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Les Livres

Je, Gauguin, Jean-Marie Dallet

Ecrit par Stéphane Bret , le Lundi, 13 Novembre 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Biographie, Arts, La Table Ronde - La Petite Vermillon

Je, Gauguin, octobre 2017, 238 pages, 8,70 € . Ecrivain(s): Jean-Marie Dallet Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon

 

Le genre de l’autobiographie imaginaire est malaisé à maîtriser. Jean-Marie Dallet, auteur de Je, Gauguin, dément quelque peu ce présupposé. Dans ce récit, il est le « Je » de Gauguin, son intimité, ses secrets, ses tourments récurrents, ses obsessions. Ce qui accroche dès l’entame de l’ouvrage, c’est l’explicitation des choix de ce peintre ; il avoue ainsi, au retour de son voyage en Amérique Latine où il a passé soit dit en passant une partie de son enfance, sa dépendance vis-à vis du désir d’évasion, de fuite d’un ailleurs forcément attractif :

« En fait dès qu’il s’agira de fuir, de chercher ailleurs plus loin, toujours plus loin, une existence différente, je serai toujours partant, n’admettant jamais que de lever l’ancre, même pour le bout du monde, ne sert à rien, que l’on n’échappe jamais à l’enfer intime qui vous colle au cœur, au Sud comme au Nord ».

Paris-Austerlitz, Rafael Chirbes

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 10 Novembre 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Espagne, Rivages

Paris-Austerlitz, octobre 2017, trad. espagnol Denise Laroutis, 180 pages, 20 € . Ecrivain(s): Rafael Chirbes Edition: Rivages

 

L’écriture a quelque chose du supplice de Tantale.

Rafael Chirbes (Télérama, 2009)

 

L’espace diégétique est résumé en une phrase : « Paris, c’est comme ça, chacun pour soi », l’explication franche de la pyramide des inégalités sociales au sommet de laquelle, bien logés, pleins de ratiocinations, les nantis se pavanent, écrasant en bas « des poches de misère ». Les échos de la capitale résonnent, souffrances comparables à celles que subit l’homme solitaire et étranger dans l’appartement du Locataire filmé par Polanski. Le « je », l’instance énonciatrice, parle à l’imparfait. Les lieux sont glauques, l’ambiance pessimiste, des ombres perdues rencontrent d’autres ombres fantomatiques. Les attitudes restent codées entre « le mec qui parlait une langue apprise au lycée français de Madrid (…), le groupe des petits caïds (…) l’indic de la police et le journaliste ».

L’instant décisif, Pablo Martín Sánchez

Ecrit par Marc Ossorguine , le Vendredi, 10 Novembre 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Espagne, Récits, La Contre Allée

L’instant décisif, septembre 2017 (Tuyo es el mañana, 2016, Acantilado), trad. espagnol Jean-Marie Saint-Lu, 288 pages, 20 € . Ecrivain(s): Pablo Martín Sánchez Edition: La Contre Allée

Un récit, ou six récits qui commencent à 0 heure et s’achèvent à minuit. Ou plutôt, peut-être, six récits qui commencent à 0 heure, et finalement un récit qui se termine à minuit. Donc sept récits au final. Vous suivez ? Dire cela c’est peut-être livrer une des clés de cet instant décisif qui jongle avec les voix dans un cadre temporel strict de 24 heures. Jeu de construction et de structure qui pourrait paraître un brin intello mais qui est surtout ludique et qui fonctionne parfaitement comme tel.

