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Les Livres

Peut-être des falaises, Gilbert Pinna

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 22 Novembre 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Arts, Le Bateau Ivre

Peut-être des falaises, septembre 2017, 80 pages, 25 € . Ecrivain(s): Gilbert Pinna Edition: Le Bateau Ivre

 

« Débarquement dans les ports. Marseille, juillet 1962. Il faut voir tous ces gens éperdus, dans la gare Saint-Charles. Moi, minuscule, dans un couffin, avec mon frère, en départ de vacances. Bien plus tard, on me le raconte : il y a des vieux, des vieilles, des enfants, hagards, une valise à la main, qui attendent, debout, assis, couchés… Et puis, dehors juste à trois cents mètres, la grande lumière blanche qui réverbère celle de la baie d’Alger. Entre les deux côtes, les plages et un gros bras de mer ».

Peut-être des falaises est une aventure graphique, l’esquisse d’un roman, nourrie de l’enfance de l’auteur, de son humeur irisée, de ses admirations, Hopper, Camus et l’insondable secret de l’Algérie de Meursault, Kafka, magicien impérial de sa ménagerie, Hugo Pratt, ou encore Marguerite Duras sur son balcon des Roches Noires, et Freud à Vienne. Gilbert Pinna n’illustre pas ses éclats romanesques, ses remarques, ses souvenirs, il les prolonge, en donne un écho gracieux et troublant. Le trait est fin, tout en rondeur, les couleurs sont embrasées par des pastels soyeux.

Passages du désir, Cécile Huguenin

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 22 Novembre 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Héloïse D'Ormesson

Passages du désir, juin 2017, 224 pages, 19 € . Ecrivain(s): Cécile Huguenin Edition: Héloïse D'Ormesson

 

Le désir flambe ou attise ou redonne souffle à l’existence, tel est peut-être le point de départ de ce roman aux forts accents dellyens. Ce qu’il arrive à la biographie de Clara Davidson est un vrai concentré d’ingrédients romanesques : elle n’a jamais connu son père ; on lui a fait don d’une sœur adoptive Julia ; elle est veuve et vierge du « beau, tendre, intelligent » Victor ; elle est partie en Afrique, à Zanzibar, ouvrir une maison d’hôtes pour femmes… et un jeune photographe, Titus, part à sa recherche, parce que la dame, la soixantaine avancée, a disparu. Pourquoi ?

La construction narrative, quelque peu appuyée, donne voix à Titus, puis au Journal de Clara, entreprend cinq actes, et un final, censés éclairer une intrigue échevelée. Quand deux destins croisent en Afrique profonde, la vie tout simplement.

En effet, sous la trame romanesque, se cachent nombre de non-dits, de tabous familiaux, de contraintes. La vie n’a pas été simple pour la jeune Clara, corsetée par une mère très belle, Serena, folle de beauté et de mode, heureusement tempérée par la gentille présence de Julia, un double pour l’héroïne.

La Femme de l’ombre, Arnaldur Indridason

, le Mercredi, 22 Novembre 2017. , dans Les Livres, Critiques, Polars, La Une Livres, Pays nordiques, Roman, Métailié

La Femme de l’ombre, octobre 2017, trad. Eric Boury, 340 pages, 21 € . Ecrivain(s): Arnaldur Indridason Edition: Métailié

 

Un double mystère et deux enquêtes parallèles constituent la trame de ce roman policier d’une rare intensité. Un horrible meurtre a été commis près d’un bar à soldats tandis que le corps d’un noyé vient d’être repêché près des côtes islandaises. Au cours des investigations croisées menées par deux jeunes policiers, Flovent et Thorson, les personnages interrogés se dévoilent et se fracturent simultanément : chacun d’eux charrie sa propre histoire, porte le poids de son secret, agit selon ses motivations personnelles, hormis qu’aucune histoire n’est banale, aucun secret n’est anodin, ni aucune motivation superficielle. C’est que nous sommes en 1943 et que la situation historique renvoie chacun des protagonistes à ses propres démons, or ceux-ci sont d’autant plus monstrueux qu’ils représentent les maillons infimes de la cruauté collective d’une époque tristement célèbre pour ses atrocités. Dans une Islande occupée par les Américains, le lecteur se retrouve dès lors immergé dans une atmosphère infestée par la guerre, qui interroge, éclaire, motive les actes les plus effroyables, sans pour autant les légitimer. Aux lecteurs donc de s’attendrir ou de se révolter et de s’interroger sur la notion de culpabilité.

Lettres d’Angleterre, Karel Čapek

Ecrit par Marc Ossorguine , le Mardi, 21 Novembre 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays de l'Est, Correspondance, Voyages, La Baconnière

Lettres d’Angleterre, octobre 2017, trad. tchèque Gustave Aucouturier, 184 pages, 12 € . Ecrivain(s): Karel Čapek Edition: La Baconnière

 

 

En 1924, le florissant et puissant Empire Britannique s’autocélébrait dans une grande exposition coloniale, la British Empire Exhibition, à Wembley, aujourd’hui plus connu pour son stade. Bien entendu, celle-ci était ouverte à d’autres que les sujets de sa gracieuse majesté, le roi George V. L’écrivain tchèque Karel Čapek, également journaliste aguerri – et connu depuis l’année précédente à Londres comme auteur dramatique, sa pièce R.U.R., à laquelle on attribue la création du mot « robot » ayant été traduite et jouée au St Martins Theatre avec le célèbre acteur Basil Rathbone – y fut invité. L’auteur de La fabrique d’absolu en profite pour visiter Londres et l’Angleterre, mais aussi le Pays de Galles et l’Ecosse (il ne parviendra pas à visiter l’Irlande) et en rapporte ces lettres d’Angleterre, un journal de voyage illustré de ses propres dessins.

Rouge sang-dragon, Colette Prévost (2ème critique)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Mardi, 21 Novembre 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Les Vanneaux

Rouge sang-dragon, avril 2017, 80 pages, 15 € . Ecrivain(s): Colette Prévost Edition: Les Vanneaux

 

Dire « le tremblé de la lumière / l’épaisseur vivante de l’espace », c’est ce à quoi s’emploie Colette Prévost.

Qui cite Henry Bouillier et son introduction à l’édition critique des Stèles de Victor Segalen, en ouverture de Rouge sang-dragon : « On voudrait pouvoir définir avec rigueur les rapports entre les combinaisons de volumes, de couleurs, de son, et l’ébranlement affectif qu’elles provoquent dans le cœur de celui qui les contemple et qui les entend ».

Et Colette Prévost d’ajouter : « Cet “ébranlement affectif” m’a frappée lorsque j’ai vu les tableaux de Max Mitau, plasticien bordelais, qui puise son œuvre à pleines mains dans les pigments purs. Ses tableaux m’ont forcée à l’arrêt debout, face à leurs faces comme l’exprimait Victor Segalen à propos de ses Stèles. Dans l’œuvre de Mitau la lumière traverse le minéral, coloré ou ténébreux, comme l’œil de la stèle de bois qui ornait certaines stèles percées d’un trou rond par où l’œil assuré du ciel lointain vient viser l’arrivant. Je me suis sentie transpercée, à nu. Mitau, forgeron ou alchimiste, je ne sais… le pigment sang-dragon, exsudat de l’arbre sang-dragon, l’étrange dragonnier de l’île de Socotra au large du Yémen, donne ce rouge puissant, alchimique, ou celui de l’atelier-forge… ».