Les oiseaux morts de l’Amérique, Christian Garcin
Les oiseaux morts de l’Amérique, janvier 2018, 224 pages, 19 €
Ecrivain(s): Christian Garcin Edition: Actes Sud
L’époque : de nos jours, avec beaucoup de retours en arrière. Le lieu : Las Vegas. Un peu en ville, sur le Strip et dans quelques rues adjacentes, mais surtout à la périphérie, vers les terrains vagues, entre autoroutes et pistes cyclables, motels miteux et collecteurs d’eau de pluie. C’est dans ces tunnels de béton que vivent quelques personnes, en marge. Parce que la vie les a amenés là. Un point commun à la plupart des protagonistes de ce roman : ils ont participé à une guerre. Hoyt est un vétéran du Vietnam. Il a 75 ans. Il cohabite avec d’autres anciens soldats d’Irak ou d’Afghanistan. Des guerres d’où ils sont revenus, avec des souvenirs atroces, traumatisés. Des souvenirs vivaces ou oubliés, ou refoulés. Ils vivent là, entre leurs souvenirs et une réalité somme toute assez tranquille : échanger quelques vannes plus ou moins philosophiques, faire la manche en ville, boire un café, dormir… et évacuer vite fait quand il pleut et que les collecteurs se remplissent d’eau.
L’un d’eux, Hoyt, grand lecteur de poésie, s’est forgé une sorte de don : il est capable de voyager dans l’avenir (un futur qui ne semble pas marrant). Un jour il tente de voyager dans le passé, dans les années 50, à la rencontre de sa mère et des autres personnes de son enfance. On a tous rêvé d’être comme une mouche au plafond en train de se regarder vivre. C’est ce que fait Hoyt, dont la silhouette invisible marche sur la pelouse à côté de l’enfant qu’il était (ou qu’il est). Parfois il se reconnaît. Parfois il ne reconnaît pas ses propres « souvenirs ».
Quand il est dans le « présent », il n’est pas impossible que Maureen, une amie d’enfance revienne en plein Las Vegas avec son petit chien et sa voiture de l’époque… Et qui sont ces enfants qui circulent sur la piste cyclable et qui s’arrêtent pour regarder Hoyt ? S’agit-il du « surgissement d’une réalité dans une autre » ?
Et pourquoi cette pluie d’oiseaux morts ?
Tout ce montage romanesque, entre science (Einstein) et science-fiction (Philip K. Dick), de digressions sur l’espace-temps, les possibles mondes parallèles, le passé, le présent et le futur qui, peut-être, peuvent se mêler, est passionnant. Et pose de belles questions : qu’est-ce qu’on ferait si on pouvait agir sur le passé avec ce que l’on sait aujourd’hui ? De quel passé sommes-nous faits ? De quoi sont faits nos actes présents – comme l’adoption d’un petit chien ?
Ce roman « américain », qui parle de la guerre, du retour des soldats, de leur (dés)intégration, de leur lutte avec leur propre passé, est très fort. Une scène finale, d’une grande violence, magistralement décrite, emporte tout, et donne une clé. Et pose d’autres questions : est-ce qu’on peut se remettre de tout ce qui s’est passé ? Ou, au moins vivre avec ?
Lionel Bedin
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