Reprenons : six récits et six personnages. Ou sept selon comment l’on compte. Disons six plus un. Nous entrons dans leur vie à 0 heure. Quand ? Le jour où il y aura une grève générale en Italie, qui est aussi celui où le président congolais Marien Ngouabi sera assassiné. Le jour aussi où le nouvel état espagnol annoncera une nouvelle amnistie. Un jour et une date que l’auteur ne précise pas plus mais que nous pouvons reconstituer comme étant le 18 mars 1977. Nous sommes à Barcelone en pleine « transition démocratique », dans ce moment où la mort de Franco n’a pas encore complètement signifié la fin de la dictature et le retour de la démocratie. C’est aussi ce jour-là que naît Pablo. Le même jour que l’auteur de cet instant décisif. Mais il n’est pas sûr, il semble même un peu improbable qu’il s’agisse vraiment de lui-même et que le récit soit autobiographique.

Jonathan Strange & Mr Norrell, Susanna Clarke

Ecrit par Didier Smal , le Vendredi, 10 Novembre 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Le Livre de Poche

Jonathan Strange & Mr Norrell, trad. anglais Isabelle D. Philippe, 1149 pages, 10,20 € . Ecrivain(s): Susanna Clarke Edition: Le Livre de Poche

 

Adapté en mini-série par l’honorable BBC, multi-primé l’année de sa parution (2004), repris depuis parmi de fiables listes des meilleurs romans de science-fiction jamais publiés, Jonathan Strange & Mr Norrell, le premier roman de l’Anglaise Susanna Clarke (1959), ne peut qu’éveiller la curiosité du lecteur amateur de prose intelligente à destination populaire. Et le moins qu’on puisse dire est que l’amateur est servi, gâté, enchanté, n’en jetez plus, on a affaire à un véritable chef-d’œuvre, toutes catégories littéraires confondues, un diamant dont chaque facette a été finement taillée et qui n’en finit pas de scintiller dans l’esprit du lecteur émerveillé.

Se déroulant de l’automne 1806 au printemps 1817, Jonathan Strange & Mr Norrell se présente comme une uchronie, une histoire alternative de l’Angleterre où la magie est un fait acquis – à ceci près qu’elle a plus ou moins disparu en ce début du XIXe siècle. Elle n’est plus qu’un objet d’études pour des magiciens qui sont en fait des historiens, à l’image de ceux qui, « dans la bonne ville d’York », se « réunissaient le troisième mercredi du mois et échangeaient de longues et ennuyeuses communications sur l’histoire de la magie anglaise ».

Bakhita, Véronique Olmi

Ecrit par Mélanie Talcott , le Jeudi, 09 Novembre 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Albin Michel

Bakhita, août 2017, 455 pages, 22,90 € . Ecrivain(s): Véronique Olmi Edition: Albin Michel

 

Dis Madre Moretta, comment on appelle ça aujourd’hui ?

Véronique Olmi… le nom flamboie haut, en grandes lettres blanches sur la couverture du livre, effaçant d’autant celui de la femme qui en est la véritable protagoniste, Bakhita, comme si ironiquement la littérature rejouait à cette femme, née à la fin du XIX° siècle, le mauvais tour d’être à nouveau un objet de marketing, cette fois-ci éditorial, tout comme elle le fut, d’une autre manière, en Afrique pour les négriers et plus tard, en Italie dans les années pré-mussoliniennes, pour l’Église quand « il fallait relever le prestige de l’institut (religieux canossien et récolter des fonds) en promenant Madre Giuseppina dans toute l’Italie », avant de serrer la pogne au futur dictateur et enfin, d’être déclarée sainte par le pape Jean-Paul II en octobre 2000.

Douleur, douceur… ainsi pourrait se résumer l’itinéraire monstrueux de la Moretta, la noiraude. Pour passer de l’une à l’autre, il suffit d’un rien, d’une inattention lexicale. Non pas la plus évidente et stoïque qui consiste à substituer une lettre par une autre, mais celle que l’insouciance heureuse, qu’elle soit d’enfance ou d’un instant fugitif d’un bonheur simple, provoque à son insu. Le regard étonné qui se détourne, le rire qui efface la prudence, la vigilance qui s’échappe et la douleur se substitue à la douceur. Arrive alors l’impensable.