mort certaine, promettant d’apporter en échange aux militaires de la gnole que son grand-père vend en contrebande chez les Chinois, de l’autre côté de la frontière. Petka, dont la mère est très jeune et très dépressive, traîne surtout chez sa grand-mère Daria et le grand-père Artiom. Petka est la cible préférée de toute une bande de méchants garnements menée par Lionka l’Atout, véritable petit tyran, dont la mère fréquente beaucoup les militaires, tandis que le père est au front.

Nous sommes en 1945, dans un petit village au fin fond de la Sibérie nommé Razgouliaevka. Il n’y a pas grand-chose à manger, la vie semble comme au ralenti et l’un des jeux principaux des gamins consiste à chercher Hitler, qui se cacherait quelque part dans le coin. La guerre n’est pas tout à fait finie, une offensive contre les Japonais se prépare.

Notre-Dame-des-Fleurs, Jean Genet

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 24 Janvier 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard)

Notre-Dame-des-Fleurs, décembre 1976, 384 pages, 8,20 € . Ecrivain(s): Jean Genet Edition: Folio (Gallimard)

 

Jean Genet prévient dès les premières pages de Notre-Dame-des-Fleurs (publié d’abord en 1944, révisé pour Gallimard en 1951) : « Il se peut que cette histoire ne paraisse pas toujours artificielle et que l’on y reconnaisse malgré moi la voix du sang : c’est qu’il me sera arrivé de cogner du front dans ma nuit à quelque porte, libérant un souvenir angoissant qui me hantait depuis le commencement du monde, pardonnez-le-moi. Ce livre ne veut être qu’une parcelle de ma vie intérieure ». La formule est modeste, mais soutenue par une écriture forte, à la syntaxe et au lexique riches, et surtout feignant que ce récit n’est pas grand-chose alors qu’il est une explosion, une super-nova comparé aux pétards mouillés littéraires d’une pauvre auto-fiction contemporaine qui se revendique de Genet sans l’avoir lu et donc sans rien y avoir compris.

A titre personnel, je ne peux pas prétendre être un spécialiste de Genet, n’ayant lu que Les Bonnes, Querelle de Brest, et le présent roman, mais j’ai été emporté par ses phrases, par ces cascades verbales dans lesquelles on ne peut se baigner qu’au risque d’être emporté. Un autre exemple :

La sainte réalité, Vie de Jean-Siméon Chardin, Marc Pautrel

Ecrit par Philippe Chauché , le Lundi, 23 Janvier 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Biographie, Roman, Gallimard

La sainte réalité, Vie de Jean-Siméon Chardin, janvier 2017, 176 pages, 16 € . Ecrivain(s): Marc Pautrel Edition: Gallimard

« Chardin sait ce qu’il doit faire, il sait ce qu’il doit peindre. Le travail est long mais la destination très claire. Il y a un autre monde, caché et plus grand que le monde actuel, ce qui est mot n’est pas vraiment mort, les objets, les simples reflets, sont aussi vivants que les plus animés des êtres ».

Les livres de Marc Pautrel sont toujours des rencontres au sommet, des rencontres au sommet de la vie, de la pensée et de l’art. Des rencontres physiques, où les corps se livrent entre les lignes. Leur mouvement plaît à l’écrivain, comme il se plaît à les faire vivre. Marc Pautrel se plaît à écrire le mouvement d’une main, d’un regard, d’une idée, d’une pensée, d’une jambe, des corps et des objets, l’éclat d’un fruit, le silence d’un lièvre que l’on pense mort. Il nous livre vases et cruches, fleurs et pêches qu’éclairent les toiles de Chardin. Leur âme s’élève sous le pinceau du peintre des natures mortes, des natures si vivantes, endormies – Still Life –, qui n’attendaient qu’une couleur, une touche, un trait, une phrase pour s’éveiller et qui à nouveau s’éveillent dans la sainte réalité, autrement dit à la vie. Le peintre est au travail, comme l’écrivain, il s’isole, laisse la lumière du printemps flirter avec ses toiles et sa feuille, la main sait ce qu’elle veut, elle est ferme, elle trace ligne à ligne l’aventure d’un peintre d’un temps ancien et finalement très contemporain. La main de l’écrivain est habitée par la même force, sa feuille blanche est une toile en mouvement permanent où se brisent ses phrases, vagues qui se lèvent sous le vent de l’inspiration.