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Les Livres

Agonie d’Agapè (Agapè Agape), William Gaddis (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 20 Juin 2024. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, En Vitrine, Cette semaine

Agonie d’Agapè (Agapè Agape), William Gaddis, 2002, Editions Motifs, trad. américain, Claro, 95 pages

 

Il s’agit aussi bien d’agoniser que d’agonir. Agonie d’un homme qui se sent – et veut – quitter ce monde qu’il abhorre tel qu’il le voir devenir et qu’il agonit d’imprécations aussi douloureuses qu’amères. Un flux de conscience poussé à son extrême constitue ce texte – roman nous ne dirons pas, même si le personnage est romanesque à souhait – comme il constitue un chapitre chez Thomas Bernhard dans ses diatribes de Perturbation. Il serait difficile de ne pas évoquer ce dernier et cependant Gaddis a l’amertume plus intime, plus humaine, plus collée à la noblesse de l’âme.

Et puis, page après page, on se laisse porter par quelque chose qui n’est plus le signifié, une prosodie, une mélopée, une aventure stylistique plus proche de l’Ulysse – presque de Finnegan’s Wake – de Joyce. C’est de ce côté que Gaddis regarde, le primat absolu du verbe, le dire plus que le dit. L’allusion à Joyce est même clairement énoncée. Parfois. Par des phrases scandées par des absences, des vides, des suspens.

Œuvres en prose, Hugo von Hofmannsthal (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 20 Juin 2024. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Le Livre de Poche

Œuvres en prose, Hugo von Hofmannsthal, Le Livre de Poche, La Pochothèque, 2010, trad. Jean-Yves Masson, 911 pages, 24 €

 

Sur Une lettre de Hofmannsthal

La Lettre de Lord Chandos à Francis Bacon de Hofmannsthal, publiée en 1902 dans le journal berlinois Der Tag (je me réfère à la traduction d’É. Hermann à laquelle Charles Du Bos, dit-on, aurait contribué, rééditée en 2010 dans les Œuvres en prose de l’écrivain viennois, pp.491-502) et datée du 22 août 1603, peut être lue comme un examen personnel, Hofmannsthal se cachant derrière le « fils cadet du comte de Bath » pour relater une « crise » : l’impossibilité d’écrire, l’adieu aux armes, c’est-à-dire à la littérature – adieu qui au contraire de ceux de son personnage ou de Rimbaud avec les Illuminations n’en sera pas un pour l’auteur lui-même puisque, s’il s’éloignera de la poésie, il ne renoncera jusqu’à sa mort brutale le 15 juillet 1929 ni à la fiction narrative ni au théâtre ni aux interventions dans les revues et quotidiens de son époque.

Villa Florida, Journaux 1918-1934, René Schickele (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 19 Juin 2024. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Récits, Histoire

Villa Florida, Journaux 1918-1934, René Schickele, éd. Arfuyen, novembre 2023, trad. allemand, Charles Fichter, 260 pages, 18,50 €

 

Mario Praz avait coutume de dire que les écrivains mineurs réfractaient mieux l’esprit de leur époque que ne le faisaient les « phares » baudelairiens, dont le génie dépasse leur propre temps. À n’en pas douter, René Schickele appartient à la première catégorie. Celui qui se définissait comme « citoyen français und deutscher Dichter » (« citoyen français et poète allemand », encore que la notion de Dichter soit complexe et ne se superpose qu’imparfaitement à celle de poète) naquit en 1883, dans une Alsace faisant alors partie de l’Empire allemand, mais le français fut, au sens plein du terme, sa langue maternelle, puisque sa mère était originaire du Territoire de Belfort, la partie de l’Alsace demeurée française après 1870 (ce qui explique sa position insolite dans la nomenclature des départements). Parfaitement à l’aise entre deux cultures antagonistes (Éric-Emmanuel Schmitt remarquait que le Rhin ne sépare pas deux pays, mais deux civilisations), il était un jour en Allemagne et le lendemain à Paris où, jeune journaliste, il fut fasciné par Jaurès. En 1922, il s’installa à Badenweiler, ravissante petite ville allemande, où Tchekhov était mort quelques années plus tôt.

Le Journal d’une femme de chambre, Octave Mirbeau (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 18 Juin 2024. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard), En Vitrine, Cette semaine

Le Journal d’une femme de chambre, Octave Mirbeau, Folio, février 2024, édition de Noël Arnaud, révisée par Michel Delon, 592 pages, 8,30 € Edition: Folio (Gallimard)

 

« D’ailleurs, j’avertis charitablement les personnes qui me liront que mon intention, en écrivant ce journal, est de n’employer aucune réticence, pas plus vis-à-vis de moi-même que vis-à-vis des autres. J’entends y mettre au contraire toute la franchise qui est en moi et, quand il le faudra, toute la brutalité qui est dans la vie. Ce n’est pas de ma faute si les âmes, dont on arrache les voiles et qu’on montre à nu, exhalent une si forte odeur de pourriture ».

Célestine prévient d’emblée, dès la première entrée du Journal d’une femme de chambre, que ce qu’elle propose au lecteur sera peu reluisant, sera un portrait sans fards de la bourgeoisie au service de laquelle elle a été, et pourtant la critique fut scandalisée lors de la publication de ce roman d’Octave Mirbeau en 1900.

L’individu, fin de parcours ? Le piège de l’intelligence artificielle, Julien Gobin (par Mona)

Ecrit par Mona , le Mardi, 18 Juin 2024. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Gallimard

L’individu, fin de parcours ? Le piège de l’intelligence artificielle, Julien Gobin, Editions Gallimard, février 2024, 304 pages, 21 € Edition: Gallimard

L’individu serait-il une espèce en voie d’extinction dans nos sociétés ultra individualistes ? Dans son premier essai, L’individu, fin de parcours ? Le piège de l’intelligence artificielle, Julien Gobin manie l’art des paradoxes. Le jeune philosophe observe avec grande justesse notre époque « postmoderne », d’un regard à la fois empathique et piquant, et nous en livre une description quasi phénoménologique.

L’essai s’ouvre sous le signe de la parodie : « Touche pas à mon post ! », manière de tourner en dérision le narcissisme illimité des internautes et la novlangue qui raffole de « termes hybrides, insaisissables et liquides » tels que « post-modernité, post-vérité, post-sexualité ».

Le livre se structure autour d’une métaphore tirée de l’entomologie : la chrysalide. Ce qui semble décadence de l’Occident et fin de l’Histoire ne serait qu’un état intermédiaire, comme celui de la chenille qui quitte son cocon pour devenir papillon. Julien Gobin décrit cette nouvelle civilisation en train de prendre forme, une société techniciste, issue des Lumières, mais qui va rendre caduc le credo des Lumières : le libre arbitre de l’individu